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— De qui s’agissait-il ?

— Il ne m’a jamais donné son nom. C’est un mage qui se vêt de gris.

Challed fronça davantage les sourcils.

— Nous le connaissons. T’a-t-il donc envoyé ici ?

— Je vous assure que non. Je ne suis en aucun cas un de ses amis.

— De toute façon, l’Owla doit entendre ton histoire. Nous t’emmenons la voir.

Ce disant, elle mena Adelrune le long du sentier. Quand celui-ci eut atteint le fond de la vallée, il s’incurva vers la droite et déboucha bientôt sur une grande clairière au centre de laquelle coulait un ruisseau au vif débit. Le brouillard s’était enfin levé, mais le soleil restait partiellement obscurci par des nuages gris agités.

Un campement occupait la clairière, plus de cinquante tentes de feutre noir dispersées de-ci de-là. À l’extrémité de la clairière, sur une petite éminence, se dressait une yourte de belle taille entourée d’une série de poteaux croisés deux à deux. On convia Adelrune à attendre le bon plaisir de l’Owla. Il demanda la permission de s’abreuver au ruisseau ; une archère lui prêta un gobelet d’étain, une autre lui offrit des tubercules bouillis qu’il mangea avec reconnaissance.

En attendant d’être appelé, Adelrune examina le camp. Il pouvait bien y avoir soixante-dix femmes ici, toutes maniant l’arc et le javelot. Il en vit plusieurs s’adonner au tir à la cible : leur adresse était remarquable. En plus des guerrières, il y avait aussi deux ou trois femmes comme l’assistante de Challed. Celles-là n’avaient ni arc ni javelot, mais des couteaux qui semblaient particulièrement dangereux, à manche court, sanglés à leur ceinture. Elles seules parmi les femmes portaient des couvre-chefs, de fragiles constructions d’os et de plumes, toutes différentes les unes des autres.

Voyant que ses gardiennes le traitaient maintenant avec une vague cordialité, Adelrune se sentit contraint de faire la conversation.

— Je vous remercie encore de m’avoir nourri.

L’une des femmes lui répondit par un mot étranger.

— Pourriez-vous me dire quel langage vous parlez ?

— La langue des femmes, bien sûr. En ce lieu nous ne gardons aucune trace de masculinité. C’est pourquoi nous utilisons notre propre langue, que les cervelles des mâles ne peuvent appréhender.

Adelrune hocha la tête et mit fin à ses tentatives de conversation. Peu après, Challed revint de la yourte et lui fit signe.

— L’Owla est prête à te recevoir. Tu dois en tout temps l’appeler « Sage Aïeule » et répondre en détail à toutes ses questions.

— Devrais-je laisser mes armes à l’entrée ?

Challed eut un haussement d’épaules éloquent.

— Rien de ce que tu pourrais tenter ne saurait causer du tort à l’Owla. Peu importe.

Adelrune choisit de conserver sa lance et sa dague et entra timidement dans la yourte. À l’intérieur, de la fumée de bois résineux emplissait l’atmosphère. Juste après un bref hall, délimité par des murs de toile, il pénétra dans l’espace central de la yourte, une salle circulaire au centre de laquelle une fosse avait été creusée ; d’énormes bûches de pin s’y consumaient lentement.

De l’autre côté des flammes, une forme humaine était assise la tête rentrée dans les épaules, enveloppée d’une cape. Dès qu’Adelrune fut entré, elle se leva. La lumière du feu fit briller les vastes plumes cuivrées qui composaient la cape. L’Owla leva son visage vers lui, et Adelrune réprima un hoquet de surprise. Sous un chapeau compliqué tissé des mêmes plumes, le visage de l’Owla avait été peint afin de donner l’illusion d’une paire d’immenses yeux dorés.

— Assieds-toi, Adelrune, dit l’Owla d’une voix sèche.

Adelrune replia ses jambes sous lui, posa sa lance en travers de ses cuisses.

— Je vous salue avec humilité et respect, Sage Aïeule, dit-il, se remémorant ses leçons d’étiquettes, utilisant une formule recommandée pour les chefs tribaux de haut rang.

— Dis-moi comment tu es arrivé parmi nous.

