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— Vous me prenez pour une grue, dit-elle. Je ne suis pas Marthe Richard, ne l’oubliez pas, Mackinley.

— Ma chère, dit-il, c’est oui ou…

Il se passa d’un geste significatif le tranchant de la main sur la pomme d’Adam.

Elle explosa.

— Je refuse, dit-elle, il est trop moche. Lorsque je suis entrée dans vos services, il a été convenu que ma fidélité à Georges ne risquerait de subir aucune atteinte.

— Ha, ha ! ricana Mackinley. Et que dites-vous de ce petit blond aux joues roses… un garçon boucher de Montpellier, je crois… que vous sortez en taxi.

Cette fois, elle accusa le coup.

— Vous savez donc tout, espèce de monstre ! dit-elle dans un souffle.

— Je voudrais en savoir davantage, dit-il, et c’est pourquoi je me suis permis de solliciter votre concours.

— Coucher avec Jules M…, murmura Pelagia. Quelle abomination !

Elle frissonna et se leva.

— Je crois que nous n’avons plus rien à nous dire, conclut Mackinley. Dans quelques jours, notre agent F-5 vous contactera à Montpellier. Vous recevrez un jeu complet de papiers d’identité et, naturellement, quelques subsides…

— Combien ? murmura-t-elle.

— Heu…, dit Mackinley. Vous aurez cinq cent mille en liquide et cinq mille dollars de plus à votre crédit si l’affaire réussit. Le service est décidé à se montrer assez généreux cette fois, Voyez-vous, ma chère Pelagia, le rapport Gromiline est extrêmement important pour le président…

III

Le taxi démarra lentement. C’était une vieille Vivaquatre dont le chauffeur était à moitié sourd.

Derrière, sur les coussins, Pelagia caressait tendrement les cheveux courts du garçon boucher.

— Mon minet, dit-elle en russe… quand j’étais toute petite, j’avais un petit cochon rose, un bébé cochon… il s’appelait Pulaski… c’est lui que tu me rappelles.

Elle se rembrunit. Le garçon boucher, un peu abruti de nature, se laissait caresser sans mot dire.

— Zut ! murmura Pelagia. Je suis en train de faire un complexe rétroactif, comme ces garces d’Américaines.

Le taxi approchait de l’hôtel où ils abritaient leurs amours.

– Écoute, dit Pelagia, rassemblant son meilleur français. Toi… venir… toi, petit pigeon, prendre couteau… couper ma gorge.

— Je ne peux pas coucher avec ce type… ajouta-t-elle en russe. Écoute, Goloubtchik, reprit-elle en français… Si tu m’aimes, tu dois le faire.

— Est-ce que tu es Nord-Coréenne ? demanda le garçon boucher à brûle-pourpoint.

— Oh…, dit Pelagia… Kharbine… tout près.

— Alors, ça va, dit-il. C’est d’accord. Je veux bien.

Pelagia frissonna.

— J’aime mieux que ce soit toi, dit-elle très vite. Mon cochon rose. À Palavas, là où nous nous sommes connus.

Elle l’embrassa passionnément. Le chauffeur, qui voyait ça dans le rétroviseur, faillit emboutir un camion.

— On fera ça demain, dit le garçon boucher. J’affûterai le truc ce soir en rentrant. Rendez-vous sur la plage à neuf heures.

On était le 3 septembre.

IV

— Pas encore fameux, observa le patron. Décidément, tu ne sais pas affûter un couteau.

— On verra ça, dit le garçon, l’air faraud.

— J’attends toujours le Nord-Coréen, dit le patron, taquin.

— Patience, dit le garçon.

Il empoigna le fusil et commença à repasser la lame avec application. Un bout de langue passait entre ses lèvres. Le patron ricana et cracha dans la sciure, en plein sur une grosse mouche verte.

V

— Arrêtez-vous ici, dit Pelagia en tapant sur l’épaule du chauffeur. Ce dernier obtempéra. Elle lui lança deux billets de mille francs et descendit. Elle portait une jupe noire et un chemisier blanc largement échancré.

