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Il avait éprouvé la même impression de somnolence que moi!

Pendant un temps qui me parut fort long, je restai assis à enchaîner pensées sur pensées. Elles formaient un mélange désordonné, comme on pouvait s'y attendre en raison des événements de la journée et de la nuit précédentes. Je me surpris de nouveau à songer à cette odeur égyptienne – et je me rappelle avoir éprouvé une délicieuse satisfaction à ne pas l'avoir sentie comme auparavant. Le masque respiratoire remplissait son office.

Je repris instantanément l'usage complet de mes sens. Un cri aigu résonnait encore dans mes oreilles. La chambre était soudain illuminée. Il y eut des coups de pistolet un, deux. Et une fumée blanche dans la chambre.

Quand, m'étant bien réveillé, je repris le plein usage de mes yeux, j'aurais pu hurler moi-même en face du spectacle que j'avais devant moi.

Chapitre IV LA SECONDE TENTATIVE

Près du lit vide, la Nurse Kennedy, dans la position où mes yeux l'avaient vue pour la dernière fois, était assise toute droite dans son fauteuil. Elle avait placé un oreiller derrière elle, pour que son dos soit bien droit; mais son cou était rigide comme si elle avait été plongée dans un état cataleptique. Elle était, à tous points de vue, transformée en pierre. Il n'y avait sur son visage aucune expression particulière – ni peur, ni horreur, rien de ce à quoi on aurait pu s'attendre en pareille circonstance. Ses yeux ouverts n'exprimaient ni étonnement ni intérêt. Elle était simplement dans un état d'existence négatif, elle respirait, elle avait chaud, elle était paisible; mais absolument inconsciente de ce qui l'entourait. Les draps du lit étaient en désordre, comme si le malade en avait été sorti sans qu'ils aient été remis en place. Le coin du drap du dessus pendait sur le sol; tout à côté se trouvait l'un des bandages avec lesquels le docteur avait pansé le poignet blessé. Un autre, puis encore un autre, se trouvaient sur le sol, jalonnant la direction dans laquelle on devait désormais chercher le malade. Il se trouvait presque exactement au même endroit que la nuit précédente, sous le grand coffre-fort. De nouveau, le bras gauche était tendu vers ce coffre. Mais il y avait une nouvelle blessure comme si on avait tenté de couper le bras tout près du bracelet auquel était suspendue la clef minuscule. Un lourd couteau Kukri – l'un de ces couteaux en forme de feuille que les Gurkha et d'autres tribus des collines de l'Inde emploient à cet effet – avait été pris à la place qu'il occupait sur le mur; et il avait servi à effectuer cette tentative. Il était évident que le coup avait été arrêté au moment où il allait être porté; car seule la pointe, et non le tranchant de la lame, avait touché la chair. Mais même ainsi, la partie externe du bras avait été entamée jusqu'à l'os, et le sang coulait. De plus la première blessure faite sur la partie antérieure du bras avait été rouverte ou arrachée d'une manière terrible; l'une des entailles semblait laisser jaillir le sang à chaque battement du cœur. Miss Trelawny était agenouillée à côté de son père, sa chemise de nuit blanche était tachée du sang dans lequel elle était à genoux. Au milieu de la chambre le Sergent Daw, vêtu d'une chemise, d'un pantalon, et en chaussettes, rechargeait son revolver d'une manière somnolente et machinale.

