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— Un vrai frigo pour cannibale ! marmonne Béru.

Je leur désigne le cadavre du blondinet.

— Chopez le gentilhomme et allez le larguer dans la forêt.

« Ensuite revenez. Vous n’avez que cinq minutes pour accomplir ce petit boulot. Moi je surveille les abords. Dès que c’est fini vous radinez et vous vous remettez vous-même les chaînes. S’il y a danger je mettrai un linge blanc à la fenêtre du salon et vous vous planquerez dans les fourrés jusqu’à ce que je vous prévienne. Vu ?

— Vu !

Ils savent se taire dans les cas graves.

C’en est un.

Je retombe dans les étages. Ma souris continue ses ablutions en chantant un lied allemand. Je m’avise que j’ai omis de lui réclamer son nom à l’entrée. C’est pas la première nana qui a droit à mes faveurs spéciales dont j’ignore le blaze. Comme quoi, dans la vie, la raison sociale importe peu, mes amours. C’est pas avec un prénom qu’on s’envoie en l’air, mais avec celle (ou celui) qui le porte. Le préblaze, c’est du luxe, pour la chose du souvenir et de la roucoulade. Il n’a pas plus d’importance dans un lit que sur une pierre tombale. Le pageot, c’est un peu le vestiaire du conformisme. On y dépose sa panoplie d’hypocrite : ses titres, ses grades, ses bandages herniaires, ses passeports, ses fringues, ses bijoux, ses imparfaits du subjonctif, ses accords de participes, ses prétentions, ses ambitions, ses croyances, ses projets, quelquefois son dentier ou sa jambe de bois, sa patrie, son patron, son pétrin, ses prébendes… Il nivelle l’échelle sociale, la transforme en plancher de bal sur lequel tout un chacun valse, twiste, tangote, charlestons à sa guise ou à son goût. Il est le socle de l’humanité, mes chéries, comme le nombril du porte-drapeau est le socle du défilé militaire.

Je mate par la croisée et j’aperçois mes deux tartes à la crème-pas-fraîche qui disparaissent sous les frondaisons en coltinant leur fardeau. Dans la salle de bains, ma conquête chante toujours sa joie de vivre et de m’avoir connu.

Dix minutes s’écoulent et mes compères ne reviennent pas, bien que je ne leur aie accordé que la moitié de ces temps pour accomplir cette macabre mission. Je commence à me faire un sang d’encre. Ma gosse d’amour sort de la salle de bains, une serviette nouée sur ses cheveux, une autre autour de ses hanches. D’un geste pudique (les frangines le sont toujours à retardement) elle cache ses seins impecs.

Je lui dis que c’est un crime et elle pouffe. Elle s’apprête à redescendre au salon pour se reloquer. Ce faisant elle va couper à mes archers toute, possibilité de regagner leur base. Un seul moyen de la neutraliser pour un moment, recommencer mes cours de fignedé à manche. Faut savoir être à la hauteur des circonstances dans la vie. Je la chope dans mes bras et je la drive vers une piaule proche. Un lit s’y trouve, accueillant. Il est dépourvu de draps et de couvertures, mais j’ai l’habitude de concourir sur piste cendrée. La gosseline proteste pour la forme. Elle dit que c’est déraisonnable, que je vais la faire mourir, etc., etc. Elle ajoute encore qu’elle n’a jamais rencontré de gars comme moi. Je suis un pionnier de l’amour, un défricheur, un explorateur, le Vasco de Gama du pucier, le Bernard Palissy de la jambe en l’air, le Fleming du faire-reluire, le Montaigne de l’extase, le Jean Cocteau de la fantaisie ! Elle dit que c’est le gars Moi-même qui sait le mieux utiliser le noir depuis les frères Lumière et le silence depuis le préfet Dubois.

