Le docteur secoua la tête et dit avec une certaine tristesse:
– Bon, en tout cas, il est inutile d'essayer de prouver quelque chose dès à présent. N'importe quel chat aurait nettoyé les traces de sang sur ses pattes – s'il en avait eu – dans un laps de temps cent fois plus bref que celui qui s'est écoulé.
Nous nous sommes tous tus et de nouveau le silence fut rompu par Miss Trelawny:
– Mais maintenant que j'y pense, cela n'aurait pas pu être ce pauvre Silvio qui aurait blessé mon père. Ma porte était fermée quand j'ai entendu du bruit pour la première fois; et celle de mon père était fermée quand j'ai prêté l'oreille. Quand je suis entrée, la blessure avait été faite; elle n'a donc pu être faite qu'avant que Silvio ait eu la possibilité d'entrer.
Ce raisonnement allait de soi, spécialement pour moi qui suis avocat, car c'était une preuve capable de donner satisfaction à un jury. J'éprouvai un net plaisir à voir Silvio acquitté de ce crime – probablement parce que c'était le chat de Miss Trelawny, et qu'elle l'adorait. Heureux chat! Sa maîtresse était visiblement heureuse de m'entendre dire:
– Verdict: non coupable!
Après un silence, le Dr Winchester fit observer:
– Sur ce point, mes excuses à maître Silvio, mais je reste curieux de savoir pourquoi il en veut tellement à cette momie. A-t-il la même attitude à l'égard des autres momies de la maison? Il y en a, je suppose, une quantité. En entrant, j'en ai vu trois dans le vestibule.
– Il y en a des quantités, répondit-elle. Il y a des moments où je me demande si je suis dans une maison privée ou au British Museum. Mais Silvio, à part celle-ci, ne s'intéresse jamais à aucune d'elles. C'est, je suppose, parce que c'est la momie d'un animal et non pas d'un homme ou d'une femme.
– C'est peut-être celle d'un chat! dit le docteur en se levant et en traversant la pièce pour aller examiner la momie de plus près. Oui, poursuivit-il, c'est la momie d'un chat; et d'un très beau chat, de plus. Il n'aurait jamais été l'objet d'un tel honneur s'il n'avait pas été l'animal favori de quelque personne très particulière. Regardez! Une boîte peinte, des yeux d'obsidienne – exactement comme une momie humaine. C'est une chose extraordinaire cette connaissance qu'un animal peut avoir d'un représentant de son espèce. Il y a ici un chat mort – c'est tout; et il est peut-être vieux de quatre ou cinq mille ans – et un chat différent d'une race différente, dans un monde qui est pratiquement un autre monde, est prêt à sauter dessus, exactement comme s'il n'était pas mort. J'aimerais faire quelques expériences avec ce chat, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, Miss Trelawny.
Elle hésita avant de répondre:
– Bien entendu, faites tout ce que vous jugerez nécessaire ou sage de faire; mais j'espère qu'il n'y aura rien qui puisse faire du mal ou ennuyer mon pauvre Silvio.
– Oh! pour Silvio tout ira bien; c'est à l'autre chat que mes sympathies seront réservées.
– Que voulez-vous dire?
– Maître Silvio attaquera; l'autre subira ses attaques.
– Subira? Il y avait comme une expression de souffrance dans sa voix. Le sourire du docteur s'élargit.
– Oh! je vous en prie, rassurez-vous. L'autre chat ne souffrira pas dans le sens où nous l'entendons; sauf peut-être dans sa structure et sa parure.
– Que diable voulez-vous dire?
– Simplement ceci, ma chère jeune dame: l'adversaire sera un chat momifié comme celui-ci. Il y en a, d'après ce qu'on m'a dit, tant qu'on veut à Museum Street. Je vais aller en chercher un et le mettre à la place de celui-ci. N'allez pas imaginer, je l'espère, que ce changement temporaire va violer les instructions de votre père. Nous déterminerons, pour commencer, si Silvio est contre tous les chats momifiés, ou seulement contre celui-ci en particulier.
– Je ne sais pas, dit-elle en hésitant. Les instructions de mon père semblent très inflexibles. Puis, après un temps de réflexion, elle poursuivit: Mais dans les circonstances actuelles tout ce qui doit être finalement pour son bien doit être fait. Je pense qu'il ne peut rien avoir de très particulier dans le cas d'une momie de chat.
J'eus à ce moment une pensée qui ressemblait à une inspiration. Si j'étais ainsi influencé par l'odeur, n'était-il pas possible que le malade, qui passait dans cette atmosphère la moitié de son existence ou même davantage, ait progressivement, par un processus lent mais sûr, absorbé dans son organisme quelque principe qui se serait trouvé en telle quantité que de cette concentration aurait résulté une action renforcée…
Je commençais à me perdre dans une rêverie. Ça n'allait pas. Je devais rester vigilant, exempt de pensées obsédantes. Je n'avais dormi que la moitié de la nuit dernière; et cette nuit-ci, j'allais devoir rester éveillé. Sans dire mon intention, car je craignais d'aggraver le trouble et le malaise de Miss Trelawny, je descendis l'escalier et sortis de la maison. Je ne tardai pas à trouver une pharmacie et j'en sortis après avoir fait l'acquisition d'un masque respiratoire. Quand je revins, il était dix heures. Le docteur rentrait coucher chez lui. L'infirmière l'accompagna jusqu'à la porte de la chambre du malade, pour prendre ses dernières instructions. Miss Trelawny était toujours assise à côté du lit. Le sergent Daw, qui était entré au moment où le docteur sortait, se tenait un peu à l'écart.
Quand Nurse Kennedy nous eut rejoints nous nous arrangeâmes pour qu'elle puisse veiller jusqu'à deux heures et, à ce moment-là, Miss Trelawny prendrait la relève. Ainsi, conformément aux instructions de Mr. Trelawny, il y aurait toujours un homme et une femme dans la chambre; et chacun de nous les doublerait, si bien qu'une nouvelle équipe de veilleurs ne prendrait jamais son service sans qu'il y ait quelqu'un pour leur dire, le cas échéant, ce qui s'était passé. Je m'étendis sur un sofa dans ma propre chambre, après avoir chargé l'un des domestiques de me réveiller un peu avant minuit. Quelques instants après, je dormais.
Quand on m'éveilla, il me fallut plusieurs secondes pour reprendre mes esprits, retrouver mon identité et reconnaître mon entourage. Cependant, ces quelques instants de sommeil m'avaient fait du bien, et j'étais en mesure de considérer les choses qui m'entouraient sous un jour plus pratique que je ne pouvais le faire plus tôt dans la soirée. Je me bassinai le visage, ce qui me rafraîchit, et j'entrai dans la chambre du malade. Je marchais très doucement. L'infirmière était assise près du lit, calme et alerte. Le détective était assis dans un fauteuil, plongé dans l'ombre, à l'autre extrémité de la chambre. Je m'approchai de lui et il ne bougea pas tant que je ne fus pas tout près. Il me dit alors à voix basse:
– Tout va bien. Je n'ai pas dormi!
Ce qui, me semblait-il n'était pas nécessaire à dire. Il en est toujours ainsi, à moins que ce ne soit foncièrement faux. Quand je lui dis que sa garde était terminée, qu'il pouvait aller se coucher et rester au lit jusqu'à ce que je le réveille à six heures, il parut soulagé et partit avec empressement. Une fois à la porte, il se retourna, revint vers moi et me dit à voix basse:
– J'ai le sommeil léger et j'aurai mes pistolets avec moi. J'aurai la tête moins lourde quand je serai sorti de cette odeur de momie.