Trois hommes en débarquent. Leurs silhouettes s’avancent vers nous. Ils ont une formation en triangle comme les cigognes.
En tête marche un type mince, vêtu d’un complet noir et coiffé d’un chapeau à bord roulé. On dirait un notaire. Il a les cheveux blancs et porte des lunettes à montures d’or.
Il est suivi de deux autres gars élégamment vêtus eux aussi. L’un est coiffé d’un taupé vert, l’autre d’un chapeau de paille noire à ruban à damier, très amerlock. L’un et l’autre portent des lunettes noires d’agents secrets.
Le trio pénètre dans la pièce. Il se fait trois dixièmes de seconde d’un silence de cathédrale, after lequel le type aux tifs blancs se met à jaspiner. C’est Zaza qui lui donne la réplique.
Au milieu du blabla je perçois un soupir. C’est Pinaud qui vient de s’évanouir. Terrassé par les émotions, le pauvre biquet !
Béru s’en aperçoit et se fout à chialer.
— Notre Pinuche qu’est groggy ! lamente-t-il. Tu vois pas qu’il a cassé sa pipe ? Il a jamais eu l’horloge très solide. Son système vaseux-basculaire débloquait, à ce qu’il m’a z’eu confié.
Il se tait, puis reparle. C’est pour dire « Nom de Dieu ». Et il reste le clapoir béant. Je suis la direction dudit regard, ce qui drive le mien jusqu’à l’un des compagnons du big boss. Il s’agit de celui qui porte un chapeau de paille noire. À mon tour je manque défaillir. Et quand je vous aurai dit qui c’est, ce naveton, je suis certain que votre aorte fera le grand écart.
Je vous laisserais bien deviner, mais dans douze siècles on serait encore là. Je vous le bonnis ? Vous y tenez ? Vous insistez ? Dans ce cas, j’y vais.
Mais auparavant je vais changer de chapitre, histoire de m’aérer un chouïa les méninges.
Qui m’aime me suive, comme disait un type que je connaissais.
Il se déplaçait toujours seul.
CHAPITRE XI
Le compagnon du grand patron. L’homme au chapeau de paille noire à damier, c’est Hector !
Vous avez bien lu, bien compris ? Avec vos yeux de taupes et vos cervelles de mollusques ? J’ai bien écrit en toutes lettres : Hector. Mon cousin. L’ex-fonctionnaire devenu policier privé grâce à l’agence accueillante de Pinuche. Rien de surprenant à ce que notre brave Baderne se soit évanoui en le reconnaissant. Je cache ma surprise de mon mieux. D’ailleurs, présentement, personne ne s’occupe de moi. Nos geôliers discutent à toute vibure. C’est à se demander s’ils arrivent à se comprendre ! Hector, quant à lui, s’approche de moi, innocemment. Il soulève ses lunettes noires et me distille un chouette clin d’yeux. Toujours innocemment, il passe derrière mon siège. Je sens une légère vibration dans mes liens, et puis ils se détendent comme par miracle et je récupère la liberté de mes mouvements.
— Bouge pas, Toto ! me souffle Hector.
Il s’occupe de Bérurier avec la même discrétion. Y a de l’émoi dans le réseau. Il en a sec, le grand boss, d’avoir dépensé tant d’argent et sacrifié ses hommes et son hélicoptère pour faire tintin sur la ligne d’arrivée. D’après ce que je crois piger, il enguirlande Werner et le pilote, lesquels n’ont pas su dénicher la deuxième moitié de la formule. Puisque le patron de l’autre réseau, Arthuro, l’avait en sa possession, elle n’a pas pu se volatiliser…
Sur une table basse, au fond de la pièce, sont déposés trois revolvers et la mitraillette dont le pilote se servit pour prendre à revers les assaillants. Je vois le brave et bel Hector (il est fringué sur mesure et en soie sauvage) se diriger dans cette direction.
Il nous adresse un petit signe, à Béru et à moi. Et puis il agit. Des deux mains il empoigne les lance-prunes et nous les jette.
