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— Tu es certain !

— C’est Chibaldouk lui-même qui me l’a révélé au cours du voyage…

— Je vois. Restent donc plus que trois points d’interrogation.

— Minute, poulet !

Il sort et à travers les vitres du troquet, je le vois aller à sa Lancia Zagato stoppée de devant la lourde. Il y prend un carton et revient. Il dénoue la ficelle, écarte les rabats du carton…

— Vise un peu, joli cœur !

Je regarde. C’est bourré de billets de cinquante mille balles. Une vraie orgie !

— Les millions du père Fouassa ! balbutié-je.

— Yes, baby. Je les ai dénichés à la cave au moment où j’ai planqué le type qui allait chez Chibaldouk. Ils étaient dans un vieux garde-manger, accroché au plaftard ; marrant, non ?

— Pourquoi ne les as-tu pas rendus ?

Il rabat précipitamment les éléments formant couvercle.

— Rendus à qui, dis, Toto ? C’est du fric occulte, ça provient de réseaux qui eux-mêmes sont détruits.

— Hector ! tonné-je.

— La ferme ! riposte le bel Hector. Ce fric appartient à l’Agence Pinaud. Maintenant, si tu as envie d’une part de gâteau, en qualité de parent je te la refuserai pas !

— Je suis un policier en exercice, et ta proposition pourrait te coûter cher, tout cousin que tu es, hélas !

— C’est bon, on partagera donc avec Pinaud.

— C’est pas possible, lamente Pinaud, moi aussi je suis redevenu poulet !

— En ce cas je sucre le paquet, je mijote justement de troquer la Lancia contre une Maserati… Je ne suis pas payé par l’État, moi, messieurs, et dans cette affaire je n’ai pas perçu de règlement. Le hasard m’en envoie un et vous voudriez que je le refuse ! Ah ! non…

Je me dis qu’après tout son point de vue se défend. Mal, mais il se défend.

— Donnes-en au moins une partie aux œuvres de la police, soupiré-je.

Hector hoche la tête.

— Entendu. Je verserai tout à l’heure la part que j’estimais devoir te revenir…

On se commande des consos princières pour fêter notre retour et la réintégration de Pinaud. Une ombre au tableau, gigantesque : l’absence du Gros.

— Vous n’avez pas aperçu Béru ? je demande à ma loufiate du bar.

— Non, monsieur le commissaire.

— Qu’est-ce que tu lui veux, à Béru ? s’exclame une voix que je reconnaîtrais entre deux.

Et Bérurier paraît. Il est rasé, il est relingé de neuf et, vous me croirez si vous « voudrez », mais il sent bon.

Un sourire large comme une portion de courge fend sa façade.

— Le divorce semble te réussir, admiré-je.

— On divorce plus ! Tout est arrangé !

— Hein ?

— Figure-toi que j’ai répondu à l’annonce de Berthe. J’ai fait recopier la lettre par mon bistrot pour pas qu’elle reconnaisse mes fautes d’orthographe, et comme photo j’ai mis dans l’enveloppe celle d’un champion d’athlétisme en maillot. Si que tu l’avais vue se pointer, la Gravosse, au rancard que j’y ai collé. Un pot de géranium en guise de bitos et une toilette que même la reine Juliénas n’a pas la même ! Mistifrisée ! Elle portait sa gaine grand siècle, ses Vitos d’apparat et des escarpins à talon aiguille que là-dessus t’aurais l’air d’un berger landais. Moi, je m’étais embusqué derrière la sixième de France-Soir. Je la vois qui se met z’à renoucher autour d’elle pour dégauchir son beau ténébreux. La Gravosse, qu’est-ce vous voulez, le matou c’est son vice. Chez d’autres c’est la boisson, chez d’autres encore c’est la lecture, le café fort ou le cinoche.

