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Il marcha en direction du sud-ouest, le long de la côte, jusqu’au coucher du soleil. Il se contenta de l’abri d’un petit buisson pour la nuit : on était au cœur de l’été, et l’air resta tiède jusqu’à l’aube.

Le jour suivant, il arriva à un petit village côtier nommé Alraba. Ses habitants se montrèrent d’abord soupçonneux, puis prudemment amicaux une fois qu’il eût prouvé ses bonnes intentions. Ils n’avaient pas d’animaux de selle, mais on lui assura qu’il se trouvait des chevaux au plus proche village vers l’intérieur des terres. Il paya une piécette de cuivre pour l’usage d’une petite cabane appartenant à une pêcheuse. Tandis qu’il préparait son lit, une simple pile de vieux sacs de toile qui fleuraient la saumure et les algues, le plus jeune fils de la pêcheuse vint le regarder. Il ne devait pas avoir plus de six ans ; à demi-nu, la peau foncée par le soleil, les cheveux en bataille et les ongles crasseux.

— Z’êtes vraiment un gueurier ?

— Je suis un chevalier.

— C’est quoi un chfalier ?

Adelrune réfléchit à la question et, à sa grande surprise, fut incapable de trouver une réponse claire. Le gamin le regardait, attendant patiemment. Finalement, étrangement mal à l’aise, Adelrune répondit :

— Un chevalier, c’est un guerrier qui a fait preuve de sa valeur… et qui s’est engagé à respecter un code d’honneur… Tu comprends ?

Le petit garçon secoua la tête.

— Eh bien… Je suis un chevalier parce qu’un roi m’a adoubé.

— Z’avez vu un roué ?

— Oui, j’ai connu un roi.

— L’était comment, le roué ?

— C’était un vieil homme avec une longue barbe grise, et de longs cheveux gris, et des yeux bleu vif, comme les tiens. Il portait un grand manteau avec des images brodées dessus avec du fil brillant.

— Et une couronne ?

— Oui, il portait une couronne aussi. Un petit cercle d’or, très mince.

— Beuuu… S’pas une couronne, ça !

Et le petit garçon s’en fut. Adelrune le regarda rentrer dans la maison de sa mère. Pendant un moment, secoué par l’incrédulité de l’enfant, il lui sembla que, s’il avait prétendu être un roi lui-même, ou un magicien, il n’aurait pas menti davantage que lorsqu’il avait affirmé être un chevalier.

*

Le matin venu, Adelrune quitta le village, s’en fut vers l’est. Au milieu de l’après-midi, il atteignit le prochain village, où l’on cultivait les champs et élevait du bétail. On y fut moins impressionné par son accoutrement, mais aussi moins amical qu’à Alraba. En réponse aux questions d’Adelrune, on le dirigea vers un homme revêche qui avait un hongre à vendre. L’animal paraissait en bonne santé au regard inexpérimenté d’Adelrune, et d’un tempérament calme, ce qu’il considérait comme essentiel. Il possédait un large savoir théorique sur les chevaux, ayant lu plusieurs traités sur le sujet, mais Riander n’avait pas d’écurie, et du temps qu’Adelrune vivait à Faudace, il ne s’était jamais tellement approché d’un cheval. Une monture placide ferait parfaitement son affaire.

Le propriétaire dévisageait Adelrune avec un sourire méprisant ; après un moment, il lui demanda avec brusquerie s’il était prêt à acheter ou pas. Adelrune lui demanda quel était son prix. L’homme exigea une forte somme ; Adelrune marchanda et réduisit le prix quelque peu, mais l’homme sortait quand même largement gagnant de l’échange. De toute façon, l’argent de Sawyd couvrirait la dépense. Après avoir payé un supplément pour le harnachement, Adelrune mena sa nouvelle monture hors de sa stalle, attacha la selle et essaya, avec beaucoup d’efforts et de répétitions, de monter.

L’ex-propriétaire s’esclaffa devant le spectacle d’Adelrune perdant prise et retombant à terre, mais en fin de compte le jeune homme parvint à s’asseoir solidement en selle. Le cheval s’ébroua bruyamment, comme en guise de commentaire sur son habileté, mais se tint autrement tranquille.

