– Ça me fait une belle jambe ! dit Verge, furieux.
— Et puis, maintenant qu’elle l’a mis sous son aile, il doit puer la volaille, dit le Major, dégoûté.
— Tu es bien aimable, conclut Jean. Tâchons de repartir pour en acheter un autre et, à l’avenir, je t’en prie, chasse la poule avec quelque chose qui ne se mange pas.
— Je veux bien faire ça pour toi, dit le Major. Je vais préparer une clef anglaise. Voyons un peu ce qu’a la bagnole.
— Tu ne l’avais pas arrêtée exprès ? demanda Joséphine, étonnée.
— Euh… Non, dit le Major.
VIII
Le Major saisit son détecteur à pannes, un stéthoscope transformé, et se faufila sous la voiture. Il se réveilla deux heures plus tard, bien reposé.
Verge et Joséphine se régalaient de pommes pas mûres dans un champ voisin.
Le Major prit un tuyau de caoutchouc et siphona dans le fossé les trois quarts de l’essence restante, afin d’alléger l’avant de la voiture. Puis il glissa le cric sous le longeron gauche, stabilisa sa Renault à quarante centimètres du sol et ouvrit le capot.
Il appliqua la capsule du stéthoscope sur le moteur et constata que la panne ne venait pas de là. Le ventilateur n’avait rien, le radiateur chauffait, donc marchait. Il lui restait le filtre à huile et la magnéto.
Il permuta la magnéto et le filtre à huile, fit un essai. Ça ne marchait pas.
Il les remit chacun à sa place respective et fit un nouvel essai. Ça marchait.
— Bon, conclut le Major. C’est la magnéto. Je m’y attendais. Il faut trouver un garage.
Il héla à grands cris Verge et Joséphine pour pousser la voiture. Il oublia d’enlever le cric et quand ils commencèrent leur effort le véhicule bascula et le pneu avant droit tomba juste sur le pied de Verge et éclata.
— Imbécile ! dit le Major, coupant court aux protestations de Verge. Tu l’as crevé ! Maintenant répare-le.
— Au fait ! remarqua-t-il peu après, c’est idiot de pousser cette voiture. Joséphine va aller chercher un garagiste.
Elle partit sur la route et le Major s’installa commodément à l’ombre pour une sieste. Il mangeait un second petit pain chipé chez le boulanger.
— Rapporte un pain, si vous avez faim ! cria-t-il à Joséphine comme elle disparaissait au tournant de la route.
IX
Le Major, son pain fini, s’était un peu éloigné en attendant le retour de Joséphine. Soudain, il aperçut à l’horizon deux képis bleus qui se dirigeaient vers lui.
Il se mit à courir, à voler plutôt, de profil on lui aurait donné cinq jambes, et atteignit la voiture. Verge, appuyé à un arbre, regardait dans le vague en fredonnant.
— Au travail ! commanda le Major. Coupe cet arbre. Voilà une clé anglaise.
Verge referma soigneusement son vague et obéit machinalement.
L’arbre abattu, il se mit à le débiter en bûchettes suivant les indications du Major.
Ils cachèrent les feuilles dans un trou et camouflèrent la voiture en meule à charbon de bois, qu’ils complétèrent en la recouvrant avec la terre du trou. Verge disposa au sommet un petit charbon du Sérail allumé, dont jaillissait une fumée odorante.
Le Major noircit au fusain sa figure et celle de Verge et chiffonna ses vêtements.
Il était temps, les gendarmes arrivaient. Le Major frissonnait.
— Alors ? dit le plus gros.
— On travaille ? compléta le second.
— Ben oui ! dit le Major en prenant l’accent charbonnier.
— Sent bon, votre bois, dit le plus gros.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda l’autre. Ça sent la pute, compléta-t-il avec un rire complice.
— C’est du camphrier et du santal, expliqua Verge.
— Pour la chaude-pisse ? dit le plus gros.
— Ah ! Ah ! fit le second.
