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— Urodonal… souvenez-vous. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée…

— Il faut, dit Urodonal, qu’une porte soit ouverte, fermée, ou démontée s’il est urgent qu’on en répare la serrure.

Puis Urodonal s’éloigna et prit le train pour Paris, histoire de conquérir la capitale.

III

Urodonal, à Paris, pensa d’abord que l’odeur du métro Montmartre rappelait celle des cabinets de la campagne, mais garda, par-devers lui cette remarque, jugée sans intérêt pour les Parisiens. Puis il tenta de trouver du travail.

Il médita longuement avant de définir l’activité à laquelle il désirait se consacrer. Comme il avait, à La-Houspignole, fait partie de la fanfare municipale en qualité de second bugle à rallonges, il voulut s’orienter vers la musique.

Il y fallait cependant une justification : avec son génie habituel, il eut tôt fait de la trouver. — La musique, se dit-il, adoucit les mœurs. — Or, des mœurs sévères sont indispensables à tout homme de bien ; et il serait donc mauvais d’être musicien. Cependant, les habitants de cette Babylone n’ont aucune moralité : la musique, par conséquent, ne présente pour eux aucun danger.

On voit que les études avaient développé le sens critique d’Urodonal à un point que l’on peut juger troublant. Mais il ne s’agissait pas là d’un homme normal, et son organisme était assez robuste pour supporter un cerveau exceptionnel.

La musique laissait des loisirs à Urodonal, qui décida de chercher sa voie dans la littérature.

Quelques essais infructueux, loin de tarir son génie, lui inspirèrent cette épigramme :

— Le succès d’un auteur, confia-t-il à ses amis, dépend de sa faculté plus ou moins grande à s’identifier, sur le papier, à un imbécile.

Dans sa vie amoureuse, Urodonal était aussi prodigieux.

— Dire : tu ne m’aimes plus, assura-t-il à Marinouille, sa petite amie jalouse, c’est dire : je ne crois plus que tu m’aimes ; cela, comment peux-tu le savoir ?

Sur quoi Marinouille resta coite.

Cependant, un type de l’envergure d’Urodonal ne pouvait se satisfaire de l’existence médiocre qu’il menait entre Marinouille et son bugle.

— Vivre dangereusement…, répétait-il parfois, et des lueurs sauvages parcouraient son regard indomptable.

Et puis un jour, Marinouille le trouva mort dans son lit. Il avait depuis peu noué des relations coupables avec un jeune dévoyé de mœurs crapuleuses, évadé d’une geôle où il purgeait trois mois de prison pour l’assassinat de douze personnes.

Pourtant, Urodonal n’avait rien d’un vicieux ; mais on trouva l’explication de sa triste fin dans un recueil de pensées inédites, qui n’en contenait qu’une, à la première page.

— Quoi de plus dangereux que de se faire tuer ? avait écrit Urodonal.

Et comme c’est vrai.

SURPRISE-PARTIE CHEZ LÉOBILLE[13]

Les paupières de Folubert Sansonnet, frappées directement par le rayon de soleil ondulé qui franchissait la grille des persiennes, avaient, de l’intérieur, une jolie couleur rouge orangé, et Folubert souriait dans son sommeil. Il s’avançait d’un pas léger sur le gravier blanc, doux et chaud, du jardin des Hespérides, et de jolis animaux soyeux lui léchaient les doigts de pied. À ce moment, il se réveilla ; il cueillit délicatement, sur son gros orteil, Frédéric, l’escargot apprivoisé, et le remit en position pour le matin suivant. Frédéric renâcla, mais ne dit rien.

Folubert s’assit sur son lit. Il prenait le temps de réfléchir, dès le matin, pour toute la journée et s’épargnait ainsi les multiples désagréments dont s’embarrassent ces êtres mal ordonnés, scrupuleux et inquiets, à qui leur moindre action semble le prétexte de divagations sans nombre (pardonnez-moi la longueur de cette phrase) et bien souvent sans objet, car ils l’oublient.

