J’opine.
— Navré de t’avoir joué ce mauvais tour, gros. Mais pourquoi diantre es-tu venu ici ? Comptais-tu refaire ta vie avec l’honorable Fouassa ?
— C’est pas ça, explique le Mastar, mais tes sargasses à propos de mon enquête à son hôtel m’étaient z’allés à la gamberge. J’ai bien réfléchi et je m’ai rappelé d’un truc. Lors de ma visite chez sa pomme, quand c’est qu’il s’est pointé il fumait. Or, toi, tu m’as causé de cette histoire de la cigarette d’hier que c’t’enviandé pouvait pas avoir fumaga biscotte son asthme.
— Il pouvait fort bien fumer il y a un an et avoir stoppé vu l’aggravation de sa maladie ? objecté-je, car j’aime bien jouer les avocats du diable le cas échéant.
— Tu vas laisser finir de causer le bonhomme, oui ! tonne Bérurier.
— Soit.
— Je m’amène donc avec ma valise et mon sarah-bernhardt, bien décidé d’avoir une conversation, je veux dire conversion, avec Fouassa. Je m’annonce : y était pas. J’attends un moment devant la grille, mais v’là qu’un chat traverse la rue et que mon caniche nain lui file le train. Le greffier fonce à travers les barreaux de la porte du jardin ? Mon cador itou. La porte qu’était pas fermaga à clé s’ouvre. J’entre pour récupérer le toutou. Tu me suis, essence de commissaire ?
— Je te suis, mais garde tes distances, gros.
— Visse à visse d’un type qu’a brisé mon ménage, y a pas de distance à respecter ! affirme le Gravos.
Il continue :
— Je finis ma chasse à courre derrière la maison. J’alpague mon médor. Je vais pour ressortir. Et quand c’est que je me ramène sur le devant de la house, qu’est-ce que j’asperge ? C’t’apôtre qui rentrait chez lui avec une cigarette dans le clappoir. Mon raisin ne fait qu’un tour. Je m’avance. À son regard espressif je réalise qu’il me reconnaît. Alors moi, ça se voit p’t’être pas, mais quand je m’y mets je suis un vrai médiéval. Je me mets à lui bourrer la tasse comme quoi j’sus venu z’avec vous cette noye et que…
— Fais escale, Gros, j’ai entendu la suite !
Pinaud en est comme deux ronds de flanc blanc sur pneus « X ».
— Un client à moi que j’estimais beaucoup, bêle le débris.
— T’as l’estime qui est déconnectée, voilà tout, tranché-je.
Je m’approche de la cheminée où le père Fouassa est en train de reprendre doucettement ses esprits.
— Alors, Gérald, fais-je, on pourrait peut-être bavarder ?
— Cet homme a menti ! trépigne le rentier. Je ne sais rien de rien ! Tout est faux, archifaux !
— Alors vous frappez un inspecteur principal à coup de tisonnier parce que sa physionomie ne vous revient pas ?
Il bafouille je ne sais quoi d’inaudible.
— Et vous étiez disposé, poursuis-je, à lui verser la coquette somme de cinq unités pour prix de son silence ?
— Non !
— Nous avons entendu, M. Pinaud et moi-même. Un enregistrement au magnétophone n’aurait eu aucune valeur légale, par contre trois témoignages dont deux de flics assermentés, c’est du cousu main !
Pinaud me tire par la manche.
— Tu pourrais aussi bien dire trois flics assermentés, balbutie-t-il, puisque ma réintégration…
Je l’écarte du geste pour me consacrer au père Fouassa.
— Je vais vous dire la vérité, mon vieux, poursuis-je. Hier soir, au moment où nous avons sonné, vous regardiez la télé en compagnie de votre souris. Vous fumiez. Vous avez regardé en direction de la grille, vous nous avez reconnus et vous êtes monté dare-dare dans votre chambre car vous étiez censé être en crise…
— Mais !
Un ramponneau à injection directe, tiré par Béru, le fait taire.