— C’est une longue histoire, Sage Aïeule.

L’Owla s’assit en silence ; après un moment, Adelrune se mit à narrer ses aventures depuis qu’il avait quitté la maison de Riander.

Quand il eut terminé, l’Owla se racla la gorge et cracha dans les flammes, qui s’élevèrent, hautes et brillantes, le temps d’un battement de cœur.

— Je n’entends aucune fausseté dans ton histoire. En tant qu’apprenti chevalier, même si tes principes sont infectés par bien des idéaux mâles absurdes, ils s’approchent quand même davantage de notre vérité que ceux de la plupart des hommes. Tu as contrecarré les plans du magicien gris, qui n’est pas parmi nos amis. Et ton histoire était divertissante. En contrepartie de ces trois qualités, je t’offre trois faveurs et une énigme.

— Je vous suis très reconnaissant, Sage Aïeule.

— Formule tes souhaits d’abord, ensuite tu me remercieras.

Après un instant de réflexion, Adelrune débuta.

— En premier lieu, je suis épuisé et affamé…

— Nous te laisserons te reposer ici et te fournirons d’amples provisions pour le reste de ton voyage. Voilà ta première faveur.

— En second lieu, je n’ai aucune idée du chemin à suivre…

— Je n’ai jamais entendu parler de la ville de Faudace, ni d’aucun des endroits que tu m’as décrits. Mais je vais te dire ce que je vois.

L’Owla ferma ses paupières, qui avaient été peintes d’un noir brillant afin de simuler d’énormes pupilles.

— Je te vois marchant vers l’ouest, continua-t-elle, arrivant à une étendue de sable et à l’eau qui continue au-delà. Tel est le chemin que tu dois suivre pour rentrer chez toi. Voilà ta seconde faveur.

— En troisième lieu, dit Adelrune, osant se fier à son intuition, j’ai voyagé jusqu’ici sans armure, sachant que j’obtiendrais ma véritable armure durant mon épreuve…

— Lève-toi et va chercher ce qui est accroché à la cheville à ta gauche.

Adelrune se remit sur ses pieds et décrocha un bien étrange vêtement d’une cheville fixée au mur de tissu.

— Voilà ta troisième et dernière faveur.

— Je vous remercie du fond du cœur, Sage Aïeule, dit Adelrune en s’inclinant.

L’Owla eut un sourire ambigu. Ses dents étaient très blanches, intactes ; Adelrune la vit soudain, non pas comme la vieillarde qu’il avait cru au début discerner sous la cape et le maquillage, mais comme une femme dont la jeunesse ne s’était pas encore fanée.

— Et maintenant, je te soumets mon énigme, annonça-t-elle.

Une maison dans la forêt, portes et fenêtres closes. Le premier vient, on lui refuse entrée. Puis vient le second, frère du premier. Si petit qu’il parvient à entrer Pour ouvrir la porte au premier. Et maintenant la maison n’est plus que ruines.

Adelrune médita sur ces mots un long moment, puis demanda timidement :

— Combien de temps ai-je pour réfléchir, Sage Aïeule ?

— Tu n’as pas compris. Je ne m’attends pas à ce que tu trouves la réponse tout de suite. Ce ne sera qu’avec le temps que tu trouveras la clef. Tu peux partir, maintenant.

Adelrune s’inclina, remercia encore l’Owla, sortit de la yourte. Challed l’attendait au-dehors. Elle l’emmena à une tente inoccupée et lui enjoignit de se reposer.

— Demain matin, nous t’escorterons à la frontière de la Vlae Dhras.

Dans la tente, Adelrune examina le vêtement qu’il avait acquis en tant que troisième faveur. Il était fait de larges bandes entrecroisées de cuir bouilli, renforcé par de fins fils de métal perpendiculaires aux bandes. Bizarre armure. Elle avait de longues manches qui couvraient ses bras jusqu’aux poignets et descendait jusqu’à ses genoux. Adelrune ne fut pas vraiment surpris de découvrir qu’elle lui faisait aussi bien que si on l’avait fabriquée spécialement pour lui. Bien que moins résistante qu’une cotte de mailles, elle était légère et n’entravait pas ses mouvements.