Au moment où je me levais de mon fauteuil et m'avançais, Miss Trelawny leva les yeux vers moi. Quand elle me vit elle poussa un cri, bondit sur ses pieds, me montra du doigt. Je n'oublierai jamais cet étrange tableau: Miss Trelawny drapée dans sa longue chemise tachée de traînées de sang qui descendaient jusqu'à ses pieds nus. Je pense que je m'étais simplement endormi; quelle que soit l'influence qui ait agi sur Mr. Trelawny et sur la Nurse Kennedy – et à un degré moindre sur le sergent Daw -, j'y avais échappé. Le masque respiratoire avait été d'une certaine utilité, mais il n'avait pas permis d'éviter la tragédie dont j'avais les conséquences sous les yeux. Je peux comprendre aujourd'hui – je pouvais même le comprendre à l'époque – la terreur que mon aspect pouvait déclencher, surtout en intervenant après tout ce qui venait de se passer. Je portais encore ce masque, qui me recouvrait la bouche et le nez; mes cheveux s'étaient mis en désordre pendant mon sommeil. Arrivant soudain, ainsi accoutré et ébouriffé, au milieu de cette foule horrifiée, je devais avoir, dans cet étrange mélange de lumières, un aspect extraordinaire et terrifiant. Heureusement je m'en aperçus en temps voulu pour éviter une nouvelle catastrophe; car le détective à moitié hébété, qui agissait machinalement, chargeait son revolver et le levait dans ma direction pour me tirer dessus, quand je réussis à arracher mon masque et à lui crier de se tenir tranquille. Là aussi il agissait machinalement; ses yeux rouges éveillés à moitié seulement, n'avaient même pas l'intention de participer à une action consciente. Cependant, le danger était écarté.

Nous avons soulevé Mr. Trelawny et l'avons étendu sur le sofa où il reposait la veille; après avoir fait ce que nous pouvions pour lui, nous reportâmes notre attention sur l'infirmière. Malgré tout ce remue-ménage, elle n'avait pas bougé; elle était assise comme avant, toute droite et raide, elle respirait doucement et naturellement, elle avait un sourire placide. Comme il était manifestement inutile de tenter quoi que ce fût pour elle tant que le docteur n'était pas là, nous nous sommes mis à envisager la situation générale.

Pendant ce temps, Mrs. Grant avait emmené sa maîtresse pour la changer de vêtements; car elle était à présent revenue en robe de chambre et pantoufles, et les traces de sang avaient disparu de ses mains. Elle était beaucoup plus calme, mais elle tremblait lamentablement; et elle était d'une pâleur de morte. Quand elle regarda le poignet de son père, alors que je tenais le tourniquet, elle fit des yeux le tour de la pièce, en s'attardant successivement sur chacun de nous, mais sans avoir l'air d'y trouver le moindre réconfort. Il était tellement évident pour moi qu'elle ne savait pas par où commencer ou à qui se fier que, pour la rassurer, je lui dis:

– Je suis très bien à présent. Je m'étais simplement endormi.

Elle eut un haut-le-corps pour dire à voix basse:

– Endormi! Vous! quand mon père était en danger! Je croyais que vous étiez de garde!

Je sentis l'aiguillon du reproche; mais je désirais réellement lui venir en aide, si bien que je répondis:

– Assoupi seulement. C'est déjà assez mal, je le sais; mais il y a plus grave ici. Si je n'avais pas pris une précaution précise je serais peut-être dans l'état où se trouve en ce moment l'infirmière.

Elle porta rapidement les yeux sur l'étrange silhouette assise, raide et sinistre comme une statue peinte, et son visage se radoucit. Mue par son habituelle courtoisie, elle dit:

– Pardonnez-moi! Je ne voulais pas être désagréable. Mais je suis dans un tel état de désarroi et de peur que je sais à peine ce que je dis. Oh! C'est terrible! Je crains de nouveaux ennuis, de l'horreur et du mystère à tout instant.

Je fus touché au plus profond de moi-même par ces paroles et je lui dis avec une pleine sincérité:

– Ne m'accordez pas une seule pensée! Je ne le mérite pas. J'étais de garde, et je me suis néanmoins endormi. Tout ce que je puis dire c'est que je ne l'ai pas fait exprès; que j'ai essayé de l'éviter; mais j'ai été terrassé avant de m'en apercevoir. De toute façon, c'est fait à présent; on n'y peut rien changer. Nous pourrons peut-être un jour comprendre tout cela; mais dès maintenant, essayons de nous faire une idée de ce qui a pu se passer. Dites-moi ce que vous vous rappelez!