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Le matin suivant, il quitta les collines pour une contrée dont le sol peu profond ne nourrissait qu’une herbe rare et de-ci de-là un buisson desséché. Il y avait malgré tout des signes d’habitation, mais il ne vit jamais la moindre silhouette humaine à l’horizon : tout ici fleurait l’abandon. Il passa sa cinquième nuit parmi les ruines d’une petite tour basse. C’était le domicile idéal pour un fantôme, mais s’il y avait déjà eu des fantômes ici, la solitude du lieu était devenue telle qu’eux-mêmes n’avaient pu la supporter ; le sommeil d’Adelrune ne fut pas dérangé.

Durant le sixième jour, il continua de voyager vers l’ouest et il commença à distinguer une odeur portée par le vent : la mer. Il l’atteignit à la fin du jour ; il se tint au bord d’une falaise et regarda le soleil se noyer, jusqu’à ce que la fraîcheur du vent le pousse à se chercher un abri.

Le septième matin, il dut prendre une décision : tourner vers le nord ou le sud ? Puisque Faudace était située au nord de la maison de Riander, il choisit de continuer vers le sud. Le soleil se levait à sa gauche, à sa droite les vagues se fracassaient sur le rivage.

Le relief s’adoucissait légèrement ; vers le milieu de l’après-midi, la falaise ne faisait plus qu’une vingtaine de verges de hauteur. La contrée restait déserte ; Adelrune en vint à s’inquiéter pour son épreuve. Tant qu’il avait voyagé, il avait pu s’abstenir d’y penser, mais maintenant le moment fatidique approchait. Il se mit à scruter l’horizon, mais il ne vit rien d’inhabituel, rien pour indiquer que , une épreuve attendait un apprenti chevalier.

La journée arriva à son terme, le soleil s’abîma sous l’océan. Adelrune laissa tomber les quelques branches qu’il était parvenu à amasser durant la journée – le combustible était rare dans cette contrée – et, tirant des étincelles de son silex, fit bientôt un feu dans une petite dépression du sol. Il s’enroula dans ses couvertures et frissonna. Il pensa un instant à la scytale, mais chassa aussitôt cette idée. Il était encore loin d’être assez désespéré pour y recourir.

Une bise se leva soudain et éteignit son maigre feu. Adelrune jura, s’accroupit devant les branches pour les protéger du vent, tandis qu’il fouillait dans son sac à la recherche de son silex. Il se rendit alors compte que ses mains luisaient faiblement dans l’obscurité, comme si elles réfléchissaient une lumière ; il se retourna et vit un nimbe verdâtre jaillissant de derrière le rebord de la falaise. Oubliant du coup ses imprécations contre le froid, il s’approcha précautionneusement du bord, l’épée à la main.

La source de la lumière était clairement visible : au pied de la falaise, une caverne s’ouvrait dans le roc, et de son entrée émanait une radiance froide, qui teintait de vert céladon les rochers et les vagues.

Adelrune examina la paroi de la falaise ; il découvrit rapidement une route praticable jusqu’à la plage rocheuse. Il alla aux ruines de son feu chercher son sac, qu’il attacha solidement à ses épaules ; puis il revint au bord de la falaise et se mit à descendre. Au fur et à mesure qu’il progressait, la lumière s’intensifiait ; bientôt, il put distinguer son ombre s’étirant sur la paroi de la falaise ; le haut de son corps se fondait dans la nuit : il pouvait s’imaginer que son ombre continuait verticalement au-dessus du bord de la falaise, invisible dans l’obscurité.

La descente était plus aisée qu’il ne lui avait semblé de prime abord ; il arriva rapidement au pied de la falaise. Il se tenait sur une plage rocheuse d’une dizaine de verges de largeur, mouillée par les vagues. L’ouverture était distante de quelque quinze verges. D’où il se trouvait, il ne pouvait pas voir à l’intérieur de la caverne ; même en avançant jusqu’au bord de l’eau, il ne pouvait distinguer que les murs, qui paraissaient lisses, peut-être même ouvragés – mais la lueur verte tendait à noyer les détails. Adelrune prêta l’oreille attentivement pendant quelques minutes, mais n’entendit aucun bruit à part le murmure incessant de l’eau sur la pierre. Finalement, il se rendit à l’ouverture.

