Le Dr Winchester prit alors congé.
Miss Trelawny se mit alors à écrire à Mr. Marvin une lettre dans laquelle elle lui exposait l'état des affaires et lui demandait de venir la voir en se munissant de tous papiers de nature à jeter une lumière quelconque sur le sujet. Une heure s'était à peine écoulée que Mr. Marvin était avec nous.
Il comprenait l'impatience de Miss Trelawny. Quand il en eut appris suffisamment sur la maladie de son père, il lui dit:
– D'après ce que vous m'avez dit de la maladie de Mr. Trelawny et des autres questions – incidentes – nous nous trouvons bien dans un cas grave comme un de ceux en prévision desquels votre père a donné ces instructions impératives – tout à fait impératives. Elles sont si inflexibles qu'il m'a donné un mandat, aux termes duquel je me suis engagé à agir, et m'autorisant à veiller à l'exécution des désirs qu'il a exprimés par écrit. Croyez-moi, voulez-vous, une fois pour toutes, il tenait essentiellement à tous les points mentionnés dans cette lettre qu'il vous a écrite. Tant qu'il est vivant, il doit rester dans sa chambre. Et quelles que soient les circonstances, aucun objet lui appartenant ne doit en être retiré. Il a même laissé un inventaire des objets qui ne doivent pas être bougés.
Miss Trelawny restait silencieuse. Elle paraissait plus ou moins désemparée. Alors, pensant que j'en comprenais la cause directe, je demandai:
– Puis-je voir cette liste? Le visage de Miss Trelawny s'éclaira aussitôt; mais il s'assombrit de nouveau lorsque l'avocat se hâta de répondre – il était évidemment prêt à le faire:
– Il faudrait pour cela que je sois obligé d'agir aux termes de mon mandat; mais je vois que vous avez beaucoup de choses – beaucoup trop – de choses à supporter déjà. Cependant je n'ai pas le choix. Si vous désirez me consulter sur une question quelconque à n'importe quelle heure, je vous promets de venir sans retard, de jour comme de nuit. Voici mon adresse personnelle, dit-il en griffonnant sur une page de son carnet, et en dessous celle de mon club où l'on me trouve généralement dans la soirée. Il arracha la feuille et la lui tendit. Elle le remercia. Il lui serra la main ainsi qu'à moi et se retira.
Dès que la porte de l'antichambre se fut refermée sur lui, Mrs. Grant frappa et entra. Une telle détresse se peignait sur son visage que Miss Trelawny se redressa, pâle comme une morte, et lui demanda:
– Qu'est-ce que c'est, Mrs. Grant? Qu'y a-t-il? Un nouvel ennui?
– Je suis désolée d'être obligée de vous annoncer, mademoiselle, que tous les domestiques, à l'exception de deux, ont donné leur congé et désirent quitter la maison aujourd'hui même. Ils ont discuté entre eux; le maître d'hôtel a pris la parole au nom de tous les autres. Il dit qu'ils sont prêts à renoncer à leurs gages et même à payer l'indemnité légale plutôt que de faire leurs huit jours; mais ce qu'ils veulent, c'est partir aujourd'hui même.
– Quelle raison donnent-ils?
– Aucune, mademoiselle. Ils disent qu'ils regrettent beaucoup, mais qu'ils n'ont rien à dire. J'ai demandé à Jane, la première femme de chambre, qui n'est pas avec les autres et qui reste; elle m'a dit confidentiellement qu'ils se figuraient, ces imbéciles, que la maison était hantée!
Chapitre VI SOUPÇONS
La première à reprendre ses esprits fut Miss Trelawny. Elle dit avec une dignité pleine de hauteur:
– Très bien, Mrs. Grant. Qu'ils s'en aillent! Payez leur dû jusqu'à ce jour, plus un mois de gages. Jusqu'à présent, ils ont été d'excellents serviteurs; et l'occasion qu'ils prennent pour partir n'est pas ordinaire. Nous ne devons pas attendre une grande fidélité de quiconque est paralysé par la terreur. Ceux qui restent toucheront désormais des gages doubles; et envoyez-les moi, je vous prie, dès que je vous préviendrai.
Mrs. Grant était étouffée d'indignation. La gouvernante qu'il y avait en elle était outragée par un traitement aussi généreux réservé à des domestiques qui s'étaient mis d'accord pour donner leur congé.
Miss Trelawny fut très douce avec elle, et calma sa dignité offensée; si bien que lorsqu'elle se retira elle éprouvait, à sa façon, une hostilité moins marquée pour ceux qui servaient sous ses ordres. Dans un tout autre état d'esprit, elle ne tarda pas à revenir pour demander à sa maîtresse si celle-ci désirait qu'on engage un nouveau personnel complet, ou, tout au moins, qu'on essaie.
– Je pense, Mrs. Grant, que nous ferions mieux de nous en tirer avec les domestiques que nous avons. Tant que mon cher père sera malade, nous n'aurons pas d'invités, nous ne serons que trois dans la maison à avoir besoin d'être servis. Si ces domestiques qui sont disposés à rester ne suffisent pas, je prendrai seulement le personnel indispensable pour les aider. Il ne sera pas difficile, je pense, d'engager quelques femmes de chambre; certaines que vous connaissez peut-être déjà. Et ne perdez pas de vue ceci: les domestiques que vous engagerez, à condition qu'ils fassent l'affaire et qu'ils restent, recevront dès maintenant les mêmes gages que ceux qui n'ont pas quitté la maison. Vous comprendrez, naturellement, Mrs. Grant, que bien que je ne vous comprenne en aucune façon au nombre des domestiques, la règle du salaire double s'applique aussi à vous.
Tout en parlant, elle tendait sa longue main fine. L'autre la prit et la porta à ses lèvres avec émotion, dans un geste naturel de la part d'une femme âgée à l'égard d'une jeune. Je ne pouvais m'empêcher d'admirer la façon généreuse dont elle traitait ses domestiques. Je faisais mienne en moi-même la remarque que Mrs. Grant exprimait sotto voce en quittant la chambre:
– Rien d'étonnant à ce que cette maison ressemble au palais d'un roi, quand la patronne est une princesse!
Miss Trelawny resta assise un moment, à prendre des notes. Puis elle mit ses papiers de côté et envoya chercher les domestiques restés fidèles. Je pensai qu'elle préférait être seule, si bien que je la laissai. Quand je revins, elle avait encore les larmes aux yeux.
L'épisode auquel j'eus ensuite à participer était encore plus bouleversant, et infiniment plus pénible. Vers la fin de l'après-midi, le sergent Daw entra dans le bureau où je me trouvais. Après avoir soigneusement fermé la porte et avoir vérifié dans toute la pièce que nous étions seuls, il vint tout près de moi.
– Qu'y a-t-il? lui demandai-je. Je vois que vous désirez m'entretenir en particulier.
– Tout à fait, monsieur! Puis-je vous parler en toute confiance?
– Bien sûr que vous le pouvez. Dans tout ce qui concerne le bien de Miss Trelawny – et naturellement de Mr. Trelawny – vous pouvez être tout à fait franc. J'admets que nous désirons tous les deux les servir de notre mieux.
Il hésita avant de répondre:
– J'ai retourné cette affaire en tous sens, monsieur, jusqu'à en avoir le vertige; mais je ne peux y trouver aucune solution ordinaire. Au moment de chacune des tentatives personne n'est, semble-t-il, entré dans la maison; et personne n'en est certainement sorti. Vous n'êtes pas frappé par ce que cela implique?