— Ah ! Ah ! firent Verge et le Major un peu rassurés.
— Faudra signaler aux Ponts et Chaussées de détourner la route, conclut le premier gendarme, parce que là, les voitures doivent vous gêner.
— Oui, faudra le faire, dit le second. Les voitures doivent vous gêner.
— Merci d’avance ! dit le Major.
— Au revoir ! crièrent les deux gendarmes en s’éloignant.
Verge et le Major leur lancèrent un sonore adieu et dès qu’ils se trouvèrent seuls, ils se mirent en devoir de démolir la pseudo-meule.
Ils eurent la désagréable surprise de constater que la voiture n’était plus dedans.
— Comment ça se fait ? dit Verge.
— J’en sais rien ! dit le Major. Ça me dépasse dans une certaine mesure.
— Tu es sûr que c’est une Renault ? dit Verge.
— Oui, dit le Major. J’y avais bien pensé. Ça serait une Ford, on comprendrait. Mais c’est bien une Renault.
— Mais une Renault de 1927 ?
— Oui ! dit le Major.
— Tout s’explique, dit Verge, regarde.
Ils se retournèrent et virent la Renault qui broutait l’herbe au pied d’un pommier.
— Comment est-elle arrivée là ? dit le Major.
— Elle a creusé un trou. Toutes les fois qu’on la recouvrait de terre, celle de mon père en faisait autant.
— Ton père la recouvrait souvent de terre ? demanda le Major.
— Oh ! De temps en temps… Pas vraiment très souvent.
— Ah ! fit le Major, soupçonneux.
— C’était une Ford, expliqua Verge.
Ils laissèrent la voiture et achevèrent de dégager la route. Ils avaient presque terminé lorsque Verge vit le Major s’aplatir dans l’herbe, l’œil fixe et lui faire signe de se taire.
— Une poule ! souffla-t-il.
Il se détendit brusquement et retomba de tout son long dans le fossé plein d’eau, sur la poule. Celle-ci plongea, fit quelques brasses, ressortit plus loin et s’enfuit en caquetant sans fin. Da Rui leur apprenait aussi à nager sous l’eau.
Juste à ce moment, le garagiste arrivait.
Le Major s’ébroua, lui tendit une main humide et dit :
— Je suis le Major. Vous n’êtes pas un gendarme, au moins ?
— Enchanté, dit l’autre. C’est la magnéto ?
— Comment le savez-vous ? dit le Major.
— C’est la seule chose de rechange que je n’ai pas, dit le garagiste. C’est pour ça.
— Non, dit le Major. C’est le filtre à huile.
— Alors, je vais pouvoir vous remettre une magnéto neuve, dit le garagiste. J’en ai amené trois à tout hasard. Ah ! Ah ! Je vous ai eu, hein ?
— Je les prends, dit le Major. Donnez-les-moi.
— Il y en a deux qui ne marchent pas…
– Ça ne fait rien, coupa le Major.
— Et la troisième est cassée…
— Tant mieux ! dit le Major. Mais dans ces conditions-là, je vais vous les payer…
– Ça fait quinze cents, dit le garagiste. Pour le montage, il faut…
— Je sais ! dit le Major. Tu veux le payer, Joséphine ?
Elle s’exécuta. Il lui restait mille francs.
Et il tourna le dos à l’homme pour aller chercher la voiture.
Il la ramena, ouvrit le capot.
La magnéto était pleine d’herbe. Il la vida de la pointe du couteau.
— Vous me reconduisez ? dit le garagiste.
— Volontiers ! dit le Major. C’est mille francs, payables d’avance.
— Pas cher ! dit le garagiste. Les voilà ! Le Major empocha froidement.
— Montez ! dit-il.
Ils s’installèrent tous et le moteur partit tout seul du premier coup. Il fallut aller le rechercher et le remettre et, cette fois, le Major n’oublia pas de refermer le capot.
En arrivant devant le garage, la voiture s’arrêta net.