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— Au bout d’un moment qu’il a été dans sa chambre, Marthe, la femme de chambre, est montée lui dire qu’on l’appelait au téléphone. Il n’a pas répondu. C’était fermé du dedans. Mme Renard s’est inquiétée et a prévenu la police…

Je note en passant que la déclaration du larbinoskoff est fidèle au récit du diététique Béru.

— Les bourres…

Il se reprend :

— Les flics sont arrivés. Ils ont enfoncé la porte, et on a retrouvé Simmon mort sur son matelas. Voilà toute l’affaire.

Il entend un pas dans l’escadrin et se dépêche de retirer sa cigarette de ses muqueuses. Mais ça n’est qu’un client.

— J’aimerais voir la piaule en question, possible ?

— Pourquoi pas ! dit le gars.

Cézigue, du moment qu’il a l’occase de se mettre en veilleuse côté plumeau, il est partant pour les conférences de presse avec projections.

Il me guide à travers les couloirs, s’arrête devant une porte, sort son passe et ouvre. La pièce n’est pas vide. On peut même dire qu’elle est occupée par des gens occupés. Y a une dame qui gigote coincée entre un matelas et un monsieur. Elle arrive pas à se dégager. Elle crie comme un putois des trucs qui feraient dérailler un fourgon de queue. Son partenaire, qui a posé son sonotone sur la table de nuit, ne les entend pas plus qu’il n’entend notre arrivée et reste à l’établi. Firmin, mon mentor, entre sans s’émouvoir. Il en a vu d’autres depuis trente ans qu’il change les draps de l’Humanité.

— Voyez, fait-il, c’était ici.

Je regarde la piaule. Le lavabo est fixé au mur. Il n’y a même pas de paravent. La fenêtre donne sur le boulevard et le lit est haut sur pattes. Bref, il est évident que personne ne peut se dissimuler dans cette belle petite pièce. Conclusion, Simmon s’est bel et bien suicidé. Marrant que, tout à coup, j’oublie la mort singulière de Mme Renard, les envois de millions au père Fouassa et tout, pour m’intéresser à cette affaire vieille d’un an.

Sur le plumard, la dame recommande l’accélération. Le monsieur est d’accord, mais le sommier proteste que c’est de la démence et affirme qu’il va déclarer forfait. Nous ressortons pudiquement, sans que ni l’un ni l’autre des partenaires n’ait eu conscience de notre rapide visite.

— Cher Firmin, fais-je alors, vous allez rappeler vos souvenirs dans le cas où ceux-ci seraient partis en permission. J’ai d’importantes questions à vous poser…

— À vos ordre, mon commissaire !

— Ce qui a fait découvrir le suicide, c’est un appel téléphonique en somme ?

— On l’aurait découvert quand même, objecte le champion du plumeau catégorie poids… plume.

— Certes, mais pas aussi vite. Voyons, que pouvez-vous me dire de cette communication ?

— Rien ! affirme Firmin, catégoriquement. C’est pas moi qui l’ai prise.

— Mme Renard aurait paraît-il répondu que son client était absent. Le correspondant a dû rappeler un peu plus tard, je suppose ?

— Oui. Et c’est moi qui l’ai eu cette fois, assure Firmin.

Brave Firmin ! Cher Firmin ! Merveilleux Firmin !

— Voilà, voilà ce que je voulais savoir ! exulté-je. C’était un homme ou une femme ?

— Une femme.

— Qu’a-t-elle dit ?

— Ben, elle a redemandé après Simmon.

— Et qu’avez-vous répondu ?

— La vérité : que Simmon s’était suicidé.

— Alors ?

— Elle a paru incrédule. Puis comme j’affirmais que c’était vrai, elle a raccroché sans ajouter un mot.

M’est avis qu’il m’a fait une fausse joie, ce diable de Firmin ! Ce sacré Firmin ! Cet ahuri de Firmin ! Plutôt maigrelet le tuyau, non ? Un silence ouaté succède à la déclaration.

— Et cette dame n’a plus jamais téléphoné ?

— Non, mais elle est venue !

— Que ne le disiez-vous, adorable Firmin ! Miraculeux Firmin ! Captivant Firmin ! Et quand est-elle venue ?

