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— Ce septième paquet a peut-être été imprimé plus tard ? suggéré-je.

— Je ne pense pas, sourit Magnin, car il fait partie des trois coupés dans la même feuille de papier.

Je lui tapote l’épaule. En v’là un qui n’a pas un grain de courge à la place du cerveau. Je voudrais pas entreprendre avec sa pomme le jeu des sept erreurs, ce serait risquer le K.-O. bêtement.

— Eh bien ! mon brave petit camarade, lui dis-je, voilà de la belle ouvrage ! Vous ne volez pas l’argent de l’État, vous au moins.

S’il n’était pas déjà incandescent, il en rougirait d’émotion.

— Ce n’est pas tout, dit-il.

— Auriez-vous découvert encore autre chose ?

— Oui, monsieur le commissaire. Je suis à peu près certain qu’aucun de ces papiers n’a servi à empaqueter deux millions de francs en coupures de dix mille.

— Racontez…

— Je suis allé à ma banque. J’ai fait constituer une liasse de deux millions d’anciens francs, et j’ai mesuré minutieusement le volume ainsi obtenu. Ensuite, grâce aux pliures des papiers, j’ai recomposé les paquets tels qu’ils furent expédiés. Ça ne concorde pas exactement. L’expéditeur a surestimé l’épaisseur de deux millions.

— Peut-être avait-il enveloppé le fric dans plusieurs papiers ?

— En ce cas c’est la surface qui ne correspondrait plus ! Or elle correspond. Votre gars, monsieur le commissaire, a mis un billet de dix sur son papier pour en délimiter la surface. L’ayant obtenue, il a établi l’épaisseur au jugé… et il s’est trompé.

Nouvelle bourrade enthousiaste dans le dossard de mon petit camarade.

— Je n’aurai qu’un seul mot pour exprimer mon admiration, Magnin : bravo !

Je le quitte pour retrouver l’ineffable.

En entrant dans mon bureau, je suis surpris par un bruit d’aspirateur. On dirait qu’on a branché un Electrolux équipé pour le 220 volts dans une prise de 110. Ça ronronne mou, quoi ! Explication : Pinaud dort. Je l’éveille délicatement en lui chatouillant les trous de nez avec le bout de sa cravate. Il sursaute.

— Déjà Rambouillet ! dit-il.

— Presque, fais-je.

Il astique son regard chassieux et bavoche.

— Je rêvais que j’étais dans le train. Si on allait manger ?

— Tu aimes le veau ?

— Oui.

— Tu aimes le cresson ?

— Beaucoup.

— Alors filons à Vaucresson, décidé-je.

— Qu’entends-tu par là ?

— Que je vais alpaguer le père Fouassa, aussi vrai qu’il y a cent centilitres de liquide dans un litre de vin !

— Mais pou pou, mais pourquoi ? bêle Zébu.

— Parce que ce vieux rigolo devait être armateur plutôt qu’hôtelier, du moins si j’en juge à la façon dont il nous a menés en bateau toi et moi.

CHAPITRE VI

— Tu roules trop vite, affirme Pinaud. C’est pas que je craigne la vitesse, mais je me dis qu’il y a rien de plus bête dans la vie qu’un pneu éclaté.

Pour calmer ses angoisses, j’appuie un peu plus sur le champignon, icelui commence à devenir vénéneux car l’aiguille du compteur avoisine le cent septante (c’est un compteur suisse). Du coup, l’Anxieux se raidit comme une forme à chaussure dans l’exercice de ses fonctions. Il attache la partie supérieure de son râtelier à la partie inférieure pour s’empêcher de claquer des chailles.

En moins de temps qu’il n’en faut à un confiseur pour pondre un œuf de Pâques nous sommes à Vaucresson, devant la gente demeure du pauvre Fouassa.

The lourde is open et un monstrueux saint-bernard est en train de compisser un massif d’anakarina à fleurs intermittentes. L’animal me fait tiquer. Rien ne ressemble plus à un saint-bernard qu’un autre saint-bernard, à condition qu’on ne l’ait pas peint au minium, pourtant je crois reconnaître celui de Bérurier.

