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J'aurais tout donné pour avoir un confident; mais cela était impossible. Comment aurais-je pu parler des doutes que j'éprouvais à l'égard de Margaret, même à son père. Comment aurais-je pu lui en parler à elle-même, puisque c'était d'elle qu'il s'agissait. Je ne pouvais que supporter – et espérer. Et supporter était encore ce qu'il y avait de moins pénible.

Ce jour-là, tous les occupants de la maison paraissaient très calmes. Chacun était occupé de son travail, ou de ses pensées. Nous ne nous rencontrions qu'aux heures des repas. Et alors, nous avions beau parler, chacun paraissait plus ou moins préoccupé. Il n'y avait même pas dans la maison l'agitation discrète que font en général régner les serviteurs. La précaution qu'avait prise Mr. Trelawny de faire préparer trois chambres pour chacun de nous rendait leur présence inutile. La salle à manger était solidement pourvue de provisions toutes cuites en quantité suffisante pour plusieurs jours. Vers le soir, je sortis faire un tour à pied. J'avais cherché en vain Margaret pour lui demander de m'accompagner. Mais quand je l'eus trouvée, elle était en proie à l'un de ses accès d'apathie, et le charme de sa présence me parut perdu. Furieux contre moi-même, mais incapable de triompher de mon mécontentement, j'allai seul me promener sur la presqu'île rocheuse.

Une fois sur la falaise, avec devant moi la vaste étendue de cette mer admirable, sans autre bruit que celui des vagues sous mes pieds et les cris aigus des mouettes au-dessus de ma tête, mes pensées se donnèrent libre cours. Quoi que je fasse, elles revenaient continuellement au même sujet, la recherche d'une solution au doute qui m'obsédait. Dans cette solitude, au centre du vaste cercle des forces de la Nature et de leurs luttes, mon esprit se mit à travailler pour de bon. Inconsciemment, je me surpris à me poser une question à laquelle je ne voulais pas répondre. Finalement, l'habitude que j'avais toujours eue de voir les choses en face prit le dessus; je me trouvai confronté avec mes doutes. La méthode qui avait été la mienne pendant toute ma vie commença à agir, et j'analysai le témoignage qui se trouvait devant moi.

C'était si bouleversant que je dus me forcer à me soumettre à un effort de logique. Mon point de départ était celui-ci: Margaret avait changé: de quelle façon, et par quels moyens? Était-ce son caractère, son esprit, ou sa nature? Car son aspect physique restait le même. Je me mis à rassembler tout ce que j'avais entendu dire sur son compte, en débutant par sa naissance.

L'étrangeté commençait dès ce moment. D'après Corbeck, elle était née d'une mère morte pendant le temps où son père et son ami étaient en catalepsie dans le tombeau à Assouan. Cet état avait été probablement provoqué par une femme; une femme momifiée, mais conservant, comme nous avions, après expérience, toutes les raisons de le croire, un corps astral soumis à une volonté libre et à une intelligence active. Pour ce corps astral, l'espace cessait d'exister. La grande distance entre Londres et Assouan se réduisait à rien; et tout le pouvoir de nécromancie dont pouvait disposer la Sorcière s'était peut-être exercé sur la mère morte, et, cela était possible, sur l'enfant morte.

La mère morte! Était-il possible que l'enfant ait été morte et qu'on l'ait fait revivre? D'où venait alors l'esprit qui l'avait animé – son âme? La logique me désignait pour de bon la façon dont cela s'était passé.

Si la croyance égyptienne était vraie pour les Égyptiens, alors le «Ka» de la Reine défunte et son «Khu» pouvaient animer ce qu'elle choisissait. Dans ce cas, Margaret n'aurait pas été le moins du monde un individu, mais simplement un aspect de la Reine Tera elle-même; un corps astral obéissant à sa volonté!

