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Les dauphins te montrent le chemin.

C'est tout droit. Tu iras seul.

Tu nages.

Devant toi, il n'y a plus que la roche.

Elle devient lisse et rose.

En progressant dans le goulet, tu te diriges vers ton passé.

Rencontre avec ton passé

D'abord, tu visites ta collection de souvenirs pénibles que tu as essayé d'oublier mais que tu ne crains plus désormais de regarder en face.

Tu les affrontes un à un.

Les humiliations.

Les injustices.

Les incompréhensions.

Les abandons.

Les trahisons.

Les malveillances des autres à ton égard.

Tu comprends pourquoi tu as réagi ainsi à l'époque.

Et comment tu aurais pu réagir mieux.

Tu t'aperçois que certaines situations pénibles se reproduisent régulièrement dans le même enchaînement précis d'événements.

Tu comprends que c'est toi qui te débrouilles pour, dans ces situations précises, aboutir à ce résultat précis.

Tu enregistres les scénarios d'échec et tu analyses froidement, scientifiquement, avec détachement, à quel endroit tu t'es trompé.

À quel moment tu as baissé les bras.

Tu en déduis comment éviter les mêmes erreurs.

Tu comprends l'enseignement de chacun d'eux.

Puis, tu assistes au défilé de ta collection d'instants heureux.

Tu t'aperçois que certaines situations agréables se reproduisent régulièrement dans le même enchaînement précis d'événements.

C'est toi qui as trouvé le truc pour que chaque fois ça réussisse.

Tu enregistres les scénarios de réussite, et tu vois pourquoi cela fonctionne.

Puis, tu réfléchis au moyen de parfaire ta méthode.

Tu t'aperçois que tes victoires n'étaient que des demi-victoires et que c'est souvent par manque d'audace que tu n'as pas osé t'em-parer de la récompense que tu aurais pu obtenir.

Tu ne te sentais peut-être pas digne de tant de réussite

Si l'école t'a préparé à gérer les difficultés, il aurait aussi fallu qu'elle te prépare à gérer les succès.

Tu peux aller bien plus loin dans les scénarios de réussite.

N'aie pas peur de la victoire.

Nage.

Tu continues d'observer tes instants de joie, de plaisir, de bonheur, de tendresse.

Tu constates que, finalement, les instants agréables sont bien plus nombreux que les instants désagréables.

Dans le goulet, les parois roses deviennent rose foncé, puis rouges, puis rouge foncé. Tout devient plus sombre. Pourpre.

Au bout du tunnel

Tu distingues une fente de lumière.

Elle s'élargit pour devenir un grand losange blanc.

La lumière est de plus en plus forte.

Tu veux faire demi-tour.

Mais deux mains ont surgi qui t'attrapent.

Tu es tiré en avant.

Tu perçois une voix assourdissante.

«Continuez, ça vient!»

Le losange est bien trop étroit pour te laisser passer.

Ton crâne mou se comprime à l'extrême.

Tu as envie de crier, mais tes poumons sont remplis de liquide.

Tu es dehors, à présent.

La lumière est aveuglante.

Court instant de panique.

Il fait froid.

Des voix crient.

Des gens masqués te regardent.

Tu veux leur hurler de se taire.

De te ficher la paix.

D'éteindre la lumière.

Qu'on te remette là où tu étais.

Dans l'eau.

Avec les dauphins et l'être complémentaire.

Bon sang! Tu commences déjà à oublier son visage.

Le reconnaîtras-tu quand tu seras grand?

Mais tu n'arrives toujours pas à respirer.

Tu es comme un poisson sorti de l'eau qui s'asphyxie.

Tu me demandes pourquoi je ne viens pas à ton secours.

Désolé, là, je ne peux rien faire pour toi.

Comme le dit mon ami,

le roman La Machine à explorer le temps, on ne sait toujours pas jouer avec le passé.

C'est un instant qui s'est déjà produit.

Je ne peux que t'inviter à y assister.

Tu ne pourras pas changer ta naissance mais tu pourras la voir différemment.

Des mains gantées de caoutchouc te mettent à l'envers,

pendu la tête en bas.

