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Oncle Saul se rendit immédiatement au commissariat d'Eastern Avenue, où était détenu Woody. En route, il prit même la peine de déranger l'adjoint du chef de la police, qu'il connaissait bien, pour préparer le terrain : il aurait peut-être besoin d'un coup de main de tout en haut pour empêcher un juge zélé de mettre la main sur le dossier. En arrivant au commissariat, il trouva Woody non pas dans une cellule ou menotté sur un banc, mais confortablement installé dans une salle d'interrogatoire en train de lire une bande dessinée et de boire un chocolat chaud.

— Woody, est-ce que tout va bien ? lui demanda Oncle Saul en entrant dans la pièce.

— Bonsoir, Monsieur Goldman, répondit le garçon. Je regrette que vous vous soyez dérangé pour moi. Tout va bien, les policiers sont drôlement gentils.

Il n'avait même pas dix ans et pourtant il avait la carrure d'un garçon de treize ou quatorze. Les muscles déjà saillants et des hématomes virils sur le visage. Et voilà qu'il avait fait fondre le cœur des flics du quartier, qui lui préparaient de bons petits chocolats chauds.

— C'est comme ça que tu les remercies ? répliqua Oncle Saul, légèrement agacé. En leur donnant des coups de poing dans la gueule ? Woody, enfin, qu'est-ce qui t'a pris ? Frapper un policier ? Tu sais ce que ça coûte ?

— Je ne savais pas que c'était un policier, Monsieur Goldman. Je le jure. Il était en civil.

Woody raconta avoir été mêlé à une bagarre : alors qu'il était en train de dégommer trois types de deux fois son âge, un policier en civil était intervenu pour les séparer et, dans la foulée, il avait reçu un coup de poing qui l'avait envoyé au tapis.

À cet instant, un inspecteur entra dans la pièce ; il avait un énorme œil au beurre noir.

Woody se leva et lui donna une accolade tendre.

— Encore désolé, inspecteur Johns, je vous ai pris pour un sale type.

— Bah, ça peut arriver. N'en parlons plus. Tiens, si tu as besoin d'aide un jour, tu peux toujours me passer un coup de fil.

L'inspecteur lui tendit sa carte.

— Ça veut dire que je peux partir, inspecteur ?

— Oui. Mais la prochaine fois que tu vois une bagarre, tu appelles la police, tu ne vas pas la régler toi-même.

— Promis.

— Tu veux un autre chocolat chaud ? demanda encore l'inspecteur.

— Non, il ne veut pas un autre chocolat chaud, aboya Oncle Saul. Enfin, inspecteur, un peu de dignité : il vous a quand même frappé !

Il emmena Woody hors de la salle et lui fit la morale :

— Woody, tu comprends que tu vas finir par avoir de vrais ennuis. Il n'y aura pas toujours des gentils flics et des gentils avocats pour te sortir de la merde. Tu peux finir en prison, tu comprends ça ?

— Oui, Monsieur Goldman. Je sais bien.

— Alors, pourquoi est-ce que tu continues ?

— Je crois que c'est comme un don. J'ai le don de la bagarre.

— Eh bien, trouve-toi un autre don, s'il te plaît. Et puis, un garçon de ton âge n'a rien à faire dehors la nuit. La nuit, toi, tu devrais dormir.

— J'arrive pas. J'aime pas trop être dans ce foyer. J'avais envie d'aller me promener.

Ils arrivèrent à l'accueil du commissariat, où les attendait Artie Crawford.

Woody remercia encore Oncle Saul :

— Vous êtes mon sauveur, Monsieur Goldman.

— Je n'ai pas été très utile cette fois.

— Mais vous êtes toujours là pour moi.

Woody sortit sept dollars de sa poche et les lui tendit.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Oncle Saul.

— C'est tout mon argent. C'est pour vous payer. Pour vous remercier de me sortir de la merde.

— On ne dit pas merde. Et tu n'as pas besoin de me payer.

— Vous avez dit merde avant.

— Je n'aurais pas dû. Je regrette.

