La troisième était une cage étroite dans laquelle il n'y avait qu'un seul hamster. Il était nourri normalement, mais il ne pouvait qu'entr'apercevoir à travers une ouverture dans le grillage le spectacle des autres hamsters dans leurs cages. Un peu comme s'il regardait la télévision.
Au bout d'un mois, on sortit les hamsters pour faire le point sur l'influence du milieu sur leur intelligence. Les hamsters de la première cage, pleine de jouets, étaient de loin plus rapides que les autres dans les tests de labyrinthe ou de reconnaissance d'image.
On a ouvert leur crâne. Le cortex des hamsters de la première cage était plus lourd de 6 % par rapport à ceux de la deuxième et davantage encore par rapport à celui de la troisième cage. Au microscope, on pouvait s'apercevoir que ce n'était pas le nombre de leurs cellules nerveuses qui avait augmenté, mais plutôt la taille de chaque neurone qui s'était allongée, d'à peu près 13 %. Leur réseau nerveux était plus complexe. En outre, ils ' dormaient mieux.
Peut-être que si le cinéma le plus populaire est souvent celui qui montre des héros confrontés à des situations de plus en plus complexes, dans des décors de plus en plus grandioses donc plus riches, ce n'est pas un hasard. Le rêve de l'homme est de se retrouver dans un univers enrichi rempli d'épreuves à surmonter. Le héros qui «agit» est un héros qui complexifie son cerveau. Les héros qui ne font que parler à table n'ont pas cette valeur exemplaire.
Il faut surtout bien en déduire que le cerveau ne s'use que si l'on ne s'en sert pas.
Utopie
Le mot «utopie» a été inventé en 1516 par l'Anglais Thomas More. Du grec u, préfixe négatif, et topos, endroit. «Utopie» signifie donc en grec «qui ne se trouve en aucun endroit». Ce diplomate humaniste, chancelier du royaume d'Angleterre, décrivit une île merveilleuse qu'il nomma Utopia et où régnait une société sans impôt, sans misère, sans vol. Il pensait que la première qualité d'une société UTOPIQUE était d'être une société de LIBERTÉ.
Il décrit ainsi sa société idéale: 100 000 habitants vivant sur une île. Les citoyens sont regroupés par familles. 50 familles forment un groupe qui élit son chef, le syphogrante. Les syphograntes forment eux-mêmes un Conseil qui élit un prince sur une liste de quatre candidats. Le prince est élu à vie, mais on peut le démettre s'il devient tyran. Pour les guerres, l'île d'Utopia utilise des mercenaires: les Zapolètes. Ces soldats sont censés se faire massacrer avec leurs ennemis durant la bataille. Comme ça, l'outil se détruit dès usage.
Il n'y a pas de monnaie, chacun se sert au marché en fonction de ses besoins. Toutes les maisons sont pareilles. Il n'y a pas de serrure et tout le monde est obligé de déménager tous les dix ans pour ne pas s'encroûter. L'oisiveté est interdite. Pas de femmes au foyer, pas de prêtres, pas de nobles, pas de valets, pas de mendiants. Ce qui permet de réduire la journée de travail à 6 heures. Tout le monde doit accomplir un service agricole de deux ans.
En cas d'adultère ou de tentative d'évasion d'Utopia, le citoyen perd sa qualité d'homme libre et devient esclave. Il doit alors travailler beaucoup plus et obéir.
En 1535, Thomas More est si sûr de lui qu'il se permet de critiquer dans un monde trop réel le divorce du roi d'Angleterre Henry VIII. Le monarque le fit aussitôt emprisonner et décapiter.
Utopie des adamites
Au milieu du XVe siècle s'est produite en Bohême la révolte des hussites qui réclamaient la réforme du clergé (et l'évacuation des seigneurs allemands). Ils étaient précurseurs du protestantisme.
Parmi eux s'est détaché un groupe radicaclass="underline" les adamites. Ces derniers remettaient en cause non seulement l'Église, mais aussi toute la société. Pour eux, la meilleure manière de se rapprocher de Dieu était de vivre dans les mêmes conditions qu'Adam.
