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Et voilà Pierre de nouveau blêmissant et rougissant sur des images. vers la fin de décembre, je le trouvai nerveux avec des yeux énormes et de petites mains sèches. Il dormait mal et ne voulait plus manger.

Le médecin disait:

«Il n'a rien; faites-le manger.» Mais le moyen? Sa pauvre mère avait essayé de tout, et rien n'avait réussi. Elle en pleurait, et Pierre ne mangeait pas.

La nuit de Noël apporta à Pierre des polichinelles, des chevaux et des soldats en grand nombre. Et, le lendemain matin, devant la cheminée, la maman en peignoir, les mains pendantes, regardait avec défiance toutes ces figures grimaçantes de jouets.

«Cela va encore l'exciter! se disait-elle. Il y en a trop!» Et doucement, de peur d'éveiller Pierre, elle prit dans ses bras le polichinelle qui lui avait l'air méchant, les soldats qu'elle redoutait, les croyant fort capables d'entraîner plus tard son fils dans les batailles; elle prit le bon cheval rouge lui-même, et elle alla, sur la pointe des pieds, cacher tous ces joujoux dans son armoire.

N'ayant laissé dans la cheminée qu'une boîte de bois blanc, le cadeau d'un pauvre homme, une bergerie de trente-neuf sous, elle alla s'asseoir près du petit lit, et regarda dormir son fils. Elle était femme, et le petit air de fraude qu'avait sa bonne action la faisait sourire. Mais, voyant les paupières bleuies du bébé, elle songea de nouveau:

«C'est horrible qu'on ne puisse pas le faire manger, cet enfant!» À peine habillé, le petit Pierre ouvrit la boîte et vit les moutons, les vaches, les chevaux, les arbres, des arbres frisés. C'était, pour être exact, une ferme plutôt qu'une bergerie.

Il vit le fermier et la fermière. Le fermier portait une faux et la fermière un râteau. Ils allaient au pré faire les foins; mais ils n'avaient pas l'air de marcher. La fermière était vêtue d'un chapeau de paille et d'une robe rouge.

Pierre lui donna des baisers et elle lui barbouilla la joue. Il vit la maison: elle était si petite, et si basse, que la fermière n'aurait pu s'y tenir debout; mais cette maison avait une porte, et c'est à quoi Pierre la reconnut pour une maison.

Comment ces figures peintes se reflétèrent-elles dans les yeux barbares et frais d'un petit enfant? On ne sait, mais ce fut une magie. Il les pressait dans ses petits poings, qui en furent tout poissés; il les dressait sur sa petite table et les nommait par leurs noms avec l'accent de la passion:

Dada! Toutou! Moumou! En soulevant un de ces étranges arbres verts, au tronc lisse et droit et dont le feuillage en copeaux forme un cône, il s'écria: «Un pin!» Ce fut, pour sa mère, une sorte de révélation. Elle n'eût jamais trouvé cela. Et pourtant un arbre vert, en forme de cône, sur un fût droit, c'est certainement un sapin. Mais il fallait que Pierre le lui dit pour qu'elle s'en avisât:

«Ange!» Et elle l'embrassa si fort, que la bergerie en fut aux trois quarts renversée.

Cependant Pierre découvrait aux arbres de la boîte une ressemblance avec des arbres qu'il avait vus là-bas dans la montagne, au bon air.

Il voyait encore d'autres choses que sa maman ne voyait pas. Tous ces petits morceaux de bois enluminés évoquaient en lui des images touchantes. Il revivait par eux dans une nature alpestre; il était une seconde fois dans cette Suisse qui l'avait si grassement nourri. Alors, les idées se liant les unes aux autres, il pensa à manger et dit:

«Je voudrais du lait et du pain.» Il but et mangea. L'appétit se réveilla. Il soupa le soir comme il avait déjeuné le matin. Le lendemain, la faim lui revint en revoyant la bergerie. Ce que c'est que d'avoir de l'imagination! Quinze jours après, c'était un gros petit bonhomme. Sa mère était ravie. Elle disait:

«Regardez donc: quelles joues! un vrai bébé à treize sous! C'est la bergerie de ce pauvre M. X… qui a fait cela.»

III JESSY

Il y avait à Londres, sous le règne d'Elizabeth, un savant nommé Bog, qui était fort célèbre, sous le nom de Bogus, pour un traité des Erreurs humaines, que personne ne connaissait.

Bogus, qui y travaillait depuis vingt-cinq ans, n'en avait encore rien publié; mais son manuscrit, mis au net et rangé sur des tablettes dans l'embrasure d'une fenêtre, ne comprenait pas moins de dix volumes in-folio. Le premier traitait de l'erreur de naître, principe de toutes les autres.

On voyait dans les suivants les erreurs des petits garçons et des petites filles, des adolescents, des hommes mûrs et des vieillards, et celles des personnages des diverses professions, tels que: hommes d'État, marchands, soldats, cuisiniers, publicistes, etc. Les derniers volumes, encore imparfaits, comprenaient les erreurs de la république, qui résultent de toutes les erreurs individuelles et professionnelles. Et tel était l'enchaînement des idées, dans ce bel ouvrage, qu'on ne pouvait retrancher une page sans détruire tout le reste. Les démonstrations sortaient les unes des autres, et il résultait certainement de la dernière que le mal est l'essence de la vie et que, si la vie est une quantité, on peut affirmer avec une précision mathématique qu'il y a autant de mal que de vie sur la terre.

Bogus n'avait pas fait l'erreur de se marier. Il vivait dans sa maisonnette seul avec une vieille gouvernante nommée Kat, c'est-à-dire Catherine, et qu'il appelait Clausentina, parce qu'elle était de Southampton.

La sœur du philosophe, d'un esprit moins transcendant que celui de son frère, avait, d'erreur en erreur, aimé un marchand de draps de la Cité, épousé ce marchand et mis au monde une petite fille nommée Jessy.

Sa dernière erreur avait été de mourir après dix ans de ménage, et de causer ainsi la mort du marchand de draps, qui ne put lui survivre. Bogus recueillit chez lui l'orpheline, par pitié, et aussi dans l'espoir qu'elle lui fournirait un bon exemplaire des erreurs enfantines.

Elle avait alors six ans. Pendant les huit premiers jours qu'elle fut chez le docteur, elle pleura et ne dit rien. Le matin du neuvième, elle dit à Bog:

«J'ai vu maman; elle était toute blanche; elle avait des fleurs dans un pli de sa robe; elle les a répandues sur mon lit, mais je ne les ai pas retrouvées ce matin. Donne-les moi, dis, les fleurs de maman.» Bog nota cette erreur, mais il reconnut, dans le commentaire qu'il en fit, que c'était une erreur innocente et en quelque sorte gracieuse.

À quelque temps de là, Jessy dit à Bog:

«Oncle Bog, tu es vieux, tu es laid; mais je t'aime bien et il faut bien m'aimer.» Bog prit sa plume; mais, reconnaissant, après quelque contention d'esprit, qu'il n'avait plus l'air très jeune et qu'il n'avait jamais été très beau, il ne nota pas la parole de l'enfant. Seulement il dit:

«Pourquoi faut-il t'aimer, Jessy?