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Puis, son regard imparable constate que je suis sans bagages et le sourire se dilue lentement, comme un comprimé d’Alka-Seltzer dans un verre d’eau tiède.

— Monsieur ? me demande-t-il avec un reste d’entrain (il est près de la gare) dans tout son individu.

— Vous êtes le propriétaire de ce palace ? je demande.

Du coup, le sourire disparaît totalement.

Il me prend pour un marchand de brosses à faire reluire les étoiles (celles des képis) ou pour un représentant en bible illustrée par Siné. Je dissipe ses cruelles incertitudes, moins nobles que celle du sport, en lui déballant ma carte professionnelle des dimanches, avec tous ses accessoires. Ça le chiffonne, comme dirait Joanovici.

— J’aimerais bavarder un instant avec vous, assuré-je.

Il quitte son comptoir, ce qui me permet de constater simultanément deux choses : il n’était pas assis mais debout et il mesure un mètre cinquante-deux à tous casser. Ou bien ce type est un peu nain sur les bords, ou bien il fait semblant et c’est bien imité.

— Passons dans mon bureau, dit-il.

C’est manœuvre aisée pour lui, vu son exiguïté, mais délicate pour moi, vu mon gabarit d’athlète complet, car le burlingue en question mesure deux mètres sur un. On arrive pourtant à s’y loger à l’aide d’un chausse-pied, et la discussion commence.

— Puis-je vous demander votre nom, cher monsieur ?

— De quoi s’agit-il ? bredouille le minuscule.

— Joli patronyme, fais-je, un peu long, mais qui sonne clair.

Ça l’hébète. J’en profite pour prendre du poil de l’hébété :

— Mais peut-être n’est-ce là qu’un pseudonyme ?

— Je m’appelle Jules Aigime, annonce l’homoncule.

— Vous avez acheté cet hôtel à un certain Fouassa, n’est-ce pas ?

Sa petite figure de rat gandin s’illumine.

— Je crois comprendre, dit-il, j’ai lu le journal…

Un futé ! Merci, mon Dieu !

— Monsieur Aigime, j’aimerais savoir dans quelles circonstances vous avez acquis ce coquet établissement dispensateur de confort et d’eau chaude et froide.

Il a un tic qui fait danser son sourcil droit.

— Mais, par l’intermédiaire d’un marchand de fonds. Je tenais une hostellerie à Rondubey-Durhadâdâ, au Maroc. Vu les événements, je suis rentré et j’ai acheté cette maison.

— Vous avez connu Fouassa ?

— À vrai dire, je ne l’ai vu que deux fois lorsque j’ai visité l’hôtel et quand nous avons signé l’acte de vente chez le notaire.

— Quel effet vous a-t-il produit ?

— J’ai eu l’impression que c’était un brave homme, pas très bien portant, qui voulait profiter de ses dernières années.

— Vous a-t-il dit pourquoi il vendait ?

— Justement : à cause de sa santé.

— Vous avez connu Mme Renard ?

— La victime de cette nuit ?

— Yes.

— Je l’ai vue en même temps que Fouassa. J’ai cru comprendre qu’elle était un peu plus que sa caissière…

Il rit jaune comme sur les réclames pour les laxatifs.

— Vous avez une idée sur ce meurtre ? questionné-je avec une certaine brutalité.

Il est effaré.

— Moi !!!

— Je disais ça en l’air, le calmé-je. Maintenant, passons à un autre genre d’exercice. Avez-vous conservé une partie du personnel en fonction au moment de la vente ?

— Bien sûr. J’ai encore Firmin, le valet de chambre et Blanche, la lingère.

— J’aimerais bavarder avec Firmin, possible ?

— Ben voyons. Tout de suite ?

— Tout de suite !

— Il est en train de faire les chambres du deuxième, je vais l’appeler, annonce à regret le taulier.

Je sens que ça lui fend le cœur, cette récréation accordée à son larbin.