Ils s'installèrent dans une île au milieu du fleuve Moldau, non loin de Prague. Là, ils vivaient nus, en communauté, en mettant tous leurs biens en commun et en essayant de retrouver la vie du paradis terrestre avant la Faute.
Toutes les structures sociales étaient bannies. Il n'y avait plus d'argent, plus de travail, plus de noblesse, plus d'administration, plus de soldats, plus de bourgeoisie, plus d'héritage.
Ils s'interdisaient de cultiver la terre et se nourrissaient de fruits et de légumes sauvages. Ils étaient végétariens et vivaient dans le culte direct de Dieu sans église et sans clergé.
Ils énervaient évidemment leurs voisins hussites qui n'appréciaient guère ce radicalisme. On pouvait certes simplifier le culte de Dieu mais pas à ce point. Ils encerclèrent les adamites dans leur île sur la Moldau et les massacrèrent jusqu'au dernier
Utopie d'AurOville
Parmi les expériences de communautés humaines utopiques l'une des plus intéressantes fut sans aucun doute celle d'Au-roville (abréviation d'Aurore-ville), en Inde, près de Pondichéry. Là, un philosophe bengali, Sri Au-robindo, et une philosophe française, Mira Alfassa («Mère»), entreprirent de créer un village utopique et idéaliste inauguré en 1968. Ils imaginèrent un lieu en forme de galaxie afin que tout rayonne à partir d'un centre rond.
Des gens de tous pays vinrent là, essentiellement des Européens en quête d'un sens pour leur vie. Ils construisirent des éoliennes, des centres de production d'objets artisanaux, des canalisations, un centre d'informatique, une briqueterie, implantèrent des cultures dans cette région pourtant aride. Mère rédigea un ouvrage en plusieurs volumes dans lequel elle raconta ses expériences spirituelles. Tout alla bien jusqu'au jour où le système souffrit de sa propre réussite.
Certains membres de la communauté d'Auroville décidèrent de déifier Mère de son vivant. Elle refusa cet hommage mais, Sri Aurobindo étant décédé, elle était désormais seule face aux autres et ne parvint pas à résister longtemps à ses admirateurs déificateurs.
Ceux-ci l'enfermèrent dans sa chambre et décidèrent que, puisqu'elle n'acceptait pas de devenir une déesse vivante, elle serait une déesse morte. Après tout, elle n'avait peut-être pas pris conscience de sa substance divine, mais cela ne l'empêchait pas d'être une déesse.
Dans les derniers discours filmés de Mère, on la voit cabrée comme un taureau sous les chocs. Dès qu'elle entreprend de parler de son incarcération et de la façon dont ses adorateurs la traitent, on lui coupe la parole et on la ramène dans sa chambre. Elle se transforme peu à peu en une petite vieille qui se ratatine jour après jour sous la pression de ceux qui prétendent la vénérer au-delà de tout.
Mère parviendra quand même à informer en cachette d'anciens amis qu'on est en train d'empoisonner sa nourriture dans le but de faire d'elle une déesse morte, donc plus facilement adorable. Mais ses fidèles l'isoleront du monde extérieur et de ses derniers amis. Tous ceux qui prétendent vouloir la sauver seront irrémédiablement exclus d'Auroville.
Mère mourut en 1973, probablement empoisonnée à l'arsenic, et la communauté organisa pour elle des funérailles de déesse. Vers la fin, elle avait trouvé un moyen de communiquer avec les siens: elle jouait de l'orgue dont la musique filtrait depuis sa chambre de détention.
Après sa mort, la communauté se divisa et de multiples procès semèrent le doute sur l'une des expériences communautaires humaines les plus ambitieuses et les plus réussies.
V
Vieillard
En Afrique, on pleure la mort d'un vieillard plus que la mort d'un nouveau-né. Le vieillard constituait une somme d'expériences qui pouvait profiter au reste de la tribu tandis que le nouveau-né, n'ayant pas vécu, n'a même pas conscience de sa mort.