Il y avait à réfléchir à :

1. Comment il allait s’harnacher ;

2. Comment il allait se sustenter ;

3. Comment il allait se distraire.

Et c’est tout, car c’était dimanche, et trouver l’argent constituait un problème déjà résolu.

Folubert réfléchit donc, et dans l’ordre, à ces trois questions.

Il fit avec soin sa toilette, en se brossant les dents vigoureusement et en se mouchant dans ses doigts ; puis il s’habilla. Le dimanche, il commençait par la cravate et terminait par les souliers, c’était un excellent exercice. Il prit dans son tiroir une paire de chaussettes à la mode, formées de bandes alternées : une bande bleue, pas de bande, une bande bleue, pas de bande, et cætera. Avec ce modèle de chaussettes, on pouvait se peindre les pieds de la couleur qu’on voulait, qui apparaissait entre les bandes bleues. Il se sentait timide et choisit donc un pot de couleur vert pomme.

Pour le reste, il mit ses habits de tous les jours, une chemise bleue et du linge propre, car il pensait au troisièmement.

Il déjeuna d’un hareng en civière, arrosé d’huile douce et d’un morceau de pain, frais comme l’œil et, comme l’œil, frangé de longs cils roses.

Il se permit enfin de penser à son dimanche.

C’était aujourd’hui l’anniversaire de son ami Léobille et il y avait, en l’honneur de Léobille, une belle surprise-partie.

À la pensée des surprises-parties, Folubert se perdit dans une longue rêverie. Il souffrait, en effet, d’un complexe de timidité et il enviait en cachette la hardiesse des pratiquants du jour : il aurait voulu posséder la souplesse de Grouznié, alliée à la fougue de Doddy, l’élégance smart et charmante de Rémonfol, la rigidité attirante du chef Abadibaba ou la piraterie éblouissante de n’importe lequel des membres du Club des Lorientais.

Pourtant, Folubert avait de jolis yeux marron d’Inde, des cheveux doucement flous et un gracieux sourire, à l’aide duquel il conquérait tous les cœurs, sans s’en douter. Mais il n’osait jamais tirer parti de son physique avantageux et restait toujours seul pendant que ses camarades dansaient élégamment le swing, le jitterbug et la barbette gauloise avec les jolies filles.

Ceci le rendait souvent mélancolique, mais, la nuit, des rêves venaient le consoler. Il s’y retrouvait plein d’audace et les belles jeunes filles l’entouraient, suppliantes, afin qu’il leur accordât la faveur d’une danse.

Folubert se rappela le rêve de cette nuit. C’était une très jolie personne en robe de crêpe mousse bleu lavande, et ses cheveux blonds lui couvraient les épaules. Elle avait de petits souliers de serpent bleu et un bracelet curieux qu’il ne pouvait plus décrire exactement. Dans le rêve, elle l’aimait beaucoup et, à la fin, ils étaient partis ensemble.

Sûrement, il l’avait embrassée et peut-être même qu’elle s’était laissé faire pour lui accorder quelques faveurs supplémentaires.

Folubert rougit. Il aurait bien le temps de penser à ça en se rendant chez Léobille. Il fouilla dans sa poche, vérifia qu’elle contenait assez d’argent et sortit pour acheter une bouteille d’apéritif au venin, la marque la moins chère, car il ne buvait jamais.

Au même instant que Folubert s’éveillait, le Major, tiré de son sommeil par la voix rauque de sa conscience troublée, atterrit sur le parquet gluant de sa chambre avec un goût de méchant jaja ordinaire dans la bouche.

Son œil de verre brillait d’une lueur sinistre dans la pénombre et éclairait d’un jour abject le foulard qu’il était en train de peindre ; le dessin, représentant, à l’origine, un anicroche paissant au milieu des frères présvert, prit l’aspect d’une tête de mort vénitienne, et le Major sut que, ce jour-ci, il avait une mauvaise action à commettre.

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Publié en 1947. (Note ELG.)