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La princesse Jarellène apparut soudain, émergeant d’entre les arbres, portant une robe brune et verte comme le costume d’une chasseresse. Elle s’assit à ses côtés sans dire un mot, puis se pencha contre son épaule, approcha son visage pour demander un baiser. Adelrune ne parvenait plus à penser ; il la prit dans ses bras. Il ne pouvait s’opposer à la volonté de sa chair. Jarellène ne protesta pas ; bientôt ses vêtements jonchèrent l’herbe de la clairière.

10. La Guerre contre Ossué

Le Vaisseau atteignit les îles de Chakk après deux mois de voyage. Il s’ancra dans une baie profonde non loin de la côte et l’on déploya les navires d’escorte, à la fois comme protection en cas de présence hostile et pour transporter des groupes de reconnaissance jusqu’aux îles. Les îles de Chakk étaient trop battues par le vent et trop loin du continent pour abriter une quelconque population humaine permanente. Les éclaireurs localisèrent des sources d’eau douce et parvinrent à ramasser une petite quantité de baies et de tubercules comestibles. Sur l’insistance du roi, on forma une troupe de chasse qui s’en fut à pied essayer d’abattre le petit gibier que l’on pouvait trouver – des lièvres et diverses espèces d’oiseaux. Après trois heures d’efforts, les chasseurs s’en revinrent bredouilles ; nul à bord du Vaisseau de Yeldred n’était entraîné à chasser sur terre.

Sawyd offrit à Adelrune de l’emmener à terre à bord du Kestrel ; il accepta avec plaisir. Même si le Vaisseau de Yeldred était d’une taille si colossale que ni roulis ni tangage n’étaient perceptibles à son bord, le jeune homme ressentait un vif désir de poser les pieds de nouveau sur la terre ferme.

— Et comment vont les choses de ton côté ? demanda Sawyd lorsqu’ils furent ensemble à la barre du Kestrel.

— Plutôt bien, répondit Adelrune.

Il ne donna pas de détails, même s’il se doutait que Sawyd était au courant de sa liaison avec Jarellène.

Ils avaient renouvelé leurs ébats à huit reprises, chaque fois dans des endroits retirés, où ils s’accouplaient avec une brûlante intensité. Ils ne parlaient guère, ni durant l’acte ni après, et lorsqu’ils échangeaient quelques paroles, c’était sur des sujets sans importance. Adelrune s’interrogeait sur ses sentiments et ceux de Jarellène. Une partie de lui-même était amoureuse, mais une autre restait craintive et distante. Pour cette raison, et à cause du silence de Jarellène, il ne pouvait se résoudre à exprimer ses sentiments à voix haute.

Il cherchait en vain de l’aide parmi les histoires qu’il connaissait. Généralement, les liaisons de ce genre finissaient mal, ne serait-ce que lorsque les amants étaient abruptement séparés. Ainsi en avait-il été pour Sire Julver et Diamosine, la fille du Duc d’Acier, qui, dans les affres de son chagrin, s’était défigurée lorsqu’il avait été exilé du domaine de son père. Mais Jarellène n’était pas la jeune fille triste et timorée qu’avait été Diamosine. Pouvait-il la ranger du côté de la fière et tourmentée Loraille, qui avait attiré Sire Tachaloch dans son lit à la fois par pur ennui, et pour défier les lois établies ? Peut-être ; mais comment en être certain ?

Malgré toute l’énergie que consacrait Jarellène à leurs rendez-vous amoureux, Adelrune la sentait terriblement fragile. Comme le disait le Livre des Chevaliers, « son cœur se briserait plus facilement qu’une coquille d’œuf ». Quand il la prenait dans ses bras après le déchaînement de leur passion, elle appuyait la tête sur son épaule et sanglotait tout bas. Dans ces moments-là, il ne pouvait croire qu’elle ne fût pas amoureuse de lui ; il ouvrait la bouche pour lui révéler ses sentiments, et juste alors elle marmonnait qu’on l’attendait à la salle de musique dans dix minutes et qu’elle devait s’en aller à l’instant. Adelrune se retrouvait seul, à demi habillé, plus perplexe que jamais.

