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— Veuillez vous couvrir et décamper dans l’instant ! suggéra Denis.

Il eut l’idée inattendue, pour augmenter l’effet, de pousser un hurlement. Jamais encore pareille inspiration n’était venue le taquiner, mais malgré son manque d’expérience, cela résonna de façon épouvantable.

La demoiselle, terrorisée, s’habilla sans mot dire, en moins de temps qu’il n’en faut à une pendule pour sonner douze coups. Lorsqu’il fut seul, Denis se mit à rire. Il éprouvait une sensation vicieuse, assez excitante.

— C’est le goût de la vengeance, supposa-t-il tout haut.

Il remit de l’ordre dans ses ajustements, se nettoya où il fallait, et sortit. Il faisait nuit et le boulevard scintillait de façon merveilleuse.

Il n’avait pas fait deux mètres que trois hommes s’approchèrent de lui. Vêtus un peu voyant, avec des complets trop clairs, des chapeaux trop neufs et des chaussures trop cirées, ils l’encadrèrent.

— Peut-on vous causer ? dit le plus mince des trois, un olivâtre à fine moustache.

— De quoi ? s’étonna Denis.

— Fais pas le con, articula l’un des deux autres, rouge et cubique.

— Entrez donc par ici…, proposa l’olivâtre comme ils passaient devant un bar.

Denis entra, assez curieux. Il trouvait, jusqu’ici, l’aventure plaisante.

— Vous jouez au bridge ? demanda-t-il aux trois hommes.

— Tu vas en avoir besoin d’un, remarqua le rouge cubique de façon obscure. Il semblait courroucé.

— Mon cher, dit l’olivâtre une fois qu’ils furent entrés, vous venez d’agir avec une jeune fille de façon assez peu correcte.

Denis s’esclaffa.

— Il se marre, l’empaffé ! observa le rouge. Il va moins se marrer.

— Il se trouve, poursuivit l’olivâtre, qu’on s’y intéresse à cette môme.

Denis comprit soudain.

— Je vois, dit-il. Vous êtes des maquereaux.

Tous trois se levèrent d’un coup.

— Nous cherche pas ! menaça le cubique.

Denis les regarda.

— Je vais me mettre en colère, dit-il posément. C’est la première fois de ma vie, mais je reconnais la sensation. Comme dans les livres.

Les trois hommes semblaient déroutés.

— Tu penses pas que tu nous fais peur, bille ! dit le rouge.

Le troisième causait peu. Il ferma un poing et prit un élan. Comme le poing arrivait au menton de Denis, ce dernier se déroba, happa le poignet, et serra. Cela fit du bruit.

Une bouteille atterrit sur le crâne de Denis, qui cilla et recula.

— On va te mettre en l’air, dit l’olivâtre.

Le bar s’était vidé. Denis bondit par-dessus la table et le cubique. Éberlué celui-ci béa, mais il eut le réflexe d’empoigner le pied chaussé de daim du solitaire de Fausses-Reposes.

Il s’ensuivit une brève mêlée à l’issue de laquelle Denis, le col déchiré, se contempla dans la glace. Une estafilade lui barrait la joue, et un de ses yeux virait à l’indigo. Prestement, il rangea les trois corps inertes sous les banquettes. Son cœur grondait furieusement sous ses côtes. Il s’arrangea un peu. Et soudain, ses yeux tombèrent sur une pendule. Onze heures.

— Par ma barbe, pensa-t-il. Il faut que je file !

Vite, il mit ses lunettes noires et courut vers son hôtel. Il avait l’âme pleine de haine, mais l’urgence de son départ lui apparaissait.

Il paya sa chambre, prit sa valise, sauta sur sa bicyclette, et partit comme un vrai Coppi.

* * *

Il arrivait au pont de Saint-Cloud lorsqu’un agent l’arrêta.

— N’avez donc pas de lumière ? dit cet homme semblable à d’autres.

— Hein ? demanda Denis. Pourquoi ? J’y vois !

— C’est pas pour y voir, dit l’agent. C’est pour qu’on vous voie. Si vous arrive un accident ? hein ?

— Ah ? dit Denis. Oui, c’est vrai. Mais comment ça marche, cette lumière ?