Le chauffeur la regarda s’éloigner et claqua de la langue.

— Pour ce prix-là, je me la farcirais bien tous les soirs, dit-il avec une grossièreté révoltante.

Elle allait à grands pas vers la plage. Il était près de huit heures. Elle se retournait de temps à autre. Deux hommes la virent passer et s’arrêtèrent.

— Hum ! dit l’un.

— Oui…, répondit le second.

Le soir tombait très vite. Pelagia marchait sur la plage de Palavas. Elle était seule maintenant. Elle arrivait au lieu du rendez-vous. Elle était en avance. Se laissant tomber sur le sable, elle attendit.

Il surgit derrière elle, silencieux comme une ombre. Elle perçut sa présence.

— Mon cochon rose, soupira-t-elle.

Il était nerveux.

– Ça m’embête, dit-il. Kharbine, j’ai regardé sur une carte, c’est pas du tout en Corée du Nord.

— Qu’importe, soupira Pelagia. Tout plutôt que coucher avec ce type. Fais vite, Goloubtchik.

Il se rappela la technique des parachutistes qu’il avait vu opérer au cinéma. En même temps, sa propreté naturelle lui suggéra une idée.

— Entre dans l’eau, dit-il. Ça ne tachera pas.

Elle marcha dans l’eau. Brutalement, il l’a retourna et lui colla son pouce sous le nez, lui renversant la tête en arrière. Le couteau plongea. Une seule fois.

— Mince, dit-il en retirant l’arme, le patron ne dira pas que c’était mal affûté, ce coup-là.

À ses pieds, le cadavre saignait dans l’eau noire.

— Une bonne chose de faite, murmura le garçon, j’ai tenu parole.

Une masse pesante s’abattit sur sa tempe et il s’effondra, inerte.

L’agent F-5 siffla doucement. Le canot s’approcha.

— Mettez ça là-dedans, dit-il. Ce bougre m’a épargné un travail désagréable.

L’homme du canot chargea le corps du garçon boucher.

— Une piqûre de N. R. F.[8], dit-il. Et on le ramène chez lui.

Il fouilla le corps. La blessure ne saignait plus. Il ramassa l’arme et la lança loin de lui.

Le portefeuille, la ceinture. Il allait disperser tout ça. Il tira le corps vers le rivage. Il fallait qu’on le retrouve ; F-5 avait besoin d’être couvert vis-à-vis de Mackinley.

Le grondement du petit canot résonnait en sourdine. F-5 monta. La coque frêle s’enfonça sous son poids.

— Allez, dit-il. On a encore du boulot.

La tache noire du bateau disparut dans l’ombre.

LES CHIENS, LE DÉSIRET LA MORT[9]

Ils m’ont eu… Je passe à la chaise demain. Je vais l’écrire tout de même, je voudrais expliquer. Le jury n’a pas compris. Et puis Slacks est morte maintenant et il m’était difficile de parler en sachant qu’on ne me croirait pas. Si Slacks avait pu se tirer de la bagnole. Si elle avait pu venir le raconter. N’en parlons plus, il n’y a rien à faire. Plus sur terre.

Le chiendent, quand on est chauffeur de taxi, c’est les habitudes, qu’on prend. On roule toute la journée et, à force, on connaît tous les quartiers. Il y en a qu’on préfère à d’autres. Je connais des types, par exemple, qui se feraient hacher plutôt que d’emmener un client à Brooklyn. Moi, je le fais volontiers. Je le faisais volontiers, je veux dire, parce que, maintenant, je ne le ferai plus. C’est une habitude comme cela que j’avais prise, je passais presque tous les soirs vers une heure au « Three Deuces ». Une fois, j’y avais amené un client saoul à rouler, il a voulu que j’y entre avec lui. Quand je suis ressorti, je savais le genre de filles qu’on trouvait là-dedans. Depuis, c’est idiot, vous le direz vous-même…

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8

Non remember fluid, sérum amnésique mis au point par le service secret américain pendant la dernière guerre mondiale.

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9

Nouvelle signée Vernon Sullivan. Écrite en 1947. (Note ELG.)