Alors la partie de lui-même qui craignait leur relation s’éveillait pour l’avertir des conséquences funestes de ses actes. Même si tout devait se dérouler pour le mieux, même s’ils n’étaient pas tous deux déjà condamnés au déshonneur comme l’avaient été Sire Quendrad et Albalte de Wyest, il ne pouvait ni demeurer à bord du Vaisseau de Yeldred, ni habiter au bout du monde pour le restant de ses jours. Il ne pouvait se permettre d’oublier sa quête de nouveau… Mais quand il évoquait en esprit l’image de la poupée, trop souvent se présentait aussi à son souvenir la nudité de Jarellène telle qu’il l’avait vue la première fois, et son désir se ranimait, le laissant à la fois brûlant d’agir et affaibli, audacieux et découragé.

— Tu as beaucoup joué de la lance ces jours-ci ? demanda Sawyd, le tirant de sa rêverie.

Adelrune lui adressa un regard surpris, mais elle gardait les yeux placidement fixés droit devant ; il décida d’interpréter la question de manière absolument littérale.

— Pas tellement, non. À vrai dire, depuis mon arrivée à bord du Vaisseau, je n’ai presque pas consacré de temps à mon entraînement aux armes.

— Eh bien, voici l’occasion rêvée. Nous faisons un arrêt aux îles pendant une semaine ou deux, au plus, et il faut profiter de ce peu de temps pour nous préparer de notre mieux. Aucun besoin de te dire que ce bouclier cérémoniel dont Sa Majesté t’a fait don ne vaut rien au combat. Veux-tu l’un des miens ? Il y en a trois dans ma cabine.

Adelrune remercia Sawyd et alla examiner les boucliers. Après réflexion, il choisit le plus lourd des trois, une rondache de bois bien construite, renforcée par une bordure d’acier. On y avait peint le Vaisseau de Yeldred avec force détails, flottant sur des vagues frangées d’écume rendues avec un art consommé.

Le Kestrel accosta et ses passagers débarquèrent, y compris Sawyd et Adelrune. Pendant une demi-heure, Adelrune erra sur l’île, prenant plaisir à sentir la terre immuable sous ses pieds. De hautes herbes couvraient le sol sablonneux ; plus loin de la côte, elles laissaient place à des plantes plus courtes ; de minuscules fleurs piquetaient le sol et quelques arbres tordus et rabougris défiaient le vent inlassable. Tout solitaire que fût cet endroit, il n’était pas sans un certain charme mélancolique.

Adelrune revint à la grève, où il trouva Sawyd se pratiquant au combat contre Urfil et Choor, deux de ses hommes. Quand elle le vit approcher, elle laissa Urfil et Choor se mesurer l’un à l’autre et se tint à l’écart, dans une posture de défi. Adelrune sourit et souleva sa lance dans sa poigne, ajustant le bouclier sur son bras. Puis il fonça sur Sawyd, la lance dangereusement pointée. Elle dévia la pointe sur son bouclier, frappa Adelrune de taille avec l’épée à la lame ondulée qu’elle affectionnait. Adelrune para, exécuta une feinte classique suivie d’un coup de bouclier, et la lame de Sawyd sauta de sa main. Adelrune recula pour mettre fin au combat, mais Sawyd tira une courte hache de sa ceinture et chargea avec un hurlement à glacer le sang. Adelrune, surpris, réagit trop tard. Si l’attaque de Sawyd avait été réelle, elle lui aurait brisé net le poignet, mais son adversaire retint le coup au dernier instant et éclata de rire.

— Pouah, quel piètre chevalier tu fais ! Si je maniais un balai, nous serions à armes égales.

— Reprends ton épée et essayons encore.

Ils essayèrent encore, et cette fois Adelrune eut l’avantage. Sawyd retraita, ajusta ses armes. « Une troisième passe, Sire Adelrune. » Et ils entamèrent une danse épuisante qui se prolongea plusieurs minutes, pour se terminer par la reddition de Sawyd.

— Assez, assez ! Je n’ai plus de souffle.

Avec un grognement, Sawyd se laissa choir sur le sable ; elle se débarrassa de son casque à plumet et dénoua ses cheveux bouclés, y passa ses doigts, haletante.

Adelrune s’assit à son tour. Il dit malicieusement :