Paraîtrait que ma tour de contrôle serait la plus perfectionnée d’Europe et qu’aucun syndicat ne pourrait rivaliser avec mes initiatives. J’ai droit à un vote de confiance de l’assemblée, avec mention spéciale du jury de Cannes. Faut reconnaître, car je suis profondément épris de justice, que cette personne possède tout ce qu’il faut pour inspirer le bonhomme doté de grosses intentions : des roberts affûtés au taille-crayon, des hanches en vase de Soisson, des cuisses qui doivent provoquer des raz de marée lorsqu’on les met à bronzer sur une plage, une peau ambrée et satinée, un parfum qui vous titille le subconscient et une bouche préhensile et compréhensive faite pour dire « oui » et aspirer des « h » et des tas d’autres trucs. Vous dire que je lui place coup sur coup (si nous osons ainsi nous exprimer) : Ma-révérende-paire, Le Collier-d’émail, et Le Sac-de-noix-rotatif est superflu car vous l’avez déjà deviné. J’y ajoute pour faire le bon poids La Toilette-du-tunnel, Le Paquet-de-pieds-paquets, La Douane-en-folie, Le Service-central, La Cuisine-des-anges, Le Petit-trou-pas-cher, L’Âne-de-Buridan, La Tête-de-mule, Le Cheval-de-Troie, Le Bidet-de-Sancho, et surtout, conclusion suprême, nectar des délices, et délice des nectars. Le Stroudubitz-itinérant (recette importée de Pologne par un moine capucin).

Avec cette nana, aimer est un délassement.

— À propos, susurré-je, comment vous appelez-vous, chez cœur ?

— Elsa ! répond-elle cavalièrement.

Nous nous en dirions sûrement plus, après nous en être fait davantage encore si le ronron caractéristique du gros moustique ne retentissait. Je me dis qu’il faut faire fissa pour aller m’assurer du retour des deux vaillants guerriers, mais la môme Elsa n’est pas le genre de personne qui laisse filer son partenaire à la sauvette. Les descentes à la cave, elle est pour à condition de faire partie du convoi. Pas mèche de s’en débarrasser. Force m’est donc de surseoir à ma visite des catacombes.

Le zig à l’imperméable blanc s’annonce d’un pas rapide, suivi du pilote : un grand mastar format garde du corps présidentiel ! Le voilà qui jaspine en chleuh. Ça fait froncer les sourcils de ma belle amie. Notre séance l’a un peu fatiguée. Elle a ses bagages sous les yeux et son regard ressemble à la grille d’un confessionnal. Ses narines sont pincées et les coins de sa bouche tombent un peu, bien que ce soient des commissures de peau lisse[12].

— Qu’y a-t-il ? interrogé-je.

Elle met trois secondes à me répondre.

— Ils ont vu quelque chose non loin d’ici, dans la forêt.

J’ai le battant qui fait le triple saut périlleux en arrière.

— Quoi ?

— Justement, ils ont mal distingué à cause des arbres. Il leur a semblé apercevoir des hommes… Une formation importante.

Le gnace à l’imper impec baragouine encore.

— Qu’est-ce qu’il dit ?

Elsa me traduit docilement.

— Il pense que les policiers français avaient des complices dans la région. Il veut interroger les deux du bas, peut-être savent-ils quelque chose…

J’en ai un court-jus dans la moelle pépinière (Béru dixit).

Je ne vais pas laisser torturer mes deux pauvres pommes tout de même ! Je louche vers la mitraillette, mais, comble d’infortune, le pilote qui aime les jouets de luxe est en train de s’amuser avec. Lui, c’est le genre d’intellectuel qui a besoin d’aller au fond des problèmes. Il vient de démonter l’engin en deux coups de gruyère râpé. C’est de plus un technicien. À l’efficacité de ses gestes on devine qu’il démonterait aussi bien — et aussi vite — un V2 ou un char lourd.

Le zig en imper pose son imper, ce qui va m’obliger à le qualifier autrement jusqu’à ce que, du moins, il le remette. Il porte par en dessous un complet de tweed moucheté, dans les tons beiges.

D’un pas germanique, il prend le chemin de la cavouze, escorté du pilote. Elsa suit ses deux beaux Teutons.

— Venez ! me fait-elle en me cramponnant le bras.

Force m’est de leur filer le dur à tous les trois.

Nous longeons ce couloir qui n’est pas sans évoquer la Salpêtrière. Nous atteignons la porte de la « cellule ». Horreur ! Elle n’est pas fermée et il n’y a personne dans la cave. Un incident technique s’est produit, qui a freiné le retour à la terre des deux réputés astronautes. Ils sont restés placés sur leur orbite, les pauvres biquets ?

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12

Et après ? Si ça me fait plaisir ! Voulez-vous bien remonter à votre lecture et ne pas faire cette gu… !