Il écrase son minuscule mégot. Je lui propose une cigarette toute neuve, emballée dans du papier blanc. Il l’accepte, il dit merci, je la lui allume, il la tète, j’éteins mon briquet.

— Je ne voudrais pas vous induire en erreur, fait-il précautionneusement. Quand je vous dis que la dame est venue, c’est une impression. Au téléphone, la personne qui m’a parlé avait un accent étranger. Très vague, mais j’ai l’oreille, vous pensez, avec tous les touristes qui défilent ici. Or, sur le soir, une belle personne est arrivée. Manteau de fourrure, sac de croco et tout… Pas de bagages. C’est ce qui m’a fait tiquer. Elle a demandé à parier au patron. Justement M. Fouassa était là. Ils se sont enfermés dans le bureau. Ensuite ils sont montés à la chambre. On venait d’embarquer le corps à la morgue. Puis la dame est repartie. À peine elle a eu tourné les talons, le père Fouassa a appelé sa morue, et ils ont eu un entretien qui n’en finissait pas…

Alors là je peux pas résister. Je prélève mille balles sur mes fonds secrets et je les catapulte dans la poche de l’intéressant Firmin, du précieux Firmin, du providentiel Firmin.

Il se défend :

— Mais non, mon commissaire. Vous avez bien besoin de ce que vous gagnez ! Je sais bien que vous faites un métier à la con et qu’il est plutôt mal payé…

— J’ai une grosse fortune impersonnelle qui me vient du Père Noël, assuré-je pour calmer ses valeureux scrupules.

Il masturbe du chef.

— Je vois, fait-il sombrement. Des revenus occultes, hein !

S’il continue, lui va avoir un pied occulte.

Félicie, ma brave femme de mère, dit toujours : « Faites du bien à un vilain et il vous fait dans la main. » Elle a des proverbes commak plein sa conversation.

— Firmin, décrivez-moi la dame élégante.

Il lisse ses cheveux tristes en fermant à demi les yeux. Recueilli, qu’il est, Firmin. On dirait qu’il veut battre de vitesse une machine à calculer.

— Elle était grande, mince, extrêmement bien faite. Elle avait une trentaine d’années à peine. Très brune. Des yeux bleu clair. Le teint bistre. Elle portait un drôle de bijou autour du cou. Ça représentait une petite main en or. Pas une main de Fatma : une vraie main modèle réduit. Cette main tenait une pierre précieuse. Je pense qu’il s’agissait d’un rubis. Son accent ressemblait un peu à l’accent espagnol, mais ça n’était pas l’accent espagnol. Elle avait une toute petite cicatrice à la mâchoire, du côté gauche, me semble-t-il. Une cicatrice à peine plus grosse qu’un grain de café. Je dis un grain de café parce que ça avait cette forme-là.

Il se tait, réfléchit, secoue sa portion d’intelligence et soupire :

— C’est tout.

— Confidentiellement, mon vieux, fais-je en lui administrant la bourrade grand siècle, vous devriez entrer dans la poule. Vous avez un appareil photographique avec cellule incorporée à la place du cerveau.

— Oui, reconnaît l’estimable Firmin ! l’infaillible Firmin ! le minutieux Firmin ! je possède une mémoire extrêmement fidèle… Mémoire visuelle, mémoire auditive, mémoire olfactive, mémoire tactile, et je dirais mieux encore mémoire gustative.

En plein délire, qu’il vagabonde. C’est l’inconvénient. Dès que vous faites un compliment à un minable, le voilà qui se vide pour vous montrer la qualité de son matériel.

Je lui dis un gros bravo et je le descends en flammes au beau mitan de son lyrisme :

— Vous n’avez plus jamais revu cette aimable personne par la suite ?

— Plus jamais !

— Et personne d’autre n’est venu à propos de ce décès ?

— Personne, sauf bien entendu les poulets… Je veux dire les flics ! Yen avait un, entre autres, sauf le respect que je vous dois, pas piqué des vers ! Un gros, qui ressemblait à une poubelle un lendemain de réveillon. Si je vous disais qu’il m’a mangé mon casse-croûte, là sous mes yeux, et presque sans m’avoir demandé la permission !