Là, je me révoltais contre la logique. Dans toutes les fibres de mon être je m'insurgeais contre une telle conclusion. Comment aurais-je pu croire qu'il n'existait pas du tout de Margaret; mais simplement une image animée utilisée par le Double d'une femme de quarante siècles auparavant pour réaliser ses desseins… D'une certaine façon, la perspective qui s'offrait à moi était plus brillante, en dépit de mes doutes récents.

Au moins, j'avais Margaret!

Le pendule de la logique se remettait à osciller. Alors, l'enfant n'était pas morte. Dans ce cas, la Sorcière avait-elle seulement quelque chose à faire avec sa naissance? Il était évident – je citais de nouveau Corbeck – qu'il y avait une étrange ressemblance entre Margaret et les portraits de la Reine Tera. Comment cela était-il possible? Ce ne pouvait pas être une marque de naissance reproduisant ce qui s'était trouvé dans l'esprit de la mère; car Mrs. Trelawny n'avait jamais vu ces portraits. Bien mieux, son père lui-même ne les avait pas vus jusqu'au moment où, quelques jours avant sa naissance, il était entré dans le tombeau de la Reine. Je ne pouvais pas me débarrasser de cette hypothèse aussi facilement que de la dernière; les fibres de mon être restaient calmes. Il me restait l'horreur du doute. Et même alors, l'esprit humain est si étrange, le doute lui-même devenait une image tangible – une pénombre vaste et impénétrable à travers laquelle clignotaient irrégulièrement et par accès les points minuscules d'une lumière fugitive, qui semblaient conférer à l'obscurité une existence positive.

La possibilité qui subsistait de relations entre Margaret et la Reine momifiée était que la Sorcière, d'une certaine façon occulte, avait le pouvoir de changer de place avec elle. Ce point de vue ne pouvait pas être écarté à la légère. Il y avait tant de circonstances suspectes qui l'appuyaient, à présent que mon attention s'y était fixée et que mon intelligence en reconnaissait la possibilité. Certainement, je ne pouvais pas agir d'une façon salutaire sans une juste conception et une reconnaissance des faits. Classés par ordre, ceux-ci étaient les suivants:

1. L 'étrange ressemblance entre Margaret et Tera, bien qu'étant née dans un autre pays, à des milliers milles de distance, alors que sa mère ne pouvait avoir eu une connaissance, même passagère, de l'apparence physique de la Reine.

2. La disparition du livre de Van Huyn après que j'eus lu la description du Rubis Étoilé.

3. La découverte des lampes dans le boudoir. Tera, par son corps astral pouvait avoir ouvert la porte de la chambre de Corbeck à l'hôtel, l'avoir refermée après en être sortie avec les lampes. Elle avait pu, de la même façon, ouvrir la fenêtre du boudoir et y déposer les lampes. Il n'aurait pas été nécessaire pour Margaret d'intervenir en personne; mais… mais c'était au moins étrange.

4. Ici les soupçons du détective et du docteur me revenaient avec une force nouvelle, et sur un champ plus vaste.

5. Il y avait les occasions où Margaret avait prédit exactement que le calme allait revenir, comme si elle avait eu une certaine conviction ou une connaissance des intentions du corps astral de la Reine.

6. Il y avait eu sa façon de suggérer qu'on allait retrouver le Rubis perdu par son père. En repensant à cet épisode à la lumière de mes soupçons concernant ses pouvoirs, la seule conclusion à laquelle je pouvais aboutir – en supposant toujours que la théorie du pouvoir astral de la Reine était exacte – était celle-ci: la Reine Tera, se préoccupant que tout aille bien dans le déménagement de Londres à Kyllion, avait, à sa façon, pris la Pierre dans le portefeuille de Mr. Trelawny, en le trouvant d'une certaine utilité dans sa surveillance surnaturelle du voyage. Alors, par un moyen mystérieux qui lui appartenait, elle avait, par l'intermédiaire de Margaret suggéré qu'elle était perdue puis retrouvée.