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— La formule ? Du diable si je comprends ce que vous voulez dire !

Il me désigne un petit haut-parleur posé sur la table. Un fil zigzague sur le tapis mité et va se perdre dans une fissure du plancher.

— Inutile de bluffer, il y a un microphone dans la cave et nous avons entendu toutes vos conversations.

Je chope l’air emprunté du gars qui travaille pour le compte d’un usurier.

— Mais… Vraiment, je ne vois pas du tout de quoi il est question.

— Vous avez appris la formule avant de l’avaler.

Du coup je la ferme. C’est ce que je ferais si tout ça était exact, non ?

— Ou bien vous nous la recopiez, me dit-il, ou bien nous essayons de la récupérer avant que la digestion ait fait son travail !

Vous avez entendu comme moi, mes z’amis ? Et vous avez, toujours comme moi, pigé ce que cette menace implique ? Une récupération comme celle que se propose d’effectuer le blondinet, y a guère qu’à Beaujon qu’on peut la réussir en laissant sa chance au patient.

Je me prends à part pour une conférence privée à l’issue de laquelle je vote à l’unanimité la motion suivante : « Faut faire quelque chose ».

Et vite !

Sinon il va y avoir plein de courants d’air dans la carcasse de ce cher, de ce mignon, de ce délectable San-Antonio. Ces gens, c’est aussi visible qu’une éclipse de soleil sur une plage à midi, n’hésiteront pas à m’ouvrir le gésier jusqu’à la boîte à ragoût pour tenter de récupérer ce que j’ai soi-disant avalé.

Mais faire quoi ? J’ai une mitraillette à quatre-vingts centimètres de la soupière, je flageole d’être resté en geôle sans flageolets, et ils sont trois à ne pas me perdre des yeux.

Y a des instants dans la vie, je vous jure, qui ne devraient pas figurer sur votre agenda. C’est la pensée de ma brave Félicie qui me file le coup de doping. Je la vois dans sa cuisine, préparant des délicatesses en m’attendant. Guettant la porte du jardin et la sonnerie du téléphone en se demandant ce que devient son grand. Brave m’man, va ! Je peux quand même pas lui jouer ce tour-là. Vous me voyez, rentrer à la maison les pieds en avant et les tripes entortillées autour du cou ? Ça ferait pas sérieux.

— C’est bon, soupiré-je, je vois que vous êtes très fort. Puis-je vous demander ce qu’il adviendra de mes compagnons et de moi-même une fois que je vous aurai remis cette formule ?

Le jeune homme blond reste pensif, puis il murmure :

— Nous vous réenchaînerons dans la cave et nous disparaîtrons après vous avoir laissé quelques nourritures.

— Et qui viendra nous délivrer ? Le gardien de la propriété ou le Père Noël ?

— Plutôt le Père Noël, dit le blondin, c’est une question de chance ou de malchance pour vous.

Je me demande s’il dit vrai. Je ne suis pas loin de le croire. Pourquoi ? Je l’ignore. Mais quelque chose me dit confusément que si j’étais en mesure de lui fournir sa putain de formule, c’est ainsi en effet qu’il agirait.

Seulement, la formule, vous le savez comme moi, elle est peinte en blanc sur un nuage qui dérive en ce moment au-dessus du cap Horn !

— Je vous crois, fais-je avec le maxi de sobriété. Donnez-moi de quoi écrire…

Le blondinet va prendre sur une desserte un bloc correspondance en vélin supérieur du marais pontin avec buvard incorporé, filigrane en bronze, roue de secours amovible et glaçage au blanc d’œuf. Il le jette devant moi sur la table, puis il sort de sa poche un élégant stylo en jonc véritable, le décapuchonne et le pose sur le bloc.

— Nous attendons, me dit-il.

Et c’est vrai qu’ils attendent, ces pingouins ! Leurs six yeux me clouent littéralement à mon fauteuil. Je chope le stylo tout en considérant avec une feinte indifférence le canon luisant de la mitraillette qui me dévisage.

Je commence à écrire, puisqu’il le faut, et au bidon.

