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Elle arrache la manche de ma chemise afin de dénuder mon bras. Une chose est à signaler qui en dit long comme Bordeaux-Paris sur la mentalité de ces bonnes gens : ils me piquent sans sommation. Il n’est même pas question d’ultimatum (de Savoie). Leur méthode c’est pas la méthode classique : « Parle ou on te… » Non. Eux commencent par agir. Dans le fond c’est plus efficace. Je serre les dents très fort. Mon San-A., ce qui t’arrive tu l’as bien cherché. Je me remémore la chanson Ah ! il fallait pas, il fallait pas qu’il y aille !

La seringue s’approche de mon bras. Werner s’apprête à m’embrocher. Il cherche la veine. Qui voit ses veines voit ses peines, me répète fréquemment ma Félicie. M’est avis qu’elle est dans le vrai.

San-Antonio, le superman pour noces et banquets, est aussi faraud qu’un microbe dans une fabrique de pénicilline. Il songe à sa mère, à la France, à son métier, à toutes les dames qu’il a honorées de sa confiance… Vous m’objecterez, puisqu’il pense c’est qu’il est, car vous avez des lettres (au moins les trois qui composent votre qualificatif le plus sûr). D’accord : il est ! Seulement il est pour peu de temps. Ô douleur ! Orage ! Ô dés ! Est-ce poire ? N’ai-je donc tant vécu que pour cet instant affreux ? Est-ce donc là que s’achève la belle histoire san-antoniesque (ou sans-antoniaise, au choix, je ne suis pas sectaire) ?

Non ! Les miracles ne sont pas faits pour les chiens. Au moment où Werner a découvert ma veine préférée (une bleue pervenche) un brou tout ce qu’il y a de haha retentit au-dehors.

Une sorte d’espèce de détonation étonnante, suivie d’un crépitement.

Le pilote mugit et se précipite au-dehors. Un coup de feu retentit. L’homme rentre en vitesse en se tenant le bras gauche. Du sang sort de sa manche. C’est le branle-bas de combat. Je me détronche comme je peux — et je peux peu — ce qui me permet néanmoins d’apercevoir au mitan de l’esplanade un immense brasier. C’est l’hélicoptère qui^ flambe. Ah ! le beau feu que voilà ! Attila est passé par-là ! À moins que ce ne soit Bérurier ou Pinaud ? Ceux qui se chauffent à l’anthracite ont tort : l’hélicoptère c’est tellement mieux !

Drôle d’effervescence dans le salon. Ces messieurs ont bondi sur leur arsenal et se mettent dans les embrasures. La poudre à atténuer la durée humaine entre enjeu. Ça fait boum du dehors, et ça fait boum du dedans !

Il s’agit d’un siège, mes loutes ! Prévenez votre gynécologue ! Je me gaffe qu’il ne s’agit pas d’une intervention de mes joyeux compères de Windsor. Ils n’étaient pas armés. Or ça pète ferme dehors. À l’oreille, je détecte quatre points de tir. Les vitres de la vieille demeure se mettent à faire des petits.

Werner crie soudain un truc efficace à son copain le pilote. Ce dernier court à un placard, il prend trois chargeurs de mitraillette qu’il glisse dans les poches de sa combinaison et il disparaît, la seringue sous le bras. Je pige qu’il s’agit d’une manœuvre savante. Il doit y avoir une issue discrète à cette forteresse. Mon petit camarade va essayer de prendre les assaillants à revers. Elsa fait le coup de feu elle itou. Une vraie Vachequirit digne de la Warner-Brosse. Elle est d’un calme olympique.

Pan-pan !

Pan-pan !

Comme Dialogue des Carmélites ça se pose là. Je n’ai qu’une trouille : c’est de morfler une bastos qui aurait paumé sa route et qui prendrait soudain ma carcasse immobile pour une voie de garage.

Y en a une que je ne connaissais ni des lèvres ni de la pomme d’Adam et qui vient de me passer sous le nez, justement ! Et pis en v’là une seconde en vadrouille à deux millimètres virgule deux de mon temporal, une troisième à un centimètre de mon artère iliaque primitive, une quatrième à un millième de millimètre de mon grand palmaire, une quatrième à zéro, zéro, zéro, un de mon apophyse coracoïde et une cinquième enfin (qui n’est pas de Beethoven) à un mètre de mon lobe. Quel vilain temps ! Si je pouvais seulement changer de trottoir !