— M'sieur Crawford dit qu'il faut toujours payer les gens d'une façon ou d'une autre pour les services rendus.

— Woody, tu veux me payer ?

— Oui, Monsieur Goldman. Je voudrais beaucoup.

— Alors, fais en sorte de ne plus te faire arrêter. Ce sera ma plus grande paie, mon plus beau salaire. Te voir dans dix ans, et savoir que tu es dans une bonne université. Voir un beau jeune homme accompli et pas un délinquant qui aura déjà passé la moitié de sa vie dans une prison pour mineurs.

— Je le ferai, Monsieur Goldman. Vous serez fier de moi.

— Et au nom du ciel, cesse de m'appeler Monsieur Goldman. Appelle-moi Saul.

— Oui, Monsieur Goldman.

— Allez, file maintenant et deviens quelqu'un de bien.

Mais Woody était un gamin qui avait le sens de l'honneur. Il voulait absolument remercier mon oncle pour son aide et le lendemain, il se présenta à son cabinet.

— Pourquoi tu n'es pas à l'école ? s'agaça Oncle Saul en le voyant débarquer dans son bureau.

— Je voulais vous voir. Il y a forcément quelque chose que je peux faire pour vous, M'sieur Goldman. Vous avez été si bon avec moi.

— Considère ça comme un coup de pouce de la vie.

— Je pourrais tondre votre pelouse si vous voulez.

— Je n'ai pas besoin que quelqu'un tonde ma pelouse.

Woody insista. Il trouvait son idée de tondre la pelouse formidable.

— Non, mais moi je vous ferai ça de façon impeccable. Vous aurez une pelouse extraordinaire.

— Ma pelouse va très bien. Pourquoi tu n'es pas à l'école ?

— À cause de votre pelouse, Monsieur Goldman. Ça me ferait rudement plaisir de tondre votre pelouse pour vous remercier de votre gentillesse avec moi.

— Ce n'est pas la peine.

— J'aimerais beaucoup, Monsieur Goldman.

— Woodrow, lève la main droite, s'il te plaît, et répète après moi.

— Oui, Monsieur Goldman.

Il leva la main droite et Oncle Saul déclama :

— Moi, Woodrow Marshall Finn, je jure de ne plus me mettre dans la merde.

— Moi, Woodrow Marshall Finn, je jure de ne plus me mettre dans la… Vous avez dit que je devais plus dire merde, Monsieur Goldman.

— Très bien. Alors : je jure de ne plus avoir d'ennuis.

— Je jure de ne plus avoir d'ennuis.

— Voilà, tu m'as payé. On est quittes. Maintenant tu peux retourner à l'école. Dépêche-toi.

Woody maugréa, résigné. Il n'avait pas envie de retourner à l'école, il voulait tondre la pelouse d'Oncle Saul. Il se dirigea vers la porte en traînant des pieds et remarqua alors des photos sur un meuble.

— C'est votre famille ? demanda-t-il.

— Oui. Voici ma femme, Anita, et mon fils, Hillel.

Woody prit un cadre et observa les visages sur la photo.

— Ils ont l'air chouettes. Vous avez de la chance.

À ce moment-là, la porte du bureau s'ouvrit et Tante Anita entra précipitamment, trop bouleversée pour le remarquer.

— Saul ! s'écria-t-elle, les yeux rougis par les larmes. Il s'est encore fait tabasser à l'école ! Il dit qu'il ne veut plus y retourner. Je ne sais plus quoi faire.

— Que s'est-il passé ?

— Il dit que tous les autres enfants se moquent de lui. Il dit qu'il ne veut plus jamais aller nulle part.

— Nous l'avons changé d'école en mai, soupira Oncle Saul. Puis encore durant l'été pour le mettre dans celle-ci. On ne peut pas de nouveau le changer. C'est infernal.

— Je sais… Oh, Saul ! je suis désespérée…

5.

À Boca Raton, en ce début mars 2012, mon dîner avec Kevin me rapprocha d'Alexandra.