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— Non, non, personne ne se fait maltraiter à Oak Tree, nous avons des surveillants, des règles, une charte du vivre-ensemble. Nous sommes une école du bonheur.

— Hillel revient tous les jours avec des vêtements déchirés, des cahiers abîmés ou manquants.

— Il doit apprendre à faire attention à ses affaires. Vous savez, s'il néglige ses cahiers, il aura un mauvais point dans son bulletin.

— Principal Hennings, il ne néglige rien. Je crois qu'il est le souffre-douleur de quelqu'un. Je ne sais pas ce qui se passe dans cette école, mais nous payons vingt mille dollars par an pour voir notre fils revenir de l'école avec des bactéries plein la bouche. Il y a un problème, non ?

— Se lave-t-il bien les mains ?

— Oui, principal, il se lave bien les mains.

— Parce que vous savez, à cet âge-là, les garçons sont souvent des petits cochons…

Tante Anita, agacée, voyant que la conversation tournait en rond, finit par dire :

— Principal Hennings, mon fils a des bleus au visage en permanence. Je ne sais plus ce que je dois faire. Le forcer à s'intégrer ou le mettre dans une institution spécialisée ? Parce que, pour être franche avec vous, il y a des matins où je me demande ce qui va lui arriver quand je l'envoie dans votre école…

Elle éclata en sanglots et comme le principal Hennings ne voulait surtout pas de troubles à Oak Tree, il la consola, lui promit de remédier à la situation et il convoqua Hillel pour essayer de la régler.

— Mon garçon, l'interrogea-t-il, as-tu des soucis au sein de l'école ?

— Disons que je me fais chercher des noises sur le terrain de basket derrière l'école après les cours.

— Ha ! Et comment décrirais-tu cela ? Dirais-tu qu'il s'agit de chahut ?

— Je dirais qu'il s'agit d'agressions.

— Agressions ? Non, non. Il n'y a pas d'agressions à Oak Tree. Il y a peut-être du chahut. Tu sais, c'est normal de faire un peu de chahut quand on est un garçon. Les garçons aiment les bousculades.

Hillel haussa les épaules.

— J'en sais rien, principal Hennings. Tout ce que je voudrais, moi, c'est jouer au basket-ball tranquillement.

Le principal se gratta la tête, scruta cet enfant tout maigre mais plein d'aplomb, et lui suggéra alors :

— Tu pourrais faire partie de l'équipe de basket de l'école, qu'en dis-tu ?

Hennings considérait que le garçon pourrait ainsi jouer au ballon mais sous la protection d'un adulte. L'idée plut à Hillel, et le principal l'emmena aussitôt voir le responsable de l'éducation physique.

— Shawn, demanda le principal Hennings au professeur d'éducation physique, pourrions-nous intégrer ce jeune champion à l'équipe de basket ?

Shawn toisa le minuscule squelette aux yeux suppliants.

— Impossible, répondit-il.

— Et pourquoi ?

Shawn se pencha à l'oreille du principal et lui murmura :

— Frank, on est une équipe de basket, pas un centre pour handicapés.

— Hé, je suis pas handicapé ! s'insurgea Hillel, qui avait entendu.

— Non, mais t'es tout maigre, rétorqua Shawn. Tu seras un handicap pour nous.

— Et si on faisait un essai ? suggéra le principal.

Le professeur de gym se pencha à nouveau vers lui :

— Frank, l'équipe est complète. Et il y a une liste d'attente longue comme le bras. Si on fait une exception pour le petit, ça va faire des histoires avec les parents d'élèves. Et moi, j'ai horreur d'avoir des histoires. Et je vous dis : quand je vais le mettre sur le terrain, on va perdre. Et je dois vous dire aussi que cette année, on n'est déjà pas au top. Nos résultats au basket ne sont en général pas formidables, mais alors là…

Hennings acquiesça et se tourna vers Hillel en inventant des articles du règlement interne pour expliquer de long en large qu'on ne pouvait changer la composition de l'équipe de basket en cours d'année. Une horde d'enfants déboula soudain dans la salle pour un entraînement, et Hillel et le principal s'assirent sur un banc au bas des gradins.