— Ne le dérangez pas, m’empressé-je, je monte lui parler là-haut.

Ayant dit, je fonce dans l’escalier de bois aux marches recouvertes d’une moquette rouge.

Je trouve le gars Firmin au 69. Il est appuyé sur son plumeau et il regarde les ébats de deux mouches occupées à se reproduire. C’est un grand type, aussi long que le général Glotemuche, avec un nez à deux places, une bouille revue et corrigée à Hiroshima, les cheveux gris, longs et gras, et un regard fait avec deux coquilles de noix évidées. Pour pouvoir le mater dans les yeux, faut cracher dans les trous.

— C’est vous, Firmin ? je demande, certain à l’avance de sa réponse affirmative.

Elle l’est.

Je lui déballe ma carte. Il passe le doigt dessus comme pour s’assurer qu’elle n’est pas imprimée en braille, puis me la rend honnêtement en m’affirmant que ma photo n’est pas très ressemblante.

— Vous avez vu ce qui est arrivé cette nuit à la mère Renard ? j’attaque, bille en tronche.

Il a un soupir pareil au décollage d’un avion à réaction.

— C’est pas moi qui la pleurerai, affirme le décapeur de bidets.

Voilà qui en dit long comme le faux col d’une girafe sur le caractère de la défunte moustachue.

— Vraiment ?

— Une peau de vache pareille !

Voilà au moins un larbin que la police n’intimide pas et qui n’a pas peur de prendre ses responsabilités.

— Elle vous faisait tartir ?

— Et un peu plus. Cette g… — là. Je l’ai vue rentrer dans la maison. Comme caissière. Au début elle était tout miel. Elle m’appelait monsieur Firmin gros comme ses cuisses. C’était l’œil de velours avec tout le monde, surtout avec le patron. Un jour, le père Fouassa se l’est payée dans la lingerie. Il croyait que ça allait passer inaperçu, mais tout le personnel était dans le couloir, plié en deux. Le cinéma porno, quoi ! Elle lui jouait le grand jeu. Il a dû se prendre pour Casanova. Et pourtant, j’sais pas si vous connaissez le spécimen, mais c’est pas Valentino…

Il hausse les épaules.

— À dater de cet instant, la vieille morue à changé du tout au tout. Je suis devenu « ce fainéant de Firmin » !

Nouveau soupir, aussi considérable que le premier. Il s’assied sur le lit et époussette ses souliers.

— Aussi, poursuit le retourneur de matelas, quand le vieux a vendu on a poussé un soupir de soulagement.

Il en pousse un troisième. Si les autres ont exhalé le même, les gars du quartier ont dû croire que le mistral venait faire une virée à Paris avec son pote le sirocco.

— Mon cher Firmin, dis-je, j’aimerais avoir des tuyaux à propos d’un suicide qui se produisit dans cet hôtel l’an dernier.

Il acquiesce.

— Vous voulez parler de ce Simmon qui s’est emprisonné au cyanure ?

— Exactement. Vous étiez de service ici lorsque la chose s’est produite ?

— Bien sûr…

— Vous pouvez me raconter ?

Il sort un mégot de la poche kangourou de son tablier, regarde vers le couloir pour s’assurer que Jules Aigime ne drague pas dans le secteur, et accepte la flamme de mon briquet.

— Vous savez, y a pas grand-chose à dire. Ce type-là était descendu chez nous un matin. Il est sorti pour déjeuner et l’après-midi il est revenu tout guilleret. Je faisais les cache-pots de cuivre du couloir… Il m’est passé à côté en chantonnant. Si je me doutais que ce bonhomme allait en finir ! Ah ! je vous jure…

J’ai en moi la cristalline sonnerie qui me signale les trucs captivants.

— Et après, mon enfant ? susurré-je d’un ton engageant de confesseur recueillant les délicats péchés d’une jolie dame polissonne.