C'est assez désagréable.

On te tape fort dans le dos.

Ah, les brutes!

Moi-même, j'ignorais que vous vous infligiez dès le début de tels désagréments.

Je comprends mieux maintenant que certains d'entre vous deviennent agressifs par la suite…

Tu n'arrives toujours pas à crier.

Tu sens qu'autour de toi la tension monte.

Aujourd'hui, tu connais ton premier stress.

Tu connais aussi ton premier public impatient.

Qu'attend l'artiste pour se mettre à chanter?

C'est vrai, pourquoi tu n'as pas pleuré tout de suite?

C'était si pénible que ça cette naissance?

Quoi? Trop de lumière? Trop de bruit?

Tu sais, à bien y réfléchir, on est tous passés par là.

Tu crois qu'à ma naissance, sur les rotatives offset, il n'y avait pas de lumière et de bruit?

Vas-y. Qu'est-ce que tu attends? Crie!

Pleure!

Crie!

Il faut que ce cri parte du ventre et qu'il sorte comme un geyser.

Aahh!

Mieux que ça. Plus fort!

AAAAAAAAHHHHHHHHH!

Ouf! ça y est, tu as réussi.

D'un coup le liquide que tu avais emmagasiné dans tes poumons est expulsé.

C'était ta première ex-pression.

Bienvenue parmi les humains.

Ton père est là qui te tend les bras.

Moment d'émotion.

On t'attrape et on te pose sur le ventre de ta mère qui t'embrasse.

Tu es couvert de baisers gluants.

Ça t'aide à supporter le passage du stade de poisson à celui de petit mammifère.

Ça t'aide à supporter de ne pas être un dauphin.

Tu respires à nouveau.

Tu bats des paupières.

Quelqu'un tranche ton cordon ombilical avec des ciseaux de métal glacé.

On y fait un nœud.

Tu as envie qu'on te raccroche à ta mère.

Mais ils ne t'écoutent pas.

Tu pleures aussi pour ça.

Rencontre avec tes ancêtres

La salle de naissance est tout en longueur et semble s'allonger à perte de vue.

Tu t'aperçois qu'il n'y a pas que l'accoucheur et les sages-femmes.

Une petite foule de gens t'attend.

Tu les regardes.

Tu reconnais certains visages.

Ce sont tes ancêtres.

Au premier rang, tes parents.

Ils t'expliquent pourquoi ils ont désiré t'avoir.

Ils te racontent comment ils ont vécu ta naissance.

Ils te racontent quelques anecdotes que tu ne connaissais pas sur ta prime enfance.

Ils te racontent leur propre jeunesse, leurs réalisations, leurs ambitions, ce qu'ils ont souhaité, ce qu'ils ont réussi, ce qu'ils ont raté, et ce qu'ils espéraient que tu réussisses.

Ils te disent pourquoi ils t'aiment.

Et tu t'aperçois que ce n'est pas seulement parce que tu es leur enfant et qu'ils t'apprécient en tant qu'individu à part entière.

Tu les embrasses et les remercies pour tout ce qu'ils ont fait pour toi.

Si tu crois avoir des griefs à leur égard, oublie-les.

Tu leur dois la vie.

Si tu te crois meilleur qu'eux, à toi de le prouver avec tes propres enfants.

Derrière eux se trouvent tes quatre grands-parents.

Eux aussi racontent leur histoire.

Comment ils se sont rencontrés et pourquoi ils se sont aimés et mariés.

Tu comprends que tu as hérité d'eux certains traits de caractère précis.

Un de tes grands-pères, le plus sage, te donne un conseiclass="underline"

«Ne gaspille pas ton énergie dans des choses qui n'en valent pas la peine. Prends ton temps pour entreprendre ce qui te semble important.»

L'autre grand-père te parle.

Il te dit que tu as le droit d'être égoïste.

«Si tu réfléchis bien, au bout de l'égoïsme, tu t'apercevras que ton intérêt direct est de t'occuper des autres.

À quoi ça t'avancerait d'être tout seul bien dans ta peau entouré de gens qui stressent?»