Ils te disent que l'eau est un élément de vie prodigieux.
Pas besoin de vêtements,
de maison,
de patrie.
Ils te taquinent et te proposent de jouer avec eux.
Tu leur demandes le secret de leur joie de vivre.
Ils te disent qu'ils rêvent en permanence.
Ils t'expliquent que la moitié de leur cerveau dort pendant que l'autre moitié est active.
Si bien qu'au moment où ils jouent avec toi, ils sont aussi en train de rêver.
Tu leur demandes s'ils ne prennent jamais de vrai sommeil.
Et ils te répondent que non, car, de toute manière, ils ont à la fois besoin d'être sous l'eau et de remonter respirer à la surface.
S'ils restent immobiles en dormant, ils s'asphyxient.
Mais ils te signalent que toi-même, ici et maintenant, tu es comme eux.
Tu es en train de lire de manière active «Le Livre du Voyage» quelque part sur Terre, dans le réel.
Et ton esprit est en même temps dans le monde de rêves projeté dans le livre.
Prends-en conscience.
Ils te disent que c'est peut-être là l'évolution de l'homme:
devenir capable d'être simultanément
«conscient et rêvant».
Ils poussent leurs petits cris et se moquent de toi car le seul fait que tu comprennes cette idée fait de toi un mutant.
«Esprit mutant!» «Esprit mutant!» te lancent-ils gaiement.
Tu leur rétorques que tu veux bien être «évolutionnaire» mais pas mutant.
Ils affirment que «changer d'esprit» est déjà une évolution biologique.
Un vieux dauphin dit que si, dans 250 000 ans, l'homme ne commet pas de grosses bêtises, il devrait parvenir à la même évolution.
«Tu fais partie des prototypes des homes du futur.»
Tous les dauphins éclatent de rire et t'entourent.
«Esprit mutant!» «Esprit mutant!» répètent-ils.
Le plus vieux des dauphins approche pour te confier le secret de l'évolution.
Il prétend que les chiffres utilisés par les humains, et qui sont d'origine indienne, montrent déjà le sens de la vie.
Pour les décrypter, il faut savoir que, dans
le dessin du chiffre,
les courbes représentent l'amour,
les traits horizontaux l'attachement,
les croisements les choix.
«1»: c'est le stade minéral.
Un dauphin saute et trace dans l'air, avec son corps, le chiffre pour que tu visualizes bien sa forme.
Un autre t'explique:
«1» ne ressent rien. Il est là.
Il n'y a pas de courbe.
Pas de trait horizontal.
Pas de croisement non plus.
Donc pas d'amour, pas d'attachement, pas de choix.
Au stade minéral, on est sans pensées.
«2»: c'est le stade végétal.
Le dauphin dessine le chiffre en sautant au-dessus de l'eau.
Il y a un trait horizontal en bas.
«2» est rattaché au sol.
La fleur est fixée au sol par sa racine et ne peut donc se déplacer. Il y a une courbe dans la partie supérieure, la tige de la fleur.
«2» aime le ciel.
La fleur se fait belle, remplie de couleurs et de gravures harmonieuses afin de plaire au soleil et aux nuages.
«3»: c'est le stade animal.
Avec ses deux courbes en haut et en bas.
Deux dauphins sautent pour composer les deux boucles.
On dirait deux bouches ouvertes superposées.
Le dauphin approuve:
«C'est la bouche qui embrasse disposée sur la bouche qui mord.»
«3» ne vit que dans la dualité: «j'aime-j'aime pas». Il est submergé par les émotions.
Il n'a pas de traits horizontaux, donc pas d'attachement, ni au sol ni au ciel. L'animal est perpétuellement mobile. Il vit dans la peur et dans le désir.
«3» se laisse diriger par son instinct, il est donc l'esclave permanent de ses sentiments.
«4»: c'est le stade humain.
Deux dauphins sautent et se croisent.
«4» signifie le carrefour.
Avec le symbole de la croix.
Si on s'y prend bien, le carrefour permettra de quitter le stade animal pour passer au stade suivant.
Le dauphin te dit qu'il faut cesser d'être ballotté par la peur et l'envie.
