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Une de tes grand-mères le rabroue.

Son idée, c'est qu'il faut expérimenter chaque situation,

y compris les mauvaises.

Il faut se fourvoyer pour trouver le bon chemin.

Elle te dit, comme moi, de fuir les «bons conseilleurs».

L'autre grand-mère approuve.

«Tu dois faire l'apprentissage de tes erreurs.

Pas moyen d'y échapper.

La pire chose qui puisse t'arriver, c'est d'avoir une vie terne et sans erreurs.»

Derrière eux encore:

Tes huit arrière-grands-parents.

Ils portent le costume de leur époque.

Ils te racontent fièrement les découvertes et les bouleversements de leur vie.

Voici ensuite tes seize arrière-arrière-grands-parents.

De ceux-là, tu as à peine entendu parler.

Enfin, tes trente-deux arrière-arrière-arrière-grands-parents.

Tu avances plus vite dans le couloir.

Et tu remontes le temps et ton arbre généalogique.

Maintenant, tes ancêtres sont des gens de la Renaissance, puis du Moyen Âge, puis de l'Antiquité, puis de la préhistoire.

La pièce, qui n'en finit toujours pas de s'allonger, s'est transformée en caverne.

Tes aïeux sont habillés de peaux de bêtes.

Leurs arcades sourcilières sont proéminentes.

Tu as l'impression qu'ils te sont étrangers et pourtant un peu de leur sang coule dans tes veines.

Ils te regardent avec bienveillance, mais n'arrivent pas à s'exprimer dans un langage intelligible.

Alors tu discutes avec leur esprit.

Tu discutais par télépathie avec les dauphins, alors pourquoi pas avec tes ancêtres?

Ils te montrent ce qui les fascine:

le feu qu'on allume avec des pierres, les arcs et les flèches.

Tu te dis qu'en jouant avec les arcs, toi aussi, dans ton enfance, tu reproduisais l'histoire de l'humanité.

Ils te parlent de leur vision du monde.

Pour eux le mystère, c'est ce qu'il y a au-delà de l'horizon.

Ils te parlent de leurs préoccupations.

La peur des loups.

La peur des ours.

La peur de mourir de faim s'ils ne trouvent pas de gibier demain.

La peur de l'orage.

La peur de la tribu rivale qui tente toujours des raids en hiver pour voler les provisions.

Ta présence tout à coup les inquiète.

Ils te demandent comment tu es venu.

Tu dis que c'est grâce au «Livre du Voyage».

Ils te demandent ce qu'est un livre.

Alors, tu désignes un symbole par terre.

Ils gravent des symboles similaires au tien sur le sol.

Tu corriges leurs erreurs.

En faisant voyager ton esprit dans le passé, tu es en train de… lancer les prémices de l'écriture!

Et donc de donner la possibilité à ce livre d'exister!

Quel paradoxe vertigineux…

Tu recules et tu vois ton arbre généalogique.

Tu es le tronc.

Au-dessous de toi, il y a des enchevêtrements de racines.

Au-dessus, des branchages à foison.

Là-haut ces feuilles sont tes enfants.

Leurs enfants.

Leurs petits-enfants.

L'arbre de ta lignée est lui-même une racine qui se mêle à des milliards d'autres racines pour former l'arbre de l'Humanité.

Les nœuds dans l'écorce des branches sont les crises qui rythment l'évolution de l'espèce.

Ce sont les guerres, les migrations, les inventions, les explorations, les conflits sociaux, les crises économiques, les coups d'État.

Revenons voir tes aïeux.

La pièce, de salle d'accouchement, s'était transformée en caverne, elle s'ouvre maintenant sur la forêt.

Te voici au milieu des frondaisons.

Tu vois un ancêtre qui ne se tient plus sur deux pattes, mais sur quatre.

Il est poilu, ressemble à un singe.

Tu lui caresses la tête, tu essaies de lui serrer la patte.

Écoute son esprit.

Il te dit que les félins qui viennent voler les enfants quand ceux de sa horde dorment dans les branches lui causent bien des soucis.

Il a peur de ne pas trouver à manger.

