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— C’est qu’il est pâle ! note Pinaud.

— Tu sais, fait le Gros, quand on veut choper des couleurs, la montagne c’est mieux.

Nous nous taisons soudain car, à la suite d’une plainte un peu plus forte, Gérald, à défaut de couleurs, reprend connaissance. Il considère sa main sans doigts et a un hoquet.

— Repartez pas à dame ! fait Béru. Du cran, Pépère !

Fouassa halète :

— Je ne sais rien ! Je ne sais rien !

Puis il s’évanouit de nouveau.

— Il est juste venu faire un tour en passant, gouaille l’Enflure, le v’là déjà rebarré !

Le spectacle m’est insupportable. Voilà au moins quarante-huit plombes que nous n’avons pas tortoré et il est mauvais de prendre mal au cœur dans de telles conditions. J’essaie de réagir en noyant mes yeux horrifiés dans la lumière de la lampe.

Et c’est en essayant de fixer celle-ci que j’aperçois…[10]

CHAPITRE VIII

Que j’aperçois quoi ? Hein ? Ça vous démange de l’apprendre. Vous donneriez le slip de votre crémière contre une cuillerée à soupe de sloptzbik acidulé pour le savoir. Avouez ? Qu’est-ce qu’il a aperçu, le San-A. chéri ? Le dargif en Gévacolor de miss B.B. ? Une pipistrelle empaillée ? Une clé des champs en or massif ? Une Kermesse héroïque ? Un avant-centre de rugby ? Un compas dans l’œil ? Un coup de l’étrier ? Une dose d’optimisme ? Un fin gourmet ? Une chaîne d’arpenteur ? Une vue de Capri ? Un triste sire ? Un roi mage ? Un enfant de chœur ? Un enfant adultérin ? Un enfant de Pétain ? Un chef de gare ? Un fils de Garches ? Ou bien a-t-il vu, plutôt : une nagaïka ? Un nabi ? Un traité de mystagogie ? Un gallicisme ? À moins que ce ne soit peut-être : une aubade ? Un badaud ? Un Daumier ? Un mielleux ? Un leucocyte ? Une cité radieuse ?

Eh bien, je ne veux pas abuser de votre patience, mes amis. Je n’ai pas l’intention de mettre vos nerfs à l’épreuve. Je connais l’exiguïté de votre esprit, le ramolli de votre bulbe, la rareté de vos cellules grises.

Loin de moi l’idée de vous faire attendre. À quoi cela rimerait-il d’ailleurs ? Les choses étant ce qu’elles sont et l’époque ce que vous savez, il serait malvenu de vous tenir sur des charbons ardents ! Dieu merci, je n’appartiens pas à cette louche catégorie de littérateurs qui ménagent leurs effets. Des effets, mes chéries, j’en ai une pleine garde-robe ! San-Antonio, vous le savez, c’est le superman du style direct. Pas de faux-fuyants ! Droit au but ! J’appelle un chat un chat ! Même quand il ne fait pas miaou. À quoi bon vous le souligner puisque vous le savez. N’est-ce pas, mes belles ?

Donc ce que j’ai aperçu, par-delà l’ampoule, c’est un micro. Dans une pièce dont le seul mobilier se réduit à quelques grosses chaînes scellées dans une muraille riche en salpêtre, avouez que cela paraît incongru ?

Il ne me faut pas douze mille années-lumière pour piger. Les messieurs qui nous ont enlevés écoutent tout ce que nous disons. Pourquoi ? Parce que Fouassa sait une chose capitale que les autres veulent absolument lui faire avouer. Je comprends maintenant pourquoi ils nous gardent en vie : c’est pour que nous soyons les confidents de l’hôtelier ! You see ? Ils se disaient que, ce que le bonhomme n’avouerait pas par la torture, il le confierait peut-être à des compagnons d’infortune. Je réfléchis à toute pompe. Fouassa, dans son délire a murmuré : « Je ne sais rien ! Je ne sais rien. » Donc il n’a rien avoué. Je poursuis mon exercice de cervelle-voltige, et je me dis qu’après tout, le triste sire ignore peut-être ce que les autres veulent savoir. Voilà qui est moche, mes frères ! Car s’ils arrivent à se convaincre que Fouassa ne peut pas leur livrer de secret, nous sommes fichus tous les quatre, O.K. ? Excusez-moi de vous poser cette question, mais je connais vos limites intellectuelles et je ne voudrais pas que vous répondiez par l’affirmative au cas où vous n’entraveriez pas très bien le topo. Faut pas hésiter, mes agneaux, si vous ne pigez pas, levez le doigt. Personne ? Bon, je continue.

