Sans un mot, Mr. Trelawny saisit la pierre, et se précipita, en l'emportant, dans la pièce voisine. Il ouvrit avec autant de calme qu'il put la porte du coffre au moyen de la clef suspendue à son bracelet et mit la pierre à l'intérieur. Quand les lourdes portes furent refermées et la clef tournée, il eut l'air de respirer plus librement.
D'une certaine façon cet épisode, bien que troublant à bien des égards, parut nous remettre d'aplomb. Depuis notre départ de Londres, nous avions été surmenés, et nous éprouvions une sorte de soulagement. Une autre étape de notre étrange entreprise était franchie.
Le changement était plus accentué chez Margaret que chez n'importe lequel d'entre nous. Peut-être parce qu'elle était une femme, et nous des hommes; peut-être parce qu'elle était la plus jeune. Ou pour ces deux raisons. En tout cas, le changement était là, et j'étais plus heureux que je ne l'avais été à aucun moment du voyage. Tout son entrain, sa tendresse, ses sentiments profonds apparaissaient de nouveau; de temps à autre, lorsque les yeux se posaient sur elle, son visage semblait s'éclairer.
Pendant que nous attendions l'arrivée des camions, Mr. Trelawny nous fit faire le tour de la maison, en nous indiquant, avec explications, les endroits où les objets devraient être placés. Sur un seul sujet il s'abstint de confidence: la place que devaient occuper les objets ayant un rapport avec la Grande Expérience. Les caisses qui les contenaient devaient pour le moment être laissées dans le vestibule extérieur.
Quand nous eûmes terminé notre inspection, les camions commencèrent à arriver; et l'agitation de la nuit précédente reprit. Mr. Trelawny se tenait dans le hall à côté de la porte massive doublée de fer et donnait des instructions sur l'endroit où devaient être déposées les grandes caisses. Celles qui contenaient plusieurs objets étaient placées dans le vestibule intérieur, où elles seraient déballées.
Tout fut livré en un temps incroyablement bref; et les hommes partirent, après avoir reçu chacun, par l'intermédiaire de leur contremaître, un souvenir qui provoqua de leur part des remerciements empressés. Puis nous nous sommes tous rendus dans nos chambres. Nous étions gagnés par une étrange confiance. Je ne pense pas qu'aucun d'entre nous ait éprouvé le moindre doute sur l'atmosphère de calme dans laquelle allait se dérouler la fin de la nuit.
Cette confiance se révéla justifiée, car, le lendemain matin, en nous réunissant, nous pûmes vérifier que tout le monde avait dormi profondément et paisiblement.
Au cours de cette journée, tous les objets de collection, à l'exception de ceux qui serviraient à la Grande Expérience, furent mis à leur emplacement désigné. On prit alors les dispositions pour que tous les domestiques retournent le lendemain matin à Londres avec Mrs. Grant.
Après leur départ, Mr. Trelawny, après avoir vérifié que les portes étaient bien fermées à clef, nous emmena dans le bureau.
– À présent, dit-il, lorsque nous fûmes assis, j'ai un secret à vous confier; mais, en raison d'un engagement ancien qui m'y oblige, je dois vous demander de me promettre solennellement de ne pas le révéler. Depuis au moins trois cents ans, cette promesse a été exigée de tous ceux à qui il a été révélé, et plus d'une fois son respect a permis d'assurer la sécurité et de sauver des existences. Même ainsi, je suis en contradiction avec l'esprit, sinon avec la lettre de cette tradition; car je ne devrais le dire qu'aux membres directs de ma famille.