« Ma Berthe a du tempérament. C’est une personne que la tringle ça l’a toujours fascinée, quoi ! Brèfle, quand elle a z’eu passé en revue chaque consommateur, la voilà qui se rabat vers moi. J’abaisse mon baveux. Oh ! la pauvre biquette ! Elle se pâmait façon jeune fille qui rencontre un syndic au coin d’une forêt. Elle a été z’obligée de s’asseoir. J’y ai commandé une Verveine liqueur pour la remettre. « Berthe, que je lui fais, c’est moi que j’ai répondu à l’annonce. Je m’escuse de t’avoir refilé un faux frisson, mais moralement je suis beau comme le mec que j’ai cloqué la bouille dans ma lettre bidon. L’amour, c’est pas à l’étalage que tu le trouves, mais dans les rayons du magasin. Si tu voudrais on reprend la vie communale. »

Deux énormes larmes ruissellent sur le visage tuméfié de Béru.

— Et elle a dit oui, conclut-il. Ce rembour, les gars, vous ne pouvez pas savoir ce que ça a été !

— Ils se recollèrent, furent très heureux et eurent beaucoup d’enfants, conclus-je. Sacré Jonas ! À toi aussi, ta baleine tient lieu de studio tout confort.

Pinaud pleure. Il embrasse son coéquipier.

— Moi aussi j’ai une nouvelle à t’annoncer, bredouille le Chétif. Je suis réintégré !

Démonstrations tapageuses de Béru, qui, du coup, offre sa bouteille de Juliénas, Hector est de plus en plus morose malgré ses millions.

— L’homme vit sur une sensiblerie éculée, déclare-t-il, et il court à sa perte !

Mais ce présage n’assombrit point la joie des deux compères.

— Faut pas que je m’attarde, s’avise soudain le Mastar, j’ai rancard avec mon dentiste pour me faire repaver l’impasse.

Il ouvre son clapoir et nous montre quelques dents branlantes.

— J’ai laissé pas mal de dominos dans cette aventure. Je les ferai mettre sur ma note de frais, comme d’habitude, pas vrai, m’sieur le commissaire de mon…

Il sort un petit paquet de sa poche, le déplie, et nous montre fièrement deux molaires, trois canines et une incisive.

— C’est mon matériel de camping que j’ai eu la bonne idée de récupérer au fur et à mesure. Tu te rends compte du déchet que mon râtelier a produit ?

Et de faire la nomenclature :

— Deux polaires, trois gamines et une décisive ! c’est beaucoup pour une seule salle à manger, non ? Remarquez, je vais me faire réviser le damier complètement. Je veux plus de décisives, j’ai remarqué qu’elles ne servaient pas z’à grand-chose. Rien que des gamines et des polaires, ça me suffit…

Il parle, parle, et moi San-A., l’homme qui remplace Astra, au lieu de l’écouter et de me fendre le pébroque, je louche sur l’emballage de ses ratiches. Il s’agit d’un petit feuillet imprimé qui me dit quelque chose. Je m’en saisis, je le défroisse et j’émets le plus joli rugissement qui soit jamais sorti des cordes vocales d’un lion normalement constitué.

— Où as-tu pris ça, Béru ?

— Dans la forêt, en Bochie !

— Hein ?

— Pendant que ça brillait ! On était attachés à des arbres, avec des chaînes, Pinuche et moi. Je glaviotais mes tabourets à tout va et je me caillais le raisin en me disant que c’était dommage de paumer de belles porcelaines commak. Près de moi y avait une serviette de cuir. Je l’ai ouverte et j’y ai pris un morceau de papelard pour remiser mes crocs. Et puis… Hé ! Où que tu vas avec mon papelard !

Je me retourne avant de passer la lourde pour bondir chez le Vioque.

— Hé, Hector ! Il ne reste plus qu’un seul point d’interrogation au portemanteau, fais-je avant de m’éclipser.

* * *

Huit jours ont passé.

J’ai rendez-vous avec une jolie petite minette dont les yeux bleus sont d’un vert extraordinaire. Elle bosse du côté de la gare de l’Est, dans la chaussure, je crois. C’est de la belle enfant, avec des troupes aéroportées sur le devant et un moteur flottant à l’arrière.

Elle n’a pas vingt ans, un sourire que Gibbs paierait une fortune et un de ces airs fripons qui vont droit au cœur de l’homme avant de se répartir dans des régions plus secrètes.