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Adelrune expliqua en soupirant :

— Le neuvième Précepte de la Règle stipule que les laïcs doivent obéir aux Didacteurs « sans refus, sans plainte et sans dérobade ». Les Commentaires du Didacteur Elfindle ajoutent que « Les laïcs sont comme des enfants face aux Didacteurs, et les enfants doivent obéissance à leurs parents comme ceux-ci obéissent aux Didacteurs. » Chez moi, l’obéissance était la première des vertus, après la droiture spirituelle.

Riander fronça les sourcils.

— Pourquoi es-tu parti dans ce cas ? Ce ne sont sûrement pas tes parents qui t’ont envoyé ici ?

Adelrune se sentit rougir.

— Ils ne l’auraient jamais pu ; je suis un enfant trouvé, dit-il à voix basse. Harkle et Eddrin ne sont pas mes vrais parents.

— À t’entendre, on croirait que tu en as honte.

— Dix-huitième Précepte, verset trois : « Que nul ne méprise celui dont la lignée est inconnue ou de mauvais renom. » Extrait des Commentaires du Didacteur Hoddlestane, chapitre deuxième : « La turpitude morale est transmise par le sang. La progéniture de ceux qui pèchent par contact charnel hors mariage est conséquemment souillée dès sa naissance ; les bâtards devraient être traités comme les dégénérés potentiels qu’ils sont. » Est-ce que cela répond à votre question ?

— Tes mots, non ; mais ta posture, oui, dit Riander. Tu as l’air d’un pardel prêt à tuer et démembrer sa proie. Regarde tes doigts : on dirait des griffes.

Adelrune, soudain conscient de ses gestes, baissa les bras et détendit ses mains. Son cœur cognait douloureusement dans sa poitrine.

— Ma mère à moi, lorsqu’elle était encore jeune fille, couchait avec tous ses soupirants, dit Riander, surprenant Adelrune par le ton neutre de sa voix. Et lorsqu’elle tomba enceinte de moi, elle eut bien du mal à convaincre son plus récent prétendant de l’épouser. Il n’était pas un sot et se doutait bien que l’enfant n’était pas forcément de lui. De fait, jamais je ne lui ai ressemblé ; lui et moi avons toujours su que nous n’étions presque certainement pas du même sang. Néanmoins, il avait accepté d’épouser ma mère juste avant ma naissance, me sauvant de justesse de la bâtardise.

— Et comment vous a-t-il traité ?

— Comme le reste de mes frères et sœurs qui ont suivi. Je n’étais pas un bébé capricieux, et en grandissant j’ai toujours été très sage ; je ne lui ai jamais donné d’excuses pour m’en vouloir. Je n’ai jamais eu l’impression qu’il m’aimait autant que les autres enfants, qui eux étaient certainement de lui. Mais l’un dans l’autre, cela n’a pas changé grand-chose. Il était au fond un homme bon et équitable.

— Vous a-t-il acheté des jouets ?

— Oui. J’avais un canard de bois sur roulettes et une marionnette de guerrier avec une épée de métal véritable…

— Vous étiez un enfant chanceux, dit Adelrune avec un petit rire douloureux.

— Et c’est parce que toi tu ne l’es pas que tu es venu ici ?

— Pas vraiment. C’est parce que je n’ai jamais cru en la Règle. Quand j’avais dix ans, j’ai compris que j’avais toujours été perdu pour elle. Je connais tous ses Préceptes par cœur, mais je n’y ai jamais accordé la moindre foi.

— Alors, es-tu venu ici à la recherche de quelque chose d’autre à laquelle accorder ta foi ?

La question prit Adelrune par surprise. Il y réfléchit un moment, puis répondit :

— Non. Je suis venu ici pour devenir un chevalier, c’est tout ce que je demande.

— Tant mieux. Car même si mon enseignement t’apprendra à devenir celui que tu promets d’être, je ne suis pas homme à te dire en quoi tu dois placer ta foi. Maintenant, allons à ce râtelier là-bas. Je vais te montrer comment utiliser les haltères pour fortifier tes bras.