Nous fîmes tous la promesse demandée. Il continua:
– Il y a ici un endroit secret, une caverne, naturelle à l'origine, mais améliorée ensuite, sous la maison. Je ne vais pas entreprendre de vous dire qu'elle a toujours été utilisée d'une manière conforme à la loi. Pendant les Assises Sanglantes, un certain nombre de Cornouaillais y ont trouvé asile; antérieurement, et postérieurement, elle a constitué, j'en suis sûr, un endroit commode pour entreposer des marchandises de contrebande. Les Trelawny, je suppose que vous le savez, ont toujours été plus ou moins contrebandiers; leurs parents, amis et voisins n'étaient pas étrangers à ce genre d'entreprises. Pour toutes ces raisons une cachette sûre a toujours été considérée comme utile à avoir. Et comme les chefs de notre maison ont toujours insisté pour que le secret soit gardé, je mets un point d'honneur à m'y conformer. Plus tard, si tout va bien, je te le dirai naturellement, Margaret, et à vous aussi, Ross, sous les conditions que je suis obligé de poser.
Il s'est levé et nous l'avons suivi. Il nous a laissés dans le vestibule extérieur et s'est absenté pendant quelques minutes; quand il est reparu, il nous a fait signe de le suivre.
Dans le vestibule intérieur, nous avons trouvé toute une section d'un angle en saillie déplacée, laissant apparaître une cavité où, dans la pénombre, s'amorçait un escalier grossièrement taillé dans le roc. Comme il ne faisait pas absolument noir, il y avait manifestement un système d'éclairage naturel, si bien que sans avoir besoin de nous arrêter, nous avons suivi notre hôte qui descendait. Après quarante ou cinquante marches taillées dans un passage sinueux, nous sommes parvenus dans une grande caverne dont l'extrémité se perdait dans l'obscurité. C'était une salle énorme, vaguement éclairée par quelques fentes irrégulières de forme bizarre. C'étaient manifestement des fentes du rocher qui permettaient aux fenêtres d'être invisibles du dehors. Tout près de chacune était suspendu un volet qu'on pouvait amener dessus au moyen d'une corde. Le bruit des vagues qui venaient se briser sans cesse arrivait, étouffé, de loin au-dessus de nous. Mr. Trelawny prit immédiatement la parole:
– Voici l'endroit que j'ai choisi, comme cadre de notre Grande Expérience. C'est ce que j'ai trouvé de mieux. De cent différentes façons il remplit les conditions que j'ai été conduit à considérer comme primordiales pour son succès. Ici nous sommes, et serons, aussi isolés qu'aurait été la Reine Tera elle-même dans son tombeau de la Vallée de la Sorcière, et également dans une caverne taillée dans le roc. Pour le bien comme pour le mal, nous devons courir ici notre chance, et nous incliner devant les résultats. Si nous réussissons, nous serons en mesure d'inonder le monde de la science moderne d'un tel flot de lumière jaillie du Monde Antique que toutes les conditions de la pensée, de l'expérimentation et de la pratique s'en trouveront changées. Si nous échouons, alors, même le souvenir de notre tentative disparaîtra avec nous. Pour cela, et pour tout ce qui peut survenir d'autre, je crois que nous sommes prêts!
Mr. Trelawny prit une longue inspiration, et poursuivit sur un ton plus réconfortant, et en même temps plus décidé:
– Comme nous sommes tous d'accord, le plus tôt nous mettrons les choses en train, le mieux cela vaudra. Laissez-moi vous dire que cette salle, comme tout le reste de la maison, peut être éclairée à l'électricité. Nous n'avons pas pu connecter les fils aux câbles d'arrivée de peur de révéler notre secret, mais j'en ai un ici que nous pouvons brancher dans le vestibule pour compléter le circuit.
Tout en parlant, il commençait à monter les marches. Tout près de l'entrée, il prit l'extrémité d'un câble; il le tira en avant et le fixa à une prise dans le mur. Il tourna le bouton illuminant ainsi la caverne et l'escalier. Je pouvais voir à présent d'après la quantité de lumière qui arrivait dans le hall que le trou ménagé à côté de l'escalier arrivait directement dans la caverne. Au-dessus se trouvait une poulie avec une masse d'engins et de treuils faisant partie du matériel de Smeaton. Mr. Trelawny voyant que je regardais, me dit, en interprétant correctement ma pensée: