Supposons, pensa-t-il – supposons – supposons – que je termine le poème par une prophétie, la vision énigmatique d’un roi tragique d’un lointain avenir, un monarque qui serait, comme Stiamot, un homme de paix contraint de faire la guerre, et qui connaîtrait par conséquent d’épouvantables tourments tout au long de son règne. Des bribes de phrases lui venaient à l’esprit : « Un roi d’or… une couronne dans la poussière… l’étreinte sacrée des ennemis jurés… » Que signifiaient-elles ? Il n’en avait pas la moindre idée ; et il n’avait nul besoin de le savoir. Il lui fallait seulement les coucher par écrit. Offrir l’espoir qu’un jour un monarque un homme qui contiendrait en son for intérieur les forces de la guerre et de la paix d’une façon qui équilibrerait les souffrances et les accomplissements de Stiamot – mettrait fin à l’instabilité qui résultait du péché originel, du vol de ce monde à ses légitimes propriétaires. Il n’avait pas à expliquer comment atteindre ce but, seulement à affirmer qu’il n’était pas inaccessible.
Il sut qu’il pouvait non seulement se remettre à l’ouvrage mais qu’il le devait, qu’il en avait l’obligation, et qu’il n’aurait la possibilité de mener à bien cette entreprise qu’en ce lieu : ici, sous l’œil vigilant de son ravisseur et gardien. Il en serait incapable, s’il regagnait Dundilmir où il régresserait inéluctablement vers la superficialité de ses anciennes habitudes.
Il se tourna afin de réunir une copie complète du manuscrit incluant tout ce qu’il avait écrit à ce jour, puis il poussa les feuilles vers Kasinibon.
« Cet exemplaire vous revient, déclara-t-il. Gardez-le. Lisez-le, si ça vous chante. Mais ne faites aucun commentaire sur ce que j’ai écrit avant que je vous y invite. »
Ce fut sans dire un mot que Kasinibon prit la liasse et la comprima contre sa poitrine, sous ses bras croisés, pendant que Furvain ajoutait : « Renvoyez le montant de ma rançon au duc Tanigel. Déclarez-lui qu’il l’a réglée trop tôt, que je souhaite séjourner ici quelque temps encore. Et adressez-lui ceci, avec l’argent. »
Il chercha une copie du chant de Stiamot dans le monticule de feuilles entassées sur la table.
« Il pourra ainsi voir à quoi son vieil ami indolent consacre son séjour dans les contrées d’orient, n’est-ce pas ? » Furvain sourit. « Et à présent, Kasinibon, je vous en prie… Pourriez-vous me laisser afin que je me remette à l’ouvrage ? »
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