Выбрать главу

— Je suis bon; cela ne se sait pas assez, dit Robert. Mais vous ne m’apprenez rien sur Juvigny, l’ancien valet d’Enguerrand?

Le notaire baissa le nez d’un air coupable.

— Je n’en obtiens rien, dit-il; il refuse; il prétend qu’il ne sait pas, qu’il ne se souvient plus.

— Comment! s’écria Robert, je suis allé moi-même au Louvre, où il est pensionné pour faire bien peu, et je lui ai parlé! Et il s’obstine à ne pas se souvenir? Voyez donc si on ne peut le mettre un peu à la question. La vue des tenailles l’aidera peut-être à dire la vérité.

— Monseigneur, répondit le notaire tristement, on tourmente les prévenus, mais pas encore les témoins.

— Alors apprenez-lui que, si la mémoire ne lui revient pas, ses gages seront supprimés. Je suis bon; encore faut-il qu’on m’y aide.

Il saisit un chandelier de bronze qui pesait bien quinze livres et le fit sauter, tout en marchant, d’une main dans l’autre.

Le notaire pensa à l’injustice divine qui accorde tant de force musculaire à des gens qui ne l’emploient que pour s’amuser, et si peu aux pauvres notaires qui ont leur lourd sac de cuir noir à porter.

— Ne craignez-vous pas, Monseigneur, si vous supprimez à Juvigny ses gages, qu’il ne puisse les retrouver de la main de la comtesse Mahaut?

Robert s’arrêta.

— Mahaut? s’écria-t-il, mais elle ne peut plus rien; elle se terre, elle a peur. L’a-t-on vue à la cour ces temps-ci? Elle ne bouge plus, elle tremble, elle sait qu’elle est perdue.

— Dieu vous entende, Monseigneur, Dieu vous entende. Certes, nous gagnerons; mais cela n’ira pas sans encore quelques petites traverses…

Tesson hésitait à continuer, non tant par crainte de ce qu’il avait à dire qu’à cause du poids du sac. Encore cinq ou dix minutes à rester debout.

— J’ai été avisé, reprit-il, que nos gens d’enquête sont suivis en Artois, et nos témoins visités par d’autres que par nous. En outre, ces temps-ci, il y a eu certain va-et-vient de messagers entre l’hôtel de Madame Mahaut et Dijon. On a vu sa porte passée par divers chevaucheurs à la livrée de Bourgogne…

Mahaut cherchait à resserrer ses liens avec le duc Eudes, c’était chose bien claire. Or le parti de Bourgogne disposait à la cour de l’appui de la reine.

— Oui, mais moi j’ai le roi, dit Robert. La gueuse perdra, Tesson, je vous l’affirme.

— Il faudrait quand même produire les pièces, Monseigneur, parce que sans pièces… À des dires on peut toujours opposer d’autres dires… Le plus tôt sera le mieux.

Il avait de personnelles raisons pour insister. À inspirer tant de témoignages, voire à les extorquer par achat ou menaces, un notaire peut faire sa fortune, mais il risque aussi le Châtelet, et même la roue… Tesson ne souhaitait guère prendre la place de l’ancien bailli de Béthune.

— Elles viennent, vos pièces, elles viennent! Elles arrivent, je vous le dis! Croyez-vous que ce soit si facile de les obtenir?… À propos, Tesson, dit soudain Robert en désignant de l’index le sac de cuir noir, vous avez noté dans le témoignage du comte de Bouville que le traité de mariage avait été scellé par les douze pairs. Pourquoi avez-vous noté cela?

— Parce que le témoin l’a dit, Monseigneur.

— Ah oui… C’est très important, dit Robert songeur.

— Pourquoi donc, Monseigneur?

— Pourquoi? Parce que j’attends l’autre copie du traité, celle des registres d’Artois, qui doit m’être remise… et pour fort cher, d’ailleurs… Si les noms des douze pairs n’y figuraient pas, la pièce ne serait point bonne. Quels étaient les pairs en ce temps-là? Pour les ducs et comtes, c’est chose facile; mais les pairs d’Église, quels étaient-ils? Voyez comme il faut être attentif à tout?