La lueur n’avait pas de source visible dans l’entrée de la caverne ; on eût dit qu’elle émanait de l’air lui-même. L’ouverture était à peu près circulaire ; elle avait une douzaine de pieds de diamètre. Adelrune voyait clairement le passage, qui s’incurvait progressivement vers la droite après vingt ou trente pieds. Il était vide.

Adelrune entra dans la caverne et avança lentement, usant d’une technique que lui avait apprise Riander pour étouffer le bruit de ses pas. Au-delà du coude, le passage continuait tout droit pendant deux cents pas. La lueur verte était encore plus intense ici, plus brillante qu’une torche ne l’aurait été. Les murs avaient bel et bien été ouvragés : des formes régulières se révélaient à un regard attentif, une série d’élargissements séparés par des crêtes étroites, suggérant d’énormes côtes.

Le passage s’élargit et tourna vers la gauche. Juste au-delà de ce deuxième coude, il déboucha dans une vaste caverne noyée dans un pied ou deux d’eau. Adelrune s’avança dans la caverne, se tenant près du mur à sa gauche, le plus loin possible de l’eau. Il remarqua soudain qu’un grand coquillage blanc se trouvait sur son chemin. Et maintenant que ses sens avaient remarqué la présence de l’objet, il se mit à en apercevoir d’autres jonchant le sol et même les murs de la caverne. Certains étaient perchés à hauteur d’épaule. Il se pencha pour examiner celui qui était à ses pieds : on aurait dit la coquille d’un escargot, mais grosse comme deux poings et d’un blanc sans tache. Un opercule épais, jaunâtre, scellait l’ouverture de la coquille.

Adelrune prit la coquille dans ses mains ; il fut surpris de sa lourdeur. Alors qu’il en examinait la face inférieure, il entendit une voix ténue et flûtée qui se lamentait.

— Las, las ! Le monstre s’est emparé de Kidir et va maintenant le fracasser sur les rochers cruels !

Adelrune releva la tête d’un coup sec et se mit dos au mur. Il garda sa prise sur le coquillage d’une main, s’apprêtant à tirer son épée de l’autre. La voix provenait de non loin devant lui – et pourtant il ne voyait personne. Y avait-il ici des êtres invisibles, dissimulés par la lueur verte, qui lui tendaient une embuscade ?

— Voyez, continua la voix, comme il tient le pauvre Kidir haut dans sa main ; dans un instant, il l’abattra sur les rochers jusqu’à ce qu’il se fendille et répande sa vie sur la froide pierre !

Stupéfait, Adelrune comprit que la voix provenait de l’une des coquilles blanches près de lui ; elle était fixée à la paroi de la caverne, à hauteur de la poitrine. Il faillit laisser tomber le coquillage qu’il tenait, mais se força à le déposer doucement par terre, puis à reculer de deux pas.

— Miracle ! reprit la voix, tremblante d’émotion. Son attention distraite, l’ogre en oublie sa fureur meurtrière et laisse aller sa proie sans réfléchir ! Kidir, ta vie est sauve !

Adelrune vit l’opercule frémir, puis se retirer à l’intérieur de la coquille. Un moment plus tard une masse blanchâtre et luisante émergea ; elle s’épanouit rapidement, prenant la forme du haut d’un corps d’homme, complet dans tous les détails, mise à part l’absence de cheveux. Deux yeux noirs, comme deux gouttes d’encre, brillaient dans un visage finement ciselé. L’homoncule aperçut Adelrune et émit un sifflement : une expression de peur, de colère, de consternation peut-être. Dans sa main droite, il brandissait maintenant, avec des gestes menaçants, une lance de craie spiralée guère plus grosse qu’un cure-dents. La scène était à ce point ridicule qu’Adelrune ne put retenir un éclat de rire.

— Horreur ! Le signal de la curée ! Kidir, ta sotte provocation a suscité la colère de la bête. Il va maintenant te marteler d’une pierre, t’occire et se repaître de ton pitoyable cadavre !