— Votre souris qui était au parfum de-vos combines a eu les jetons et vous, vous avez eu peur qu’elle s’allonge. Elle est montée vous chercher. Vous lui avez alors conseillé de filer. Vous l’avez accompagnée jusqu’au jardin et là, vous l’avez assassinée.
— Non !
— Si ! Mais auparavant vous aviez ouvert votre coffre et dispersé quelques billets de banque dans la maison et dans le jardin. La raison de cette mise en scène, je crois la deviner : vous n’avez jamais reçu ces fameux millions, Fouassa, jamais !
« Vous avez voulu nous faire croire que la mère Renard, assistée d’un complice, se faisait la malle avec le magot, que ledit complice l’avait butée afin de sucrer la totalité du paxon.
« Votre forfait accompli, vous êtes entré au salon, où à notre tour nous regardions la télé et vous avez réussi à nous faire avaler vos bobards !
— Je jure que non ! crie Fouassa. Voyons, monsieur le commissaire, réfléchissez ! Pourquoi serais-je allé consulter un détective privé si je n’avais pas effectivement reçu ces millions ? Pourquoi aurais-je confié ensuite l’affaire à la police officielle, en l’occurrence à vous ?
Je souris.
— C’est justement la question que je m’apprêtais à vous poser, mon bon monsieur. Et c’est à cette question que vous allez répondre.
Il se fait un grand silence.
— M’sieur le commissaire t’a causé, objecte Bérurier en lui décochant un coup de savate japonaise dans les estampes. Réponds, sinon je te fais passer par le trou de l’évier.
Mais l’ancien hôtelier paraît n’avoir pas entendu l’exhortation. Les yeux béants, il fixe quelque chose qui se trouve derrière nous. Je me retourne, et j’aperçois trois messieurs dont deux tiennent une mitraillette dans les pattes. L’un des mitrailleurs est asiatique : teint cuivre, regard en code. L’autre appartient à l’espèce gorille, nez camard (à l’orange), poils aux oreilles. Le troisième par contre est un ravissant jeune homme blond, frêle comme de la porcelaine de Sèvres-Babylone, nippé à la scène comme à la ville par Ted Lapsus et qui ne se parfume pas au sirop d’étable. Il a la mâchoire carrée, la peau légèrement rosée, le regard d’un bleu suave et il sourit gentiment. Il n’a pas plus de 25 ans.
— Veuillez tous lever les bras ! ordonne-t-il d’une voix très douce fleurie d’un accent étranger qui peut être d’Europe centrale.
Et comme nous hésitons un chouïa, il ajoute :
— Je vous prie de considérer que les mitraillettes de ces messieurs sont munies de silencieux. En quelques secondes, vous pouvez être morts tous les quatre sans que les voisins immédiats en soient le moins du monde importunés.
Nous nous empressons d’attraper les nuages.
— Dis, Béru, bougonné-je, ton saint-bernard, comme chien de garde, c’est pas la qualité molosse. T’es sûr qu’il ne s’agit pas d’un chat angora qui aurait trop grandi ?
Le Gros n’a pas la faculté de me répondre par l’une de ces saillies dont, comme les taureaux, il est familier. Le beau jeune homme blond s’est approché de lui. Il a sorti une espèce de revolver de sa poche. L’engin ressemblerait plutôt à une lampe à souder miniature. Mais il s’agit d’une lampe à dessouder car il presse une détente. Un jet vaporeux part dans les naseaux du Gros, lequel Gros part à dame. Je vais pour faire je ne sais pas quoi, mais quelque chose de désagréable au jeune homme. Alors c’est sur moi qu’il file une nouvelle giclée de son Fly-Tox. Je renifle un truc pas désagréable du tout. C’est acidulé, c’est frais, c’est champêtre. Je me vois brusquement sur les rives enchanteresses du lac de Côme au printemps, avec les macaroniers en fleurs. Un aimable clapotis emplit mes oreilles. J’ai presque envie de me marrer. Et puis je sens mon corps devenir bulle de savon. Et tout s’effrite autour de moi.