— Foutez de moi ? demanda la vache.

– Écoutez, dit Denis, je suis vraiment très urgé. Je n’ai pas le temps de me foutre.

— Vous la voulez, votre contredanse ? dit le flicard infect.

— Vous êtes excessivement ennuyeux, répondit le loup à pédales.

— Bon ! dit l’ignoble pied plat, vous l’avez.

Il commença de sortir un carnet de bal et un stylobic et baissa le nez un instant.

— Votre nom ? dit-il en relevant le nez.

Puis il siffla dans son tube à sons car il apercevait au loin la rapide bicyclette de Denis qui se lançait à l’assaut de la côte.

Denis en mit un coup. L’asphalte ébahi cédait devant sa furieuse progression. La côte de Saint-Cloud fut avalée en un rien de temps. Il traversa la portion de ville qui longe Montretout — fine allusion aux satyres errants du parc de Saint-Cloud — et tourna à gauche vers le Pont Noir et Ville-d’Avray. Comme il émergeait de cette noble cité devant le restaurant Cabassud, il prit conscience d’une agitation derrière lui. Il força l’allure, et, soudain, s’élança dans un chemin forestier. Le temps pressait. Au loin, soudain, une horloge annonçait minuit.

Dès le premier coup, Denis constata que ça allait mal. Il avait peine à attraper les pédales ; ses jambes lui paraissaient se raccourcir. Au clair de la lune, il escaladait pourtant, sur sa lancée, les cailloux du chemin de terre — lorsqu’il aperçut son ombre — un long museau, des oreilles droites — et du coup, il prit la bûche, car un loup à bicyclette, ça n’a pas de stabilité.

Heureusement pour lui. Il avait à peine touché terre que d’un bond, il jaillit dans un fourré ; et la moto de la police s’écrasa bruyamment sur la bicyclette affalée. Le motard y perdit un testicule et son acuité auditive, par la suite, diminua de trente-neuf pour cent.

Denis était à peine redevenu loup qu’il s’interrogea, tout en trottant vers sa demeure, sur l’étrange frénésie qui l’avait saisi sous sa défroque d’homme. Lui si doux, si calme, avait vu s’envoler par-dessus le toit ses bons principes et sa mansuétude. La rage vengeresse dont les effets s’étaient manifestés sur les trois maquereaux de la Madeleine — dont l’un, hâtons-nous de le dire à la décharge des vrais maquereaux, émargeait à la Préfecture, service de la Mondaine — lui paraissait à la fois impensable et fascinante. Il hocha la tête. Quel grand malheur que cette morsure du Mage du Siam. Heureusement, pensa-t-il, cette pénible transformation va se limiter aux jours de pleine lune. Mais il lui en restait quelque chose — et cette vague colère latente, ce désir de revanche ne laissaient pas que de l’inquiéter.

UN CŒUR D’OR[2]

I

Aulne rasait les murs à sec, regardant derrière lui, l’air soupçonneux, tous les quatre pas. Il venait de voler le cœur d’or du père Mimile ; bien sûr, il avait été forcé d’étriper un peu le bonhomme et en particulier de lui fendre le thorax à coups de serpe, mais lorsqu’il y a un cœur d’or à prendre, il ne faut pas hésiter sur les moyens.

Quand il eut fait trois cents mètres, il retira ostensiblement sa casquette de voleur, la jeta dans un égout et la remplaça par un chapeau mou d’honnête homme. Son allure s’affermit ; néanmoins, le cœur d’or du père Mimile, encore tout chaud, le gênait, car il battait désagréablement dans sa poche. En outre, il aurait aimé le regarder à loisir car c’était un cœur dont la vue vous remettait en état de nuire.

Une encablure plus loin, dans un égout de dimensions supérieures à celles du premier, Aulne se débarrassa de la massue et de la serpe. Les deux instruments étaient couverts de cheveux collés et de sang, et comme Aulne faisait les choses soigneusement, il y avait aussi, sans nul doute, plein d’empreintes digitales. Il garda ses vêtements, englués de sang poisseux, car les passants n’attendent tout de même pas d’un assassin qu’il s’habille comme tout le monde, et il faut respecter le code du milieu.

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Publié en 1949. (Note ELG.)