Nous sommes fichus parce que ces gens ne peuvent pas remettre en circulation trois policiers dont l’un est particulièrement éminent[11], après leur avoir fait subir un pareil traitement. Conclusion, s’ils obtiennent satisfaction ou au contraire s’ils savent ne pas pouvoir arriver à leurs fins, notre fin à nous sera arrivée. Pas marrant. Pour durer, il convient d’entretenir le doute. Vu ?

Je mets au point un savant petit programme dans ma savante petite tête de San-Antonio chéri. Je me racle le gosier, car il convient d’avoir les voies respiratoires en ordre de marche pour attaquer un discours d’importance.

— Il est toujours évanoui ? lancé-je d’une voix tellement claironnante qu’elle réveillerait une caserne.

— Toujours, fait le Gros. (En fait, il a dit « touvours », mais pour la commodité de la lecture nous continuerons de transcrire en clair les paroles béruriennes.)

— Je me demande s’il leur a raconté tout ce qu’il sait ! reprends-je.

— Raconté quoi ? s’étonne Pinaud.

Mon index placé perpendiculairement devant mes lèvres lui enjoint de la fermer à double tour. Il s’étonne, mais en silence, et je ne lui demande rien de plus.

— Raconté ce qu’il allait nous expliquer de fort mauvaise grâce d’ailleurs, au moment où ces messieurs nous ont endormis, reprends-je. Ah ! c’est un coriace ce père Fouassa. À le voir on ne l’imagine pas aussi duraille ! Je me demande s’il tiendra le coup encore longtemps…

— Si je le tiendrais, moi, fait Béru, je peux vous dire une chose, les gars : c’est que je lui ferais déballer sa salade à plein cageots ! Et j’aurais pas besoin d’y couper les pinces pour ça… Boulot de gestapiste, est-ce que nos joailliers ne seraient pas allemands, par hasard ?

— C’est possible, dit Pinaud. Le plus jeune me fait penser à un correspondant que le neveu de notre cousin d’en dessus recevait d’Allemagne.

Période de silence. J’ai semé la bonne graine, mes chéries, en accréditant dans l’esprit de nos « joailliers » l’idée que Fouassa sait ce qu’ils ; cherchent à connaître. C’est moche pour le vioque car il pourrait avoir droit à de nouvelles séances, mais après tout quand on ne suit pas le droit chemin, il faut s’attendre à des avatars de cette sorte.

— Il refait surface ! annonce Béru après un moment de mutisme qu’il a occupé à téter goulûment le sang ruisselant de ses lèvres ; c’est de l’auto-alimentation en somme !

Effectivement, Fouassa a repris connaissance. Il regarde avec terreur sa main aux doigts sectionnés.

— Vous souffrez beaucoup ? je demande.

— C’est abominable, murmure-t-il. Ces misérables m’ont fait ça avec des tenailles.

— Vous n’avez pas parlé ?

— Comment le pourrais-je, puisque je ne sais rien…

— Vous faites bien d’adopter cette attitude. Restez courageux. Tant que vous ne parlerez pas, ils vous garderont en vie…

— Mais…

D’un signe impératif je lui ordonne de se taire. Le malheureux obéit. J’arrache un pan de ma chemise et je lui lance.

— Entortillez-vous la main là-dedans ! conseillé-je.

Son sang coule moins fort. Je me dis que si on ne fait rien pour lui, la gangrène se mettre de la fiesta. Il parait faiblard comme une chique molle, le pauvre bonhomme. Ça a beau être un meurtrier et un sale combinard, la pitié m’envahit. On devient sensible quand on a le ventre vide depuis bientôt deux jours !

Je me dis qu’il devient urgent de prévenir mes copains que nos paroles sont ouïes des autres. Mais comment ? Le leur désigner constituerait un gros risque car je vous parie une balle de ping-pong contre une balle de coton que le Gros ne manquerait pas de bramer :

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10

Ça c’est de la fin de chapitre, les gars ! C’est à ces détails-là qu’on reconnaît le romancier de talent, le prosateur de métier et le littérateur de classe.

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11

Si vous ne voyez pas auquel je fais allusion, téléphonez-moi un matin avant dix heures.