Sortir du «j'aime-j'aime pas» et du «j'ai peur-je désire».
Atteindre le «5».
«5» c'est l'homme spirituel. L'homme évolué. Il a un trait horizontal en haut qui le rattache au ciel.
Il a une courbe dirigée vers le bas.
Il aime ce qu'il y a en dessous: la Terre.
C'est le dessin inversé du 2.
Le végétal est cloué au sol.
L'homme spirituel est cloué au ciel.
Le végétal aime le ciel.
L'homme spirituel aime la terre.
Le prochain objectif de l'humanité sera de libérer l'homme de ses réactions émotionnelles.
Voilà pourquoi il t'appelait:
«L'esprit mutant.»
Et le «6»?
Le dauphin te dit qu'il est trop tôt pour en parler.
Tous les dauphins composent un ballet nautique pour dessiner les chiffres.
1… 2… 3… 4… 5…
Ils répètent:
«Esprit mutant.» «Esprit mutant.»
Tu nages avec eux.
Vous tournez autour de la vasque de marbre.
Et, soudain, devant l'île, il y a un remous.
Quelque chose se soulève.
Une silhouette humaine surgit de l'eau et grimpe sur la berge.
Cette personne, tu la reconnais.
C'est la personne, homme ou femme, qui est faite pour toi.
Rencontre avec la personne qui t'est destinée
Il n'y a pas besoin de vous présenter,
vous vous connaissez depuis longtemps.
Elle est tout ce que tu as toujours cherché.
Tu admires chacun de ses traits.
Son regard.
Son sourire.
Cette manière de se tenir.
Cette tranquillité d'esprit qui rejoint celle que tu as en ce moment précis.
Tu apprécies son parfum.
Tu aimes la chaleur de sa voix, tu la rejoins.
Tu la touches à l'épaule.
Et son contact provoque une petite décharge électrique.
Sa peau est douce et ferme.
Tu lui demandes qui elle est.
Elle préfère te dire qui tu es «toi».
Elle te parle de toi et tu es étonné qu'elle en sache autant sur tes secrets les plus intimes.
Elle prend un petit air mutin qui te fait fondre.
Elle te dit qu'elle apprécie autant tes qualités que tes défauts.
Elle te signale qu'elle-même n'est pas une perfection.
Elle est «l'imperfection adaptée à ta propre imperfection».
Ensemble, vous êtes complets.
Elle te parle de cette théorie antique qui prétend que, jadis, les êtres humains avaient deux têtes, quatre bras, quatre jambes et qu'ils ont été séparés.
«Depuis, on est tous à la recherche de notre moitié perdue», dit-elle.
Tu l'enserres.
Vous vous embrassez longuement.
Vos corps se touchent et reforment cet être complet de quatre bras, quatre jambes, deux têtes.
Autour de vous, les dauphins bondissent gaiement.
Puis elle se dégage pudiquement et t'écla-bousse en riant.
Tu hésites, puis tu l'éclabousses en retour.
Vous jouez comme des enfants.
Soudain elle s'arrête, redevient sérieuse.
Vous vous séparez.
Vos doigts se frôlent une dernière fois.
Elle te dit qu'il est temps de continuer ton chemin et de suivre les dauphins.
Tu insistes pour qu'elle reste avec toi.
Elle te fait clairement comprendre que les êtres humains ne sont pas des biens à posséder.
Il faut laisser les gens venir et repartir à leur gré.
Même elle?
Surtout elle.
La plus grande preuve d'amour que tu puisses lui donner est de lui laisser sa liberté.
Tu es déçu comme la première fois où ta maman t'a laissé seul.
Tu es déçu comme la première fois où tu as compris que le monde et toi étiez différenciés.
Elle ajoute que tu la retrouveras plus tard, ailleurs, peut-être dans le réel.
Si c'est inscrit dans les étoiles…
Mais, pour l'instant, tu dois poursuivre ta route.
Au sud du lac, il y a un passage aquatique souterrain et nous nous y enfonçons, guidés par les dauphins.
À l'entrée, il y a beaucoup de coraux jaunes, d'algues orange, d'anémones rouges.