— Expliquez-vous !
— Il y a eu du grabuge. Erik a voulu interroger le commissaire San-Antonio car il pensait que Fouassa lui avait fait des confidences… Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais ce diable de flic leur a joué un tour de sa façon… Je crois qu’il a réussi à s’emparer de la mitraillette de Rudolf. Il a délivré Fouassa et l’a embarqué… En ce moment ils galopent tous dans la nature…
— Et ceux-ci ? demande-t-elle.
— Ce sont deux inspecteurs qui accompagnaient San-Antonio. Ce sale Gros a une façon de vous narguer qui vous fait perdre le contrôle de vos nerfs…
Et j’administre un coup de tatane dans le portrait de Béru.
— Grand lâche ! hurle icelui. Défais-moi seulement mes bracelets et tu vas voir ta bouille comment que je la déguise en portion de camembert-trop-fait !
Je hausse les épaules et nous quittons la cave. Le silence des arrivants me fait mal aux portugaises. C’est un silence de mort. Ont-ils coupé dans mes salades ! Est-il plausible qu’Erik ait fait appel à de la main-d’œuvre extérieure sans les en aviser ? Je fabrique du point d’interrogation à la même cadence qu’une usine d’armements fabrique des mitrailleuses en temps de guerre.
Une fois en haut, la fille me désigne le plancher du salon.
— Il y a du sang partout…
— Fouassa, fais-je avec un clin d’œil. Vous ne pouvez pas savoir ce que ce vieux crabe était coriace. Comme je suis français, Erik m’avait chargé de l’interrogatoire mais les séances ont été rudes.
— Il n’a rien dit ?
— Rien ! Une vraie carpe… Pourvu qu’ils arrivent à leur remettre la main dessus !
Je vais jusqu’à la porte et je fais mine d’écouter. L’hélicoptère est immobile devant la maison. Le pilote est occupé à bricoler le moteur.
— On n’entend rien, soupiré-je.
— Le patron a donné de ses nouvelles ? demande la belle fille (car elle est belle à ne plus en pouvoir, cette mousmé).
— Je crois, fais-je. C’est Erik qui a pris la communication.
Sa question me met du baume sur le palpitant, car elle indiquerait que la gosse me croit.
— Eh bien ! attendons-les ! décide-t-elle.
Elle s’assied et sort une cigarette de sa poche. Je me hâte de choper une boîte d’alloufs sur la table pour lui donner du feu. Elle libère un petit nuage bleuté et me regarde à travers la fumaga. Je crois comprendre que je ne lui déplais pas foncièrement.
— Vous êtes au courant de l’affaire ? me demande-t-elle, lorsque l’homme à l’imperméable est sorti de la pièce pour aller parler au pilote.
— Pratiquement pas, vous connaissez Erik ? C’est pas un bavard.
C’est le genre de réflexion qui accrédite un mensonge, si vous voyez ce que je veux dire ? Elle sourit et hoche la tête.
— Il ne m’avait même pas dit que vous étiez aussi jolie, fais-je. Autrement j’aurais mis mon costume des dimanches pour vous accueillir.
Alors, là, les gars, j’ai droit à l’œillade 389 bis, celle qui met les cœurs en émoi et les falzars au beau fixe.
Elle se lève, sort sans un mot, et va à l’hélicoptère. Je la vois parlementer avec le gars à l’imperméable blanc. Ça ressemble plus à un conseil de guerre qu’à un congrès du syndicat des farces et attrapes. Je me sens de plus en plus dubitatif. Je louche sur les armes. Elles sont là, sur la table, preuve qu’au fond la confiance règne.
Je me dis « Et si tu te rechapais la grosse seringue, San-A. ? Tu irais la mettre sous le nez de ces messieurs-dames. Tu obligerais le pilote à te piloter jusqu’à Paris sur Seine (France) et à la Grande Taule, choyé par les tiens, par les tiennes, et par l’Étienne, tu procéderais à un interrogatoire minutieux de cette belle demoiselle. Mais au fond, c’est du Tintin comme projet. Le cocoptère ne peut balader plus de quatre personnes et rien ne prouve que le coup de main réussirait.