Il a peur que demain le soleil ne revienne pas.

Tu continues sur cette branche.

Maintenant les êtres qui sont devant toi n'ont plus rien d'humanoïde.

Ce bisaïeul ressemble à une musaraigne craintive.

Et celui-là à un lézard à la peau écailleuse.

Dans son regard, tu ne lis plus rien de familier, dans son esprit il n'y a plus que deux préoccupations: «où vais-je trouver à man ger?» et: «où vais-je trouver une femelle?»

La longue branche descend vers l'océan où tu découvres ton ancêtre poisson.

Tu continues et tu tombes sur une sorte d'algue bleue.

La télépathie ne t'est d'aucune aide, les éléments ne pensent pas, ils vivent.

Ne les méprise pas.

Penser à rien c'est quelque chose dont tu n'es même pas capable.

Il y a toujours une pensée dans ta tête.

Ne serait-ce que ta volonté de ne penser à rien…

Après l'algue bleue, tu tombes sur un être unicellulaire.

Tu avances.

Maintenant ce n'est même plus une cellule, c'est une molécule d'eau.

Puis un atome d'hydrogène.

Puis un quark.

Et avant d'être quark?

Il était énergie pure.

Il était Lumière.

Chaleur.

Tu as dans ton sang le souvenir du Big-Bang originel.

Perçois-le.

Voilà d'où tu viens du plus profond de ton être.

D'un grand feu d'artifice qui a éclaté un jour dans l'univers.

Tu observes le Big-Bang de l'intérieur.

Tu lui demandes pourquoi tu existes plutôt que rien.

Tu lui demandes pourquoi ta conscience, simplement en me lisant, est capable de se projeter jusqu'ici.

Et le Big-Bang, gigantesque explosion, t'explique pourquoi tu es né, toi en particulier.

Écoute bien.

Si tu le veux, reste un peu dans le Big-Bang originel.

Nage dans la lumière fossile.

Cette lumière est aussi l'un de tes ancêtres. Maintenant que tu sais cela, tu es prêt pour une autre découverte.

Suis-moi. Revenons sur Terre.

Rencontre avec ta planète

Tu vois ta planète de haut.

La Terre, qui tout à l'heure n'avait pas pu se faire comprendre, te parle.

Elle a toujours cette voix grave et lente.

Désormais intelligible, elle émet:

«Tu as enfin compris. Nous avons un ancêtre commun:

le Big-Bang. Nous sommes des cousins éloignés…»

Elle te narre son histoire.

Jadis, elle a été nuage de poussières.

Le nuage de poussières a formé un conglomérat.

Puis une sphère.

Gaïa te dit que, dès lors, elle était une sorte d'ovule en attente.

Elle a été fécondée par une météorite venue des confins de l'univers.

Celle-ci, petit caillou vagabond et solitaire, était un spermatozoïde de l'espace.

Il possédait quelques acides aminés.

Cela a suffi pour créer une alchimie, prémices de la vie.

Gaïa t'ouvre alors son imaginaire de planète.

Et, tout d'un coup, tu sens ce que sent la Terre.

Ferme les yeux.

Tu entres en empathie avec elle.

Elle te dit sa grande préoccupation: sa place au sein du système solaire.

Chacun a des soucis à son échelle.

Elle est parfois gênée par Mercure et Vénus qui se mettent sur sa ligne d'éclairage solaire.

Elle se sent toute petite par rapport à Jupiter ou à Saturne.

Histoire de famille.

Son përe est le soleil, et elle se sent en rivalité avec les autres planètes sœurs.

Rencontre avec ta galaxie

La Terre t'ouvre à l'esprit du système solaire.

Ton horizon spirituel s'élargit.

Tu sens, toi le simple humain, ce que pense le système solaire.

Il se sent vieux.

Les ellipses de ses planètes se déforment.

Son champ magnétique est perforé de météorites.

Il se sent refroidir.

Il se demande: «Où va la galaxie?»

Il se trouve trop en périphérie sur ce troisième bras de la Voie lactée.

Il craint, si la galaxie ralentit son tourbillon, de se retrouver éjecté dans le vide de l'espace.