D'autre part, Nurse Kennedy était plutôt d'une taille inférieure à la normale. Elle était solidement bâtie, avec des membres vigoureux, des mains larges, fortes et capables. Dans l'ensemble, elle était de la couleur des feuilles d'automne. Après avoir examiné le lit qui venait d'être fait et avoir secoué les oreillers, elle s'adressa au docteur, qui lui donna ses instructions. Peu après, à nous quatre, nous soulevions du sofa le malade inconscient.
Au début de l'après-midi, quand le sergent Daw fut revenu, je me rendis à mes bureaux de Jermyn Street et fis envoyer vêtements, livres et papiers dont j'étais susceptible d'avoir besoin dans les prochains jours. Puis, j'allai accomplir mes fonctions juridiques.
Ce jour-là, la Cour siégea jusqu'à une heure avancée car une affaire importante se terminait; il était six heures tapant quand je m'arrêtai devant la porte de Kensington Palace Road. Je vis qu'on m'avait installé dans une grande chambre voisine de celle du malade.
Ce soir-là, le docteur nous dit:
– Je suis réellement et absolument incapable de trouver aucune raison valable à cet état de stupeur. J'ai procédé à un examen aussi complet que je suis capable de le faire; et j'ai la certitude qu'il n'y a aucune blessure du cerveau, c'est-à-dire externe. À dire vrai, tous les organes vitaux paraissent intacts. J'ai fait prendre, comme vous le savez, des aliments au malade à plusieurs reprises, et cela lui a manifestement fait du bien. Sa respiration est forte et régulière, son pouls est plus lent et plus vigoureux que ce matin. Je ne peux trouver la trace d'aucune drogue connue, et cet état d'inconscience ne ressemble à aucun des nombreux cas de sommeil hypnotique que j'ai pu observer à l'hôpital Charcot, de Paris. Quant à ces blessures – tout en parlant, il posait doucement le doigt sur le poignet bandé qui reposait sur la couverture -, je ne sais qu'en penser. Elles auraient pu être faites par une machine à carder; mais cette supposition est insoutenable. C'est dans le domaine du possible qu'elles aient été faites par un animal sauvage qui aurait voulu se faire les griffes. D'après ce qu'on me dit, cela est également impossible. À propos, avez-vous ici dans la maison des animaux de compagnie un peu étranges; quelque chose d'exceptionnel, comme un chat-tigre ou quelque chose de peu commun?
Miss Trelawny eut un sourire triste qui me fendit le cœur:
– Oh non! répondit-elle. Mon père n'aime pas qu'il y ait des animaux dans la maison, sauf quand ils sont morts et momifiés.
Cela fut dit avec une certaine amertume – ou une pointe de jalousie, je ne pourrais dire.
– Même mon pauvre chat n'a été admis à rester que par tolérance. Bien qu'il soit le plus charmant et le mieux élevé des chats, il est en quelque sorte banni et il n'est pas admis dans cette chambre.
Tandis qu'elle parlait on entendit un léger grattement sur le bouton de la porte. Le visage de Miss Trelawny, s'illumina aussitôt. Elle se précipita à la porte en disant:
– Le voici! C'est mon Silvio. Quand il veut entrer dans une pièce, il se dresse sur ses pattes de derrière et il gratte le bouton de la porte.
Elle ouvrit et s'adressa au chat comme à un bébé.
– Il voulait voir sa maman? Entre, alors, mais tu dois rester avec elle.
Elle souleva le chat et revint en le portant dans ses bras. C'était certainement un magnifique animal. Un persan gris chinchilla aux longs poils soyeux; un animal vraiment princier, avec une expression hautaine en dépit de sa douceur; et avec de grosses pattes qui s'étalaient quand il les posait par terre. Tandis qu'elle le caressait, il se tortilla soudain comme une anguille et s'échappa de ses bras. Il traversa la chambre en courant et se planta devant une table basse sur laquelle se trouvait la momie d'un animal et se mit à miauler et à gronder. Miss Trelawny bondit sur lui, et le souleva dans ses bras bien qu'il ait lutté et se soit débattu pour lui échapper; il ne mordait ni ne griffait cependant, car il adorait évidemment sa belle maîtresse. Dès qu'il fut dans ses bras, il cessa de faire du bruit; elle le réprimanda à mi-voix:
– Vilain Silvio! Tu as manqué à la parole que ta mère avait donnée en ton nom. À présent, dis bonsoir à ces messieurs, et viens dans la chambre de ta maman!