La fille revient. À ma grande surprise je vois l’homme à l’imper remonter dans le zoizeau en compagnie du pilote. Les pales de l’appareil se remettent à brasser l’air…
— Ils repartent ? m’exclamé-je.
— Ils vont survoler la région pour voir s’ils aperçoivent les fugitifs. Il y a longtemps qu’ils sont partis ?
— Une heure à peine…
Elle hoche la tête.
— Voilà qui est fâcheux… Enfin espérons que nous aboutirons. C’est la première fois que vous venez en Allemagne orientale ? me demande-t-elle.
Je manque m’étrangler. Nous serions au-delà du rideau de fer ? Mais, sur le papier du charcutier il y avait écrit « Frankfurt ». Mes souvenirs géographiques répondent à mon appel et je réalise qu’il existe deux Francfort : Francfort-sur-le-Main, tout près de la frontière française, et Francfort-sur-l’Oder, très à l’est de Berlin. Je pensais que nous nous trouvions à promiscuité du premier. En fait nous sommes dans la zone orientale. Pour un coup dur c’en est un. Cette fois je nous vois mal partis. Il faut vraiment que le truc recherché soit d’importance pour qu’on nous ait charriés si loin, tous…
— Oui, c’est la première fois, assuré-je.
Je souris tendrement.
— Et je ne regrette pas le voyage.
Elle cille légèrement. Ou je me trompe, comme disait un adepte du cocufiage qui mettait une fausse barbe pour honorer son épouse, ou cette gosse s’en ressent terriblement pour ce qui est de l’adhésif moldave à génuflexion opposée. Quand vous voyez flamber cette petite lueur dans les yeux d’une nana, au cours d’un tête-à-tête, vous pouvez parier le livret de famille du soldat inconnu contre un Flaminaire que la donzelle a une puissante de transformer le tête-à-tête en bête à bête.
Moi, vous me connaissez depuis un bout de temps déjà ! Vous savez qu’il n’y a pas besoin de m’envoyer une convocation huit jours à l’avance avec accusé de déception pour me pousser dans les bras d’une frangine en bon état de marche.
Je m’approche de son fauteuil et, sans la moindre façon, je lui grume les muqueuses. Elle ne dit pas qu’elle est consentante parce qu’on ne doit pas parler la bouche pleine, mais elle me fait comprendre, par signes, qu’elle est contre…
Contre moi, bien sûr.
Tandis que le ronron du cocoptère disparaît au-dessus et que les Béru-Pinuche brothers se morfondent au-dessous, je donne à la madame un aperçu de mes conceptions amoureuses. Je ne vous en fournirai pas la nomenclature détaillée afin de ne pas vous coller de complexes, sachez cependant que je lui réussis admirablement le Bottin Mondain, la Souricière astringente et l’Appareil-à-cacheter-les-enveloppes.
Comme elle ne s’en lasse pas, je lui vote une tournée supplémentaire en la complétant par le Chevalier-tétonique, exercice périlleux avec dérapage avant sur les glandes mammaires. Elle aime.
La séance l’a complètement lessivée. Elle me dit que ça, plus les fatigues du voyage (elle doit venir de très loin à ce que je devine) c’est beaucoup et qu’elle veut se délasser dans un bain tiède. Je l’escorte jusqu’à la salle de bains. Prudent, je mate par le trou de la serrure. Je la vois se déloquer complet et enjamber la baignoire. Pour un peu je remettrais le couvert. Mais j’ai d’autres chats à caresser !
Car maintenant que j’ai la preuve de sa confiance en moi. (Et quelle preuve ! Une preuve qui n’est pas par 9 mais par 69 !) je décide d’oser et d’aller au fond de l’aventure. Tant pis si ça craque. Dans un style tornade digne du plus impétueux des westerns, je bombe jusqu’à la cave et je déchaîne mes deux comiques troupiers. Ils vont pour me faire part de leurs griefs mais je leur fais signe de la boucler.
Je vais ouvrir le réduit où nous avons entassé nos chers défunts.