— Alors, qu'est-ce que je dois faire, principal Hennings ? demanda finalement Hillel.

— Tu peux me donner le nom des chahuteurs. Je les convoquerai pour une bonne explication. Et nous pourrons organiser un atelier anti-chahut.

— Non, ce serait pire. Et vous le savez aussi.

— Et pourquoi tu ne les évites pas alors, ces zigotos ? s'agaça Hennings. Tu n'as qu'à pas aller sur le terrain de sport si tu ne veux pas de bousculade, voilà tout.

— Je ne renoncerai pas à aller jouer au basket.

— Être têtu est un vilain défaut, mon garçon.

— Je ne suis pas têtu. Je résiste aux fascistes.

Hennings devint tout blanc.

— Où as-tu entendu ce drôle de mot ? J'espère qu'on ne t'apprend pas des mots pareils en classe ? À l'école d'Oak Tree, on n'apprend pas ce genre de mots.

— Non, je l'ai lu dans un livre.

— Quel livre ?

Hillel ouvrit son sac et en sortit un livre d'histoire.

— Mais qu'est-ce que c'est que cette horreur ? chevrota Hennings.

— Un livre que j'ai emprunté à la bibliothèque.

— A la bibliothèque de l'école ?

— Non, à la bibliothèque municipale.

— Ah ouf ! Eh bien, je te prie de ne pas emporter cet affreux livre à l'école et de garder ce genre de réflexion pour toi. Je n'ai pas envie d'avoir des ennuis, moi. Mais je vois que tu sais des tas de choses. Tu devrais utiliser cette force pour te défendre.

— Mais je n'ai pas de force ! C'est bien ça le problème.

— Ta force, c'est ton intelligence. Tu es un petit garçon drôlement intelligent… Et dans les fables, l'intelligent gagne toujours à la fin contre le costaud…

La suggestion du principal Hennings ne resta pas sans écho. L'après-midi même, installé dans la salle de rédaction de l'école, Hillel rédigea un texte qu'il transmit ensuite à Madame Chariot, pour publication dans la prochaine édition du journal. Il y racontait l'histoire d'un petit garçon, élève dans une école privée pour riches, qui à chaque récréation se fait attacher à un arbre par ses camarades pour y subir toutes sortes de supplices, et notamment des inventions aussi sournoises que dégoûtantes, qui donnaient au jeune héros des infections buccales terribles. Aucun adulte ne remarque le martyre, et surtout pas le principal de l'école : il est occupé avec le professeur de gymnastique à masser les pieds des parents d'élèves. À la fin de l'histoire, les élèves finissent par mettre le feu à l'arbre et au petit garçon, et se mettent à danser autour du bûcher en chantant une ode de remerciement au corps enseignant qui les laisse si tranquillement tabasser les plus faibles.

À la lecture du texte, Madame Chariot prévint aussitôt le principal Hennings, qui en fit interdire la publication et convoqua Hillel dans son bureau.

— Est-ce que tu te rends compte que ton texte est truffé de mots qui ne sont pas admis ici ? tonna Hennings. Et je ne parle même pas du fond de cette histoire ridicule et du culot de t'en prendre au corps professoral !

— Ce que vous faites s'appelle de la censure, protesta Hillel, et ça aussi, les fascistes le faisaient, je l'ai lu dans mon livre.

— Arrête avec ces histoires de fascisme, veux-tu ? Ce n'est pas de la censure, mais du bon sens ! Nous avons une charte morale à Oak Tree et tu l'as transgressée !

— Et ma lettre à Helena, publiée dans le précédent numéro ?

— Je te l'ai déjà expliqué, Madame Chariot pensait que c'était un poème écrit par elle.

— Mais dès la publication du journal, je lui ai dit que c'était moi qui étais l'auteur de ce poème !

— Tu as bien fait de l'en informer.