Il s'interrompit subitement, puis reprit sur un ton différent:
– Regardez! il me semble que l'idiot abruti c'est moi-même! Je vous demande pardon, mon vieux, de ma brutalité. Je ne pouvais plus me contenir quand je vous ai entendu dire que je ne connaissais pas ces lampes. À présent, dites-moi comment vous les avez récupérées?
J'étais si surpris que je dis sans réfléchir:
– Nous ne les avons pas récupérées!
Le voyageur rit ouvertement.
– Que diable voulez-vous dire? demanda-t-il. Vous ne les avez pas récupérées? Voyons, elles sont là sous vos yeux! Quand nous sommes entrés, nous vous avons trouvés en train de les examiner.
À ce moment j'étais revenu de ma surprise et j'avais recouvré mes esprits.
– Eh bien! c'est précisément cela, dis-je. Nous sommes simplement tombés dessus accidentellement, à ce moment précis!
Mr. Corbeck se recula, eut un regard dur pour Miss Trelawny et pour moi; il tourna les yeux vers l'un puis vers l'autre de nous deux, et demanda:
– Vous prétendez que personne ne les a déposées ici; que vous les avez trouvées dans le tiroir? Que, pour ainsi dire, personne ne les a rapportées?
– Je suppose que quelqu'un a dû les apporter ici; elles n'ont pas pu venir toutes seules. Mais qui, à quel moment, comment, nous ne le savons ni l'un ni l'autre. Il faudra faire une enquête et chercher si l'un des domestiques sait quelque chose à ce sujet.
Nous sommes tous restés silencieux pendant plusieurs secondes, et cela nous parut long. Le premier à parler fut le détective, qui dit avec inconscience:
– Bon, je veux bien être pendu! Je vous demande pardon, mademoiselle! Sa bouche se referma avec rage.
Nous avons appelé les domestiques, un par un, et nous leur avons demandé s'ils savaient quelque chose au sujet d'objets placés dans un tiroir du boudoir; mais aucun d'eux ne put jeter la moindre lumière sur la question. Nous ne leur dîmes pas de quels objets il s'agissait; et nous ne les leur avons pas montrés.
Mr. Corbeck enveloppa les lampes dans du coton et les mit dans une boîte de fer-blanc. Celle-ci, soit dit en passant, fut portée dans la chambre des détectives, où l'un d'eux resta à la surveiller toute la nuit, le revolver au poing. Le lendemain nous nous procurâmes un petit coffre-fort, et nous les y avons placées. Il y avait deux clefs. J'en gardai une; je mis l'autre dans mon tiroir de ma salle des coffres-forts. Nous étions tous décidés à ce que les lampes ne soient pas perdues une deuxième fois.
Une heure environ après que nous avons retrouvé les lampes, le Dr Winchester arriva. Il portait un grand paquet qui, une fois défait, révéla la présence d'une momie de chat. Avec la permission de Miss Trelawny il la plaça dans son boudoir; et on amena Silvio tout à côté. À la grande surprise de tous, sauf peut-être du Dr Winchester lui-même, il ne manifesta pas le moindre ennui; il n'y fit même pas attention. Il resta tout à côté sur la table, en ronronnant bruyamment. Ensuite, conformément à notre plan, le docteur l'emporta dans la chambre de Mr. Trelawny. Nous suivions tous. Le docteur était très énervé, Miss Trelawny inquiète. J'étais moi-même plus qu'intéressé, car je commençais à entrevoir l'idée du docteur. Le détective affichait une attitude calme et froidement supérieure; mais Mr. Corbeck, qui était un enthousiaste, brûlait de curiosité.
Dès que le Dr Winchester entra dans la chambre, Silvio commença à miauler et à s'agiter; puis, bondissant de ses bras, il courut jusqu'à la momie du chat et se mit à la griffer avec fureur. Miss Trelawny eut quelque difficulté à le faire lâcher; mais dès qu'il fut sorti de la chambre, il retrouva son calme. Quand elle fut revenue, ce fut un concert de commentaires:
– Je pensais bien! dit le docteur.
