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«Il est très gentil, ce petit garçon, dit-il enfin, en me passant la main sur la tête; mais…

– C'est mon petit mari, dit la dame en blanc.

– Eh bien, reprit le monsieur, ne pourriez-vous le renvoyer à sa mère? Ce que j'ai à vous dire ne doit être entendu que de vous.» Elle lui céda.

«Chéri, me dit-elle, va jouer dans la salle à manger, et ne reviens que quand je t'appellerai. Va, chéri!» J'y allai le cœur gros. Elle était pourtant très curieuse, la salle à manger, à cause d'un tableau à horloge qui représentait une montagne au bord de la mer avec une église, sous un ciel bleu. Et quand l'heure sonnait, un navire s'agitait sur les flots, une locomotive avec ses voitures sortait d'un tunnel et un ballon s'élevait dans les airs. Mais, quand l'âme est triste, rien ne peut lui sourire. D'ailleurs, le tableau à horloge restait immobile, il paraît que la locomotive, le navire et le ballon ne partaient que toutes les heures, et c'est long, une heure! Du moins, ce l'était en ce temps-là. Par bonheur, la cuisinière vint chercher quelque chose dans le buffet et, me voyant tout triste, me donna des confitures qui charmèrent les peines de mon cœur.

Mais, quand je n'eus plus de confitures, je retombai dans le chagrin. Bien que le tableau à horloge n'eût pas encore sonné, je me figurais que des heures et des heures s'amoncelaient sur ma triste solitude. Par moments, il me venait de la chambre voisine quelques éclats de la voix du monsieur; il suppliait la dame en blanc, puis il semblait en colère contre elle. C'était bien fait. Mais n'en finiraient-ils donc jamais? Je m'aplatis le nez contre les vitres, je tirai des crins aux chaises, j'agrandis les trous du papier de tenture, j'arrachai les franges des rideaux, que sais-je?

L'ennui est une terrible chose. Enfin, n'y pouvant plus tenir, je m'avançai sans bruit jusqu'à la porte qui donnait accès dans la chambre aux magots et je haussai le bras pour atteindre le bouton. Je savais bien que je faisais une action indiscrète et mauvaise; mais cela même me donnait une espèce d'orgueil.

J'ouvris la porte et je trouvai la dame en blanc debout contre la cheminée. Le monsieur, à genoux à ses pieds, ouvrait de grands bras comme pour la prendre. Il était plus rouge qu'une crête de coq; les yeux lui sortaient de la tête.

Peut-on se mettre dans un état pareil?

«Cessez, monsieur, disait la dame en blanc, qui était plus rose que de coutume et très agitée… Cessez, puisque vous me dites que vous m'aimez; cessez… et ne me faites pas regretter…» Et elle avait l'air de le craindre et d'être à bout de forces.

Il se releva vite en me voyant, et je crois bien qu'il eut un moment l'idée de me jeter par la fenêtre. Mais elle, au lieu de me gronder comme je m'y attendais, me serra dans ses bras en m'appelant son chéri.

M'ayant emporté sur le canapé, elle pleura longtemps et doucement sur ma joue. Nous étions seuls. Je lui dis, pour la consoler, que le monsieur aux favoris était un vilain homme et qu'elle n'aurait pas de chagrin si elle était restée seule avec moi, comme c'était convenu. Mais, c'est égal, je trouvai que les grandes personnes étaient quelquefois bien drôles.

À peine étions-nous remis, que la dame en noir entra avec des paquets.

Elle demanda s'il n'était venu personne.

«M. Arnould est venu, répondit tranquillement la dame en blanc; mais il n'est resté qu'une seconde.» Pour cela, je savais bien que c'était un mensonge; mais le bon génie de la dame en blanc, qui sans doute était avec moi depuis quelques instants, me mit son doigt invisible sur la bouche.