Je fais « mff mff » au dog et le bestiau s’approche d’un air maussade. Il hume nos bas de pantalon et choisit celui de la Guenille pour achever de se soulager. C’est pas au collier qu’on reconnaît le toutou à Béru, c’est à sa vessie. Il doit avoir une citerne à mazout (d’autres ont un poil à leur zoute) à la place des rognons.

Nous remontons l’allée cavalièrement tous les trois. Moi en fredonnant, Pinuche en protestant, et le saint-bernard sur trois pattes car il réussit l’exploit peu commun d’arroser en marchant.

Nous entrons sans frapper. À quoi cela servirait-il, grand Dieu ! Le tohu est bohu à ne plus en pouvoir. La voix de Bérurier emplit de son noble fracas toute la demeure. Elle accapare les ondes, mobilise les échos, martyrise les tympans, fait exploser les sonotones et tressaillir les sourds, fêle les vitres et libère les chasses d’eau dans les ouatères.

Je me bouche les oreilles pour mieux entendre, car, sans filtre, ce tonnerre paroxysmique est inaudible, incolore, sans saveur et invisible à l’œil nu.

— Je te promets que tu vas l’ouvrir grand comme les arènes de Nîmes, mon pote ! Je voudrais que tu susses une chose ; quand l’inspecteur principal Alexandre-Benoît Bérurier se dérange, c’est pas pour compter combien qu’y a de grammes de pommes de terre dans un kilo de patates, t’entends, derrière de rat ? À l’heure que je te cause je devrais z’être au lit à soigner mon anémie. Tel que tu me contemples, j’ai les globules rouges qui battent de l’aile, pourtant y m’en reste assez suffisamment pour t’arracher la pomme d’Adam et te la faire bouffer sans sucre. Me fisse-je bien comprendre ?

— Ne me molestez pas, supplie la voix évanescente du père Fouassa.

— T’as des varices que t’as peur pour tes mollets ? rigole le Gros.

Je file un regard scrutateur à Pinaud. Sa stupeur n’a d’égale que la mienne. Par quel miracle le Gros Béru que j’ai laissé quelques heures auparavant à loilpé dans son lit se trouve-t-il ici ?

Fouassa bégaie :

— Si vous me touchez, je porterai plainte ! Je suis malade !

— Si je te touche, t’auras plus la force de porter quoi que ça soye, même pas une plainte, hé ! concombre ! Je peux déjà t’annoncer que ta dernière molaire va faire naufrage ! Et tes étiquettes, pour les recoller faudra une drôle de Seccotine, je te le dis. Quant à ce qui concerne ton renifleur, c’est pas la chirurgie hystérique qui pourra y redonner de l’apparence. Tu veux que je te dise à quoi qu’il ressemblera ? Tu le veux ? À une tomate mûre que moi, Bérurier, ie me serais z’assis dessus. Textuel !

Pinaud me tire par le bras, mais je lui fais signe de la boucler. Mon usine à distiller Bergson fonctionne comme une aciérie en temps de guerre. Je continue à me poser des questions à propos de la conduite de Bérurier et je continue à ne pas leur trouver de réponses.

Je connais bien mon Gros Béru. S’il fait ce numéro de terreur, c’est qu’il a découvert brusquement quelque chose d’important à propos de Fouassa. Quoi ? That is the question, comme disent les Espagnols quand ils parlent couramment l’allemand. La suite nous l’indiquera peut-être. En attendant, le mieux est de ne pas se manifester. Le saint-bernard arrose toujours le futal impec de Pinuche. Ça fait déjà deux minutes trente que ça dure. Mon aimable ami a beau danser d’un pied sur l’autre, il n’arrive pas à se soustraire au jet impétueux de l’animal.

Le duo Béru-Fouassa continue. On se croirait à l’opéra de Chicago.

— Mais je n’ai rien fait, larmoie de plus belle le rentier.

— D’ac, t’as rien fait, concède brusquement le Gravos. Alors je vais aller dire à mes supérieurs rachitiques ce que t’as pas fait. Et je leur fournirai la preuve de ce que t’as pas fait, vieille noisette creuse !

— Mais, mais, bêle Fouassa.