– Qu'est-ce que cela peut vouloir dire? demanda Miss Trelawny.
– C'est très étrange! dit Mr. Corbeck.
– Curieux! mais cela ne prouve rien! dit le détective.
– Je réserve mon jugement! dis-je moi-même, pensant qu'il valait mieux dire quelque chose.
Puis, d'un commun accord, nous abandonnâmes ce sujet – provisoirement.
Ce soir-là, j'étais dans ma chambre en train de prendre quelques notes sur ce qui s'était passé, lorsqu'on frappa discrètement à ma porte. Quand j'eus répondu qu'on pouvait entrer, le sergent Daw fit son apparition; il referma soigneusement la porte derrière lui.
– Eh bien, sergent, lui dis-je, asseyez-vous. Qu'y a-t-il?
– Je voulais vous parler, monsieur, au sujet de ces lampes.
Je fis un signe d'approbation et attendis la suite.
– Vous savez que cette pièce dans laquelle on les a trouvées donne directement sur la chambre dans laquelle Miss Trelawny a dormi la nuit dernière?
– Oui.
– Pendant la nuit, quelque part dans cette partie de la maison, une fenêtre a été ouverte, puis refermée. Je l'ai entendue et j'ai jeté un coup d'œil aux alentours; mais je n'ai rien vu.
– Oui, je sais cela! dis-je. J'ai entendu moi-même cette fenêtre.
– Vous n'êtes pas frappé par ce que cela a d'étrange, monsieur?
– Étrange? dis-je. Mais cette affaire est dans son ensemble la chose la plus déconcertante, la plus affolante que j'aie jamais rencontrée. Tout cela est si étrange qu'on en est réduit à se poser des questions, ou plus simplement à attendre ce qui va arriver. Mais qu'entendez-vous par étrange?
Le détective marqua un temps, comme s'il voulait choisir ses mots; puis il se lança délibérément:
– Vous voyez, je ne suis pas de ceux qui croient à la magie et aux choses de ce genre. Je m'en tiens toujours aux faits; et je finis toujours à la longue par découvrir qu'il y a une raison et une cause à toute chose. Ce nouveau monsieur dit que ces objets lui ont été volés dans sa chambre d'hôtel. Ces lampes, je l'ai compris par ce qu'il a dit, appartiennent en réalité à Mr. Trelawny. Sa fille, la patronne dans cette maison, ayant quitté la chambre qu'elle occupe habituellement, dort cette nuit au rez-de-chaussée. On entend pendant la nuit une fenêtre s'ouvrir et se fermer. Quand nous, qui avons passé la journée à essayer de découvrir un indice concernant ce vol, arrivons dans la maison, nous trouvons les lampes volées dans une pièce contiguë de celle dans laquelle elle a dormi, et donnant sur celle-ci!
Il s'arrêta. La même sensation douloureuse et d'appréhension que j'avais ressentie lors de notre conversation précédente se développait en moi, ou plutôt m'envahissait. Il me fallait cependant faire face à la situation. Mes relations avec elle, le sentiment que j'éprouvais pour elle et qui, je le savais désormais, était à base d'amour profond et de dévouement, l'exigeaient. Je dis avec tout le calme dont j'étais capable, car je sentais le regard perçant de cet enquêteur adroit posé sur moi:
– Et votre conclusion?
Il répondit avec l'audace froide de la conviction:
– Ma conclusion est qu'il n'y a pas eu de vol. Les objets ont été apportés ici par quelqu'un et ils ont été passés à une autre personne par une fenêtre du rez-de-chaussée. On les a placés dans le cabinet, prêts à être découverts au moment propice.
– Et qui, d'après vous, les aurait apportés dans cette maison?
– Je reste ouvert à toutes les hypothèses. Peut-être Mr. Corbeck lui-même; l'affaire aurait été trop risquée pour qu'il se fie à une tierce personne.