— Est-ce qu’il a un nom ? demanda Adelrune, qui n’avait pas pensé à ce détail jusqu’alors.

Mais l’homme revêche haussa les épaules et lui tourna le dos, maintenant que le spectacle était terminé.

Adelrune claqua les talons contre les flancs du cheval et sa monture avança au pas. Avec une assurance croissante, il la dirigea hors du village et prit la direction du sud, suivant un sentier qui serpentait à travers les champs.

« Quel nom te conviendrait ? » demanda Adelrune au cheval après quelque temps. Il fit semblant d’attendre une réponse, puis, comme rien ne venait, émit diverses suggestions. Il faillit choisir Bruno, mais la teinte rousse de la robe du cheval apparaissait plus vivement avec le coucher du soleil, et en fin de compte il opta pour Griffin.

Il campa dans un bouquet de chênes, entrava son cheval et s’endormit bientôt. Quand il s’éveilla, comme il s’y était attendu d’après ses lectures, ses jambes étaient tellement endolories qu’il pouvait à peine marcher. Il se força à exécuter une série d’exercices qui rendirent la douleur supportable, puis remonta en selle avec un grognement.

Les jours passèrent. Adelrune s’accoutumait à ce moyen de transport. Griffin était une bonne monture, point trop rapide, mais fiable et tolérante. Le pays d’Aurann était principalement constitué de plaines herbeuses, et ils pouvaient couvrir beaucoup de chemin en peu de temps. De temps à autre, Adelrune s’arrêtait à une auberge pour la nuit, davantage pour Griffin que pour lui-même. Il s’assurait chaque fois que le cheval était bien nourri et soigné ; il savait qu’il en prenait un soin au mieux médiocre et s’efforçait d’apprendre par l’exemple en regardant agir les palefreniers.

Après deux semaines, il franchit la frontière aurannaise et s’aventura dans une région vallonnée que personne ne revendiquait. Adelrune vérifiait sans cesse leur progression sur la carte, essayait de déceler quelle était la meilleure voie à travers les collines. Leur chemin était maintenant plus ardu, mais Griffin se débrouillait bien. On disait les collines habitées par des tribus d’hommes sauvages, sinon par des créatures plus dangereuses, mais Adelrune ne vit jamais le moindre signe d’une telle présence, sauf, une fois, un feu solitaire brûlant dans une lointaine vallée.

Finalement, la monture et le cavalier émergèrent des collines. Ils étaient arrivés, s’il fallait en croire la carte de Sawyd, dans la saillie la plus occidentale du Duché de Donpeï. Cette contrée était trop loin de la côte pour apparaître autrement que comme une zone vierge sur la carte. Devait-il chercher un village ou se diriger droit au sud-ouest sans perdre de temps ? Adelrune ne parvenait pas à se décider sur la marche à suivre. Sa décision fut prise d’elle-même quand, ayant mis pied à terre à un ruisseau pour remplir sa gourde et laisser Griffin étancher sa soif, il vit trois hommes sortir du couvert de l’autre côté du ruisseau et pointer leurs hallebardes dans sa direction.

Ils portaient des jupes de cuir par-dessus des pantalons amples et des chemises de tissu grossier, tout en tons de brun sombre et de gris. Chacun arborait un couvre-chef spectaculaire : un énorme cône de feutre de plus de deux pieds de hauteur, muni d’un large bord qui plongeait dans l’ombre le visage de son porteur.

Adelrune les jaugea d’un regard. Ils tenaient leurs armes maladroitement, mais avaient pris une formation défensive efficace. Ils étaient loin d’être des soldats professionnels ; leur intention était davantage de se protéger de lui que de l’attaquer. Ils faisaient probablement partie d’une quelconque milice. Quoi qu’il en soit, si Adelrune prenait soin de ne pas avoir l’air menaçant, il désamorcerait probablement la situation ; et même si une bataille devait s’ensuivre, il pouvait se défendre ou simplement prendre la fuite.