Mais le zig qui m’a ficelé a dû être commis charcutier à Lyon pour savoir aussi bien saucissonner ses contemporains. J’ai beau peser sur mes miens à m’en faire exploser le carter, ils ne relâchent pas leur étreinte d’un centimètre.

Le zim-boum se poursuit. Heureusement qu’il n’y a pas de voisins immédiats car ils ameuteraient la garde. Ça vase un bon moment, de façon sporadique. Puis il se produit une petite accalmie, et, tout à coup, c’est Waterloo, multiplié par Trafalgar, multiplié par Verdun, multiplié par Monte-Cassino et divisé par six. Je pige que c’est mon petit ami le pilote qui venge son appareil mort au champ d’honneur. Il y va à la mitraillette et à la grenade. Un corps d’armée à lui tout seul. Ça dure trois minutes à peine. Le temps de se faire cuire un œuf, et puis ça stoppe L’homme qui eut le privilège de porter naguère un imperméable blanc par-dessus son complet de tweed moucheté dans les tons beiges (ne pas confondre avec les thons belges) sort précipitamment en hurlant des choses bien senties. La chère Elsa jette le pétard sur la table et s’approche de moi en faisant valser le sien.

— La tentative de vos complices a échoué, monsieur le commissaire ! fait-elle, goguenarde.

Elle me gifle à toute volée et à deux reprises. Puis elle se baisse davantage et me mord la bouche.

— Pour Noël, je vous offrirai trois douzaines d’électrochocs dans une belle chambre capitonnée, lui dis-je, car j’ai l’impression que ça ne tourne pas rond dans votre petite tête, ma chérie. On doit y être sadique de mère en fille dans votre famille, ou alors vous avez une jolie araignée dans votre non moins jolie tête !

J’ai droit en retour à une nouvelle série de beignes. Elle interrompt sa distribution car un surprenant cortège fait son entrée. Je cite, dans l’ordre des apparitions : un gros et grand type chauve, dont le crâne pointu pourrait servir d’enseigne à un fabricant de dragées. Bérurier, Pinaud, et le pilote de feu l’hélicoptère en feu.

Il y a des coups de surprise dans la vie. Celui-ci en est un, et des plus rudes ! J’écarquille mes objectifs à m’en faire tomber les gobilles des alvéoles. Qu’est-ce à dire, madame la comtesse ? Des grenouilles dans le potage !

— Salut, Gros ! lancé-je gaillardement, vous êtes allés à la pêche avec le Débris ?

— Parle-moi z’en pas ! rouscaille le Mahousse, tu me recauseras de ce pays de c… ! À peine qu’on a z’été dans la forêt avec le clamsé qu’une bande de jolis brius nous sautent sur le dossard et nous font prisonniers !

Il m’en dirait sûrement plus long, mais monseigneur le pilote qui n’aime pas les bavards lui file un coup de crosse dans la salle à manger. Le Gros se tait pour cracher sa porcelaine.

En aura-t-il pris des pains dans la frime, le pauvre chéri, au cours de sa valeureuse carrière ! Pas étonnant qu’il n’ait pas le physique d’Alain Delon après toutes ces mandales, tous ces gnons, toutes ces beignes !

Elsa et ses deux compères se concertent sans cesser de nous braquer avec un ensemble touchant. Leur conférence est courte. Cinq minutes plus tard, nous nous retrouvons à la cave, enchaînés comme des chiens méchants. Tant de mal pour en arriver là, c’est vraiment pas payant.

Pinuchet, de sa voix bêlante, résume admirablement le sentiment de chacun :

— J’en ai plein les galoches !

Béru crache une molaire d’occasion qui vient de se dessertir in extremis et explose, la bouche libre comme une ligne de chemin de fer un jour de grève totale de la SNCF :

— Si tu aurais pas eu l’idée saute-grenue de nous faire coltiner ce macchabe, on en serait pas là, San-A. ! Pour un commissaire, tu me la copieras ! Quand je pense qu’on m’oblige à passer des examens pour avoir le droit de faire des couenneries dans ton genre, merci bien. Franchement, quand on te voit à l’œuvre, on a envie de se l’apprendre, la loi de Courvoisier sur les corps plongés dans les liquides et le principe d’Archi Moor ! Si tu serais venu nous apporter des pétoires, on s’emparait de la maison. On attendait le retour de l’hélicoptère, on naturalisait les occupants, et on intimidait au pilote l’ordre de nous conduire à Issy-les-Moulineaux sans escale !