Le notaire regarda Robert avec un mélange d’inquiétude et d’admiration.

— Savez-vous, Monseigneur, que si vous n’aviez pas été si grand sire, vous eussiez fait le meilleur notaire qui soit au royaume? Sans offense, je dis cela sans offense, Monseigneur!

Robert sonna pour qu’on raccompagnât son visiteur.

À peine le notaire se fut-il retiré que Robert sortit par une petite porte ménagée entre les hanches de la Madeleine — un jeu de décoration qui l’amusait fort — et courut à la chambre de son épouse. En ayant chassé les dames de parage, il dit:

— Jeanne, ma bonne amie, ma chère comtesse, faites savoir à la Divion d’interrompre l’écriture du traité de mariage: il y faut le nom des douze pairs de l’an 82. Les savez-vous? Eh bien, moi non plus! Où peut-on se les procurer sans donner l’éveil? Ah! que de temps perdu! Que de temps perdu!

La comtesse de Beaumont, de ses beaux yeux bleus limpides, contemplait son mari; un vague sourire éclairait son visage. Son géant avait encore trouvé quelque motif d’agitation. Très calmement elle dit:

— À Saint-Denis, mon doux ami, à Saint-Denis, aux registres de l’abbaye. Nous y relèverons sûrement les noms des pairs. Je vais y envoyer Frère Henry, mon confesseur, comme s’il voulait faire quelque recherche savante…

Une expression de tendresse amusée, de gratitude joyeuse, passa sur le large visage de Robert.

— Savez-vous, ma mie, dit-il en s’inclinant avec une grâce pesante, que si vous n’étiez pas si haute dame, vous eussiez fait le meilleur notaire du royaume?

Ils se sourirent, et dans les yeux de Robert la comtesse de Beaumont, née Jeanne de Valois, lut la promesse qu’il visiterait son lit le soir.

III

LES FAUSSAIRES

On croit toujours, lorsqu’on s’engage sur le chemin du mensonge, que le trajet sera court et facile; on franchit aisément et même avec un certain plaisir les premiers obstacles; mais bientôt la forêt s’épaissit, la route s’efface, se ramifie en sentiers qui vont se perdre dans les marécages; chaque pas bute, s’enfonce ou s’enlise; on s’irrite; on se dépense en démarches vaines dont chacune constitue une nouvelle imprudence.

À première vue, rien de plus simple que de contrefaire un vieux document. Une feuille de vélin jaunie au soleil et usée dans la cendre, la main d’un clerc soudoyé, quelques sceaux appliqués sur des lacets de soie: voilà qui ne semble requérir que peu de temps et des dépenses modiques.

Pourtant, Robert d’Artois avait dû renoncer, provisoirement, à faire reconstituer le contrat de mariage de son père. Et cela, non seulement à cause de la recherche du nom des douze pairs, mais aussi parce qu’il fallait que l’acte fût rédigé en latin et que n’importe quel clerc n’était pas apte à fournir la formule utilisée naguère dans les traités des mariages princiers. L’ancien aumônier de la reine Clémence de Hongrie, instruit de ces matières, tardait à fournir l’entrée et l’issue de lettre; on n’osait trop le presser de peur que la démarche ne prît un air suspect.

Il y avait aussi la question des sceaux.

— Faites-les copier par un graveur de coins, d’après d’anciens cachets, avait dit Robert.

Or les graveurs de sceaux étaient assermentés; celui de la cour, interrogé, avait déclaré qu’on ne pouvait imiter exactement un sceau, que deux coins jamais n’étaient identiques, et qu’une cire scellée d’un faux coin se reconnaissait aisément aux yeux des experts. Quant aux coins originaux, ils étaient toujours détruits à la mort de leur propriétaire.

Donc il fallait se procurer d’anciens actes pourvus des cachets dont on avait besoin, détacher ceux-ci, ce qui n’était pas opération aisée, et les reporter sur la fausse pièce.