Je biche le mien au vol. Béru rate le sien, mais s’empresse de le ramasser. Stupeur des autres qui nous voient brusquement debout et armés. Ils n’ont pas le temps de réagir. Hector est en train de leur jouer Descends-moi debout j'ai le vertige sur son yukulele. L’homme qui eut naguère un imperméable immaculé a bien fait de ne pas le remettre car il aurait été taché. Il culbute, foudroyé. Le pilote a défouraillé et s’apprête à tirer sur Hector, mais San-Antonio a obtenu trois médailles d’or au concours international de tir de l’Étang-la-Ville. Il morfle une praline dans le bol et cesse de plaisanter.
— Les mains en l’air ! je hurle. Vite ! Vite ! les gars, ça urge…
Elsa lève ses bras. Son boss idem. Y a que l’autre truffe, celui au chapeau de feutre taupé qui ne doit pas entraver le français. Ça cause sa perte. Comme quoi la culture française est la first of the world. Il se prend, dédicacé par Bérurier, une demi-douzaine de bouts de plomb dans la boîte à ragoût.
Il crie « Jawohl » et court retenir sa place chez saint Pierre, car du train où vont les choses il risque bien de ne pas y en avoir pour tout le monde.
Maintenant on y voit un peu plus clair. Aidé du Gros, je ligote Elsa et le vieux kroumir sur les sièges que nous occupions.
— C’est ce qui s’appelle une renversée à grand spectacle, fais-je en essuyant la sueur de mon noble visage. Vas-tu m’expliquer, Hector, comment il se fait que…
Il explique, un altier sourire aux lèvres. C’est devenu un vrai julot, Totor, depuis qu’il est matuche amateur. L’arbitre des élégants, le gros tombeur de gerces, et le gars le plus courageux du monde et de ses environs.
— Fastoche, dit-il en sortant une cigarette de sa poche. Je radine de ma dernière enquête, et l’on m’apprend que tu as disparu ainsi que Pinaud et Bérurier. La femme de celui-ci m’explique qu’elle a viré son gros lard avec une valise de fringues. J’enquête. J’apprends que vous étiez tous plus ou moins sur l’affaire Fouassa et je me rends chez le retraité. J’y trouve les portes grandes ouvertes, la maison vide, et un saint-bernard hurlant à la mort dans le jardin. Je fouille la demeure bien à fond, mais je ne vois aucun de vous. Par contre, je découvre la valoche du Gros. Je la fais sentir à Médor en lui disant : « Cherche ! Cherche ! » Dérouté par l’odeur, il me conduit pour commencer aux ouatères, mais il se remet de sa bévue et le voilà parti en direction de la rue… Je le suis. Il parcourt cent mètres et stoppe devant un pavillon en meulière.
« Je m’apprête à sonner, mais auparavant, vieille habitude qui m’est restée de l’époque où j’étais fonctionnaire, je prête l’oreille.
« J’entends M. Chibaldouk…
Il désigne le boss.
« Parlant allemand avec cet autre…
Il montre le mort au chapeau taupé.
« … Et puis le téléphone sonne. C’est M. Chibaldouk qui répond en français. Il résulte de sa conversation que « tout le monde a été embarqué en Allemagne ». Quand on n’a pas, comme c’est mon cas, du râpé à la place du cerveau, on traduit tout le monde par : San-Antonio, Pinaud, Béru, Fouassa, non ?
— Yes, cousin, t’es un crack, poursuis…
Chibaldouk s’agite. Il fulmine, il écume, il éructe, il glapit, il grince comme une girouette rouillée. Cousin Hector s’approche de lui.
— Je t’ai un peu fabriqué, hein, mon neveu ? lui dit-il en lui tordant aimablement le nez entre le pouce et l’index.
Un vrai farceur, le Totor !
— En écoutant la communication, j’ai appris que tu attendais un spécialiste du déchiffrage que tu voulais emmener avec toi en Allemagne. Le gars devait arriver d’une minute à l’autre, et c’était un certain Kébelhognard qui te l’envoyait. Alors sais-tu ce que j’ai fait, hé ? Peau-de-derrière-atteint-d’érésipèle ? J’ai guetté l’arrivée du type en question, un certain Morzana, selon ce que j’avais compris.
« Il est débarqué d’un taxi. Pendant qu’il carmait sa course je lui ai demandé s’il était soi-même, il a répondu qu’oui, alors je lui ai bonni que c’était moi qui l’attendais et que nous avions affaire dans la maison d’en face. Je l’ai drivé en loucedé dans la turne de Fouassa…