En même temps, elle me tendait la patte du chat pour que je la serre. Ce faisant je ne pus m'empêcher d'admirer sa taille et sa beauté.
– Mais, dis-je, sa patte à l'air d'un petit gant de boxe plein de griffes.
– Cela doit être ainsi, dit-elle en souriant. N'avez-vous pas remarqué que mon Sylvio a sept doigts? Regardez!
Elle lui ouvrit la patte, et il y avait en effet sept griffes distinctes, recouvertes chacune d'une gaine fine et délicate. Tandis que je caressais doucement la patte les griffes sortirent et accidentellement – le chat n'était pas en colère et ronronnait – l'une vint me griffer la main. En retirant cette main, je dis instinctivement:
– Eh bien! ses griffes coupent comme des rasoirs!
Le Dr Winchester s'était approché de nous et se penchait pour examiner les griffes du chat. Tandis que je parlais il fit entendre une interjection «Eh!» En même temps, il reprenait rapidement sa respiration. Tandis que je caressais le chat à présent calmé, le docteur alla jusqu'à la table pour arracher une feuille de buvard au sous-main et revint. Il étendit le buvard sur la paume de sa main et avec un simple «Excusez-moi!» destiné à Miss Trelawny. Il posa dessus la patte du chat et fit pression avec son autre main. Le chat hautain ne parut pas apprécier cette familiarité, et il essaya de dégager sa patte. C'était visiblement ce que le docteur souhaitait, car, ce faisant, le chat ouvrit les gaines de ses griffes et fit plusieurs éraflures sur le papier souple. Alors Miss Trelawny emporta son animal favori. Elle revint au bout de deux minutes et dit en rentrant:
– Il y a quelque chose de vraiment étrange avec cette momie! Quand Silvio est entré pour la première fois dans cette chambre – je l'avais apporté alors qu'il était tout bébé pour le montrer à père – il s'est comporté exactement de la même façon. Il a sauté sur la table, il a essayé de griffer et de mordre la momie. C'est ce qui a tellement mis mon père en colère et provoqué la sentence de bannissement dont a été victime le pauvre Silvio.
Pendant qu'elle était absente, le docteur Winchester avait ôté le bandage du poignet de son père. La blessure était à présent tout à fait nette, et les différentes coupures apparaissaient sous forme de lignes d'un rouge vif. Le docteur plia le papier buvard en travers de la ligne de piqûres faites par les griffes du chat et l'appliqua contre la blessure. En même temps, il leva les yeux en prenant un air triomphant et nous fit signe d'approcher.
Les coupures faites dans le papier correspondaient aux blessures du poignet! Il n'était besoin d'aucune explication, et il dit:
– Il aurait mieux valu que maître Silvio ne trahisse pas la parole donnée!
Nous sommes tous restés silencieux un instant. Miss Trelawny dit soudain:
– Mais Silvio n'était pas ici hier au soir!
– En êtes-vous sûre? Pourriez-vous en donner la preuve si cela était nécessaire?
Elle hésita avant de répondre:
– J'en suis certaine; mais je crains que ce ne soit difficile à prouver. Silvio dort dans ma chambre, couché dans un panier. Je l'ai certainement mis au lit hier au soir; je me rappelle nettement avoir étendu sur lui sa petite couverture, et l'avoir bordé. Ce matin, je l'ai sorti moi-même du panier. Je n'ai certainement remarqué sa présence ici à aucun moment; cependant, cela ne signifierait pas grand-chose, car j'étais trop préoccupée au sujet de mon pauvre père, et trop absorbée par lui pour avoir même remarqué Silvio.