Pyréthrum 69 ; glycérine de base à vitesse circonflexe 88 ; activité biconvexe des polyvalents nobles 1 ; librium épithélium convergeant 22…

Je m’interromps comme si je cherchais la suite. Le silence est d’une cruauté fantasmagarique. L’immobilité de mes trois compères itou. Mon petit lutin intime me chuchote dans l’intérieur du conduit auditif : « C’est maintenant une question de secondes, San-A. Tu as réussi à te faire déchaîner. Tu dois risquer le paquet maintenant ! Sinon, ensuite tu pourras toujours te coller un plumeau dans le dargif et faire coin-coin pour amadouer la basse-cour, il sera trop tard.

Mais faire quoi ? Je mate le stylo.

— Un trou de mémoire ? demande le garçon blond d’une voix inquiétante.

— Taisez-vous, ça va me revenir, fais-je en prenant la voix importunée du monsieur à qui on demande l’heure alors qu’il achevait de multiplier mentalement douze milliards six cent vingt-neuf millions huit cent quatorze nouveaux francs vingt-cinq, par seize millions six cent treize mille cinq cent huit anciens francs.

Et si ça ne me « revient » pas, ça me vient !

Je pense que j’ai été l’heureux gagnant d’un concours de fléchettes à Londres l’an dernier. Je devais même concourir pour le titre de vice-champion du monde, mais une enquête urgente m’avait obligé à déclarer forfait. J’élève lentement le stylo, je l’assure bien in my hand, tout en faisant semblant de me gratter la tempe avec l’instrument. J’ai de plus en plus l’air rêveur, mais en réalité je vise l’œil du gorille-mitrailleur. Et vlan ! C’est parti ! Les premiers demandeurs seront les premiers servis ! Le stylo pénètre dans l’œil du type qui s’écroule immédiatement, comme je n’ai jamais vu un mec s’écrouler, pas même dans les films de bagarre à trois balles, pleins de pépées à loilpé ! Je bondis du fauteuil et je saute sur la mitraillette. Je la tiens. Une balle me chuchote les trucs à l’oreille, une autre me caresse le lobe, une troisième m’entaille le menton. Et puis ça cesse. Ça cesse car le père Fouassa, sortant de sa léthargie comme par enchantement a, d’un coup de pied, propulsé une chaise dans les cannes du blondinet. Le siège a déséquilibré le jeune homme et il en a paumé sa seringue. Moi je me redresse avec la mienne. Je pare au plus pressé, c’est-à-dire que je commence par le Chintoque qui s’apprête à défourailler et j’arrose en demi-cercle.

Descendez, on vous demande ! Pour les dégâts, prière de se mettre en rapport avec l’Urbaine et la Seine !

Le Jaune se prend un billet pour Gazonville et va vérifier les lames du parquet. Le blondinet idem. Dans ma précipitation j’ai brodé un arc de cercle un peu trop copieux et c’est le gars Fouassa qui a dégusté le rab de rab. Je m’approche de tout ce gentil monde pour un recensement express. La revue des troupes se solde par deux viandes froides et deux agonisants. Le Chinois est aussi mort que le gars qui fonda la dynastie des Ming, le blond l’a suivi de près. L’homme que j’ai stylodé est dans un coma plus épais que le fog londonien. Je n’y suis pas allé avec retenue, mes amours ! Le stylo d’or a pénétré jusqu’au capuchon dans l’orbite du gorille. Manque de bol, en s’écroulant il est parti bille en tête et c’est son propre poids qui a achevé d’enfoncer la flèche en dix-huit carats garantis. Mon père Fouassa, quant à sa hure, se démène avec le bagagiste de l’Hôtel Saint-Pierre. L’une des pralines lui a transpercé la gargante et il râle que ça arracherait le cœur à un huissier. Une deuxième bastos a perforé sa poitrine. Voilà un monsieur qui termine sa vie fort lamentablement, et pas du tout dans le style rentier ! Je me penche sur lui et j’appelle doucement.

— Fouassa !

Il ne bronche pas.

— Vous m’entendez ? C’est San-Antonio. Fouassa, essayez de répondre !

Il a — est-ce une illusion ? — un très léger battement de cils.