4. Le Prix à payer

Des jours et des semaines passèrent. Riander instruisait Adelrune sans relâche dans les diverses disciplines de la chevalerie : les titres corrects à utiliser dans la conversation selon les circonstances, la science héraldique, le combat au corps à corps et l’entretien des armes. Leurs journées commençaient avec l’aube et se terminaient tard. Adelrune souffrit au début de mille et une douleurs, crampes et élancements, surtout dans ses bras, dont les muscles n’étaient pas habitués à ce genre de traitement. Avec le temps, son inconfort s’atténua au fur et à mesure que croissait sa force. Riander l’entraînait à être à la fois souple et fort, à être conscient en tout temps de sa posture, afin qu’il puisse bouger de façon plus efficace et élégante.

La pratique des armes était ce qui exténuait Adelrune, mais elle n’occupait qu’une petite partie de sa journée. Riander et ses livres constituaient un puits de science, auquel Adelrune était censé s’abreuver profondément. Comme sa mémoire était vive de nature et avait de plus été aiguisée par toutes ces années passées à mémoriser la Règle et ses Commentaires, cette partie de sa formation se montrait plutôt aisée.

Il y avait des leçons de rhétorique, de diplomatie et même tout un cours sur l’art d’employer les faux-fuyants – car, bien que les chevaliers ne puissent mentir, cela ne voulait pas dire qu’ils étaient forcés de laisser échapper la vérité toute crue. Ainsi, pour sauver l’honneur de Dame Klianther, Sire Gliovold était parvenu à taire la participation de son frère au complot contre la vie du Baron Blindell, tout en donnant l’impression qu’il avait révélé tout ce qu’il en savait.

D’autres leçons suivirent celles-ci, portant sur les aspects plus subtils de l’étiquette, la symbologie élémentaire, les fondements de l’astronomie et les principes gouvernants de la magie. Adelrune éprouva un certain malaise en entreprenant son programme d’études magiques, mais il fut vite soulagé lorsqu’il comprit qu’il n’était pas question de le former comme enchanteur. Le talent était un trait inné et non appris. Et de toute façon, Riander, malgré l’étrangeté de la maison où il vivait, niait posséder un quelconque savoir pratique sur la sorcellerie. Il comprenait les principes par lesquels elle fonctionnait, qui valaient la peine d’être appris même par un profane, mais il ne connaissait aucun enchantement comme tel.

Ce fut alors que Riander discutait des diverses façons dont les armes pouvaient être enchantées et de quelques lames magiques légendaires qu’Adelrune se souvint de l’arme qu’il avait acquise dans la forêt. Il s’en fut la chercher dans la nappe rose qui reposait, encore attachée, sous le lit de sa chambre, et la rapporta à Riander.

— Croyez-vous que ceci puisse avoir un quelconque pouvoir ? demanda-t-il avant de raconter de quelle manière il l’avait trouvée.

— C’est douteux, répondit Riander. Certes, il est rarement possible de déterminer à première vue si un objet est enchanté, mais comme je te le disais à l’instant, il y a bien plus de rumeurs d’épées et de dagues ensorcelées qu’il n’y a de vraies lames magiques. Ce lustre est bizarre, mais justement cela me fait douter d’autant plus de son pouvoir.

Riander appliqua des poudres abrasives et des brosses métalliques sur la lame, mais, malgré tous ses efforts, il n’arriva pas à débarrasser la dague d’Adelrune de son étrange éclat verdâtre.

— De toute façon, c’est une arme solide, dit-il après avoir capitulé. Elle est petite, mais son tranchant est acéré, tout comme sa pointe. La gemme pourrait même être un saphir, quoique je n’en sois pas sûr. Je te conseille de la garder par-devers toi. Ce que l’on trouve sans qu’on l’ait cherché ne devrait pas être mis à l’écart.