Je ne revis plus M. Arnould, et mes amours avec la dame en blanc ne furent plus troublées; c'est pourquoi, sans doute, je n'en ai pas gardé le souvenir. Hier encore, c'est-à-dire après plus de trente ans, je ne savais pas ce qu'elle était devenue.

Hier, j'allai au bal du ministre des Affaires étrangères. Je suis de l'avis de Lord Palmerston, qui disait que la vie serait supportable sans les plaisirs. Mon travail quotidien n'excède ni mes forces ni mon intelligence, et j'ai pu parvenir à m'y intéresser. Ce sont les réceptions officielles qui m'accablent. Je savais qu'il serait fastidieux et inutile d'aller au bal du ministre; je le savais et j'y allai, parce qu'il est dans la nature humaine de penser sagement et d'agir d'une façon absurde.

À peine étais-je entré dans le grand salon, qu'on annonça l'ambassadeur de *** et madame ***. J'avais rencontré plusieurs fois l'ambassadeur, dont la figure fine porte l'empreinte de fatigues qui ne sont point toutes dues aux travaux de la diplomatie. Il eut, dit-on, une jeunesse orageuse, et il court sur son compte, dans les réunions d'hommes, plusieurs anecdotes galantes. Son séjour en Chine, il y a trente ans, est particulièrement riche en aventures qu'on aime à conter à huis clos en prenant le café. Sa femme, que je n'avais pas l'honneur de connaître, me sembla passer la cinquantaine. Elle était tout en noir; de magnifiques dentelles enveloppaient admirablement sa beauté passée, dont l'ombre s'entrevoyait encore. Je fus heureux de lui être présenté; car j'estime infiniment la conversation des femmes âgées.

Nous causâmes de mille choses, au son des violons qui faisaient danser les jeunes femmes, et elle en vint à me parler par hasard du temps où elle logeait dans un vieil hôtel du quai Malaquais.

«Vous étiez la dame en blanc! m'écriai-je.

– En effet, monsieur, me dit-elle; je m'habillais toujours en blanc.

– Et moi, madame, j'étais votre petit mari.

– Quoi! monsieur, vous êtes le fils de cet excellent docteur Nozière? Vous aimiez beaucoup les gâteaux. Les aimez-vous encore? Venez donc en manger chez nous.

Nous avons tous les samedis un petit thé intime. Comme on se retrouve!

– Et la dame en noir?

– C'est moi qui suis aujourd'hui la dame en noir. Ma pauvre tante est morte l'année de la guerre. Dans les derniers temps de sa vie elle parlait souvent de vous.»

Tandis que nous causions ainsi, un monsieur à moustaches et à favoris blancs salua respectueusement l'ambassadrice, avec toutes les grâces raides d'un vieux beau. Il me semblait bien reconnaître son menton.

«M. Arnould, me dit-elle, un vieil ami.»

III JE TE DONNE CETTE ROSE

Nous habitions un grand appartement plein de choses étranges. Il y avait sur les murs des trophées d'armes sauvages surmontés de crânes et de chevelures; des pirogues avec leurs pagaies étaient suspendues aux plafonds, côte à côte avec des alligators empaillés; les vitrines contenaient des oiseaux, des nids, des branches de corail et une infinité de petits squelettes qui semblaient pleins de rancune et de malveillance. Je ne savais quel pacte mon père avait fait avec ces créatures monstrueuses, je le sais maintenant: c'était le pacte du collectionneur. Lui, si sage et si désintéressé, il rêvait de fourrer la nature entière dans une armoire. C'était dans l'intérêt de la science; il le disait, il le croyait; en fait, c'était par manie de collectionneur.

Tout l'appartement était rempli de curiosités naturelles.

Seul, le petit salon n'avait été envahi ni par la zoologie, ni par la minéralogie, ni par l'ethnographie, ni par la tératologie; là, ni écailles de serpents ni carapaces de tortues, point d'ossements, point de flèches de silex, point de tomahawks, seulement des roses. Le papier du petit salon en était semé. C'étaient des roses en bouton, closes, modestes, toutes pareilles et toutes jolies.