Elle boit un apéro, puis regarde sa montre et m’annone que c’est la fête à sa maman et qu’elle n’a qu’une heure à me consacrer. Je lui demande si elle veut bien me la consacrer dans un hôtel. Le temps ne nous talonnerait pas, elle ferait sûrement des manières. Mais quand ça urge, les nanas savent remiser leurs mômeries. Histoire de faire un pèlerinage aux sources, je la pilote jusqu’à l’Hôtel du Danube et de Calvados Réunis. J’achète le droit d’user d’une chambre et la dame de la caisse appuie sur une sonnette afin de nous faire prendre en charge par le larbin de service.
Qui n’est autre que le gars Firmin.
— Tiens, monsieur le…
Je lui fais les big eyes et il met le cran de sûreté à son appareil à débloquer. Sans piper (ça n’est pas à lui à le faire) il nous conduit dans une piaule tapissée de cretonne à petites fleurs champêtres. La turne est propre. Le bidet brille dans le corral. Mais l’œil infaillible de Firmin repère un paquet de Gitanes oublié sur la tablette du lavabo. Il s’en saisit prestement et l’enfouit dans sa poche.
— Voilà, monsieur-dame, dit-il, d’un ton d’en avoir deux.
C’est tout juste s’il ne nous souhaite pas bonne bourre.
Et il se retire.
Un je-ne-sais-quoi de bizarre vient de me chiffonner le subconscient. Je ne regarde pas la gosse qui déjà procède au décarpillage. Sa robe peut se fendre comme la cosse d’un haricot, son soutien-roberts voltiger sur un dossier, son slip voler sur la table, ses jarretelles claquer sur ses cuisses fermes et ses bas sans couture choir sur ses pieds mignons, je n’y prends pas garde.
— Eh bien ! vous ne vous mettez pas à votre aise ? s’étonne la gamine qui a dû lire le guide de la parfaite petite coucheuse.
— Excusez-moi, trésor, j’ai oublié de graisser la patte du garçon, commencez sans moi, je reviens.
Et je cavale dans le couloir à la poursuite du gars Firmin.
Je le trouve dans une piaule voisine. Il vient d’y allumer une cigarette et il rêvasse en regardant zonzonner son aspirateur.
— Dites, commissaire, on a beau être poulaga on n’en est pas moins homme, ricane-t-il. Félicitations, c’est un gentil morceau. Quand vous n’en voudrez plus, la jetez pas, elle peut encore servir…
Je stoppe ses saillies.
— Écoutez, Firmin, vous avez fait un geste à l’instant qui me laisse rêveur…
— Ah oui ?
— Vous avez raflé un paquet de cigarettes sur la tablette du lavabo.
— Oh ! il n’en restait plus que deux.
— Je m’en fous, ça n’est pas cela qui m’intéresse… Je voulais vous demander de rappeler vos souvenirs. Avez-vous pris quelque chose dans la chambre de Simmon entre le moment où il a quitté sa chambre et le moment où il y est revenu ?
Le larbin réfléchit.
— Même s’il s’agissait d’une chose que vous jugez extrêmement insignifiante, dites-le-moi !
— Tiens, fait-il, en effet, je m’en rappelais plus. Je lui ai piqué un bouquin policier.
— Racontez…
— Il était sur sa table de chevet. J’ai pas cru qu’il allait revenir si tôt. Dans la journée je fais des pauses…
Il ne fait même que cela, le cher homme !
— … Alors je lui ai emprunté ce bouquin.
— Ensuite ?
— Attendez, oui ça y est. Il s’agissait d’un roman d’espionnage de Paul Kenny, c’était passionnant : une histoire de crocodile qui avait mangé un cannibale qui avait mangé un explorateur qui avait mangé un document secret… J’en étais à la page 48, vous voyez si ma mémoire fonctionne. Au paragraphe 2, là où le type de l’interpol ouvre l’estomac du crocodile. C’est alors que cette vieille morue de mère Renard m’est tombée sur le paletot. Elle m’a confisqué le bouquin en criant bien haut que c’était un scandale !
— Et après ?
— Quand Simmon est revenu, il est ressorti de sa chambre et m’a demandé si j’avais aperçu le livre qui était sur sa table de chevet.
— Merci, mon Dieu, fais-je. Et qu’avez-vous répondu ?
— Que non. Je pouvais pas avouer puisque je n’avais plus le livre. Si j’étais allé le réclamer à la vieille peau, j’aurais dû lui expliquer que je l’avais pris à un client et elle en aurait profité pour me donner mon sac !
— Qu’a dit Simmon ?
— Rien. Il a refermé la porte.
Il savait se maîtriser. En fait, sans le savoir, Firmin venait de le tuer. L’espion savait que la perte du document provoquerait la sienne. Il a cru qu’on le lui avait volé et il a préféré en finir avec la vie pour éviter d’être torturé…
— Ça paraît vous contrister ? remarque Firmin.
— Non, au contraire.
La vieille a lu le bouquin, ou bien Fouassa… Arrivés à un certain endroit ils sont tombés sur le fameux feuillet où était imprimée la formule. Le texte leur a été incompréhensible, mais lorsque les gars des deux réseaux sont intervenus, leurs méninges se sont mises en action. Ils ont compris…
Je m’élance dans l’escalier. C’est la voix de Firmin qui me hèle :
— Vous partez, monsieur le commissaire ?
— Oui.
— Mais… et la personne de la chambre 16 ?
— Dites-lui qu’elle peut aller se rhabiller, j’ai autre chose à foutre !
C’est ce goût de la perfection qui fait votre force et qui vous donne votre classe, cher San-Antonio. Vous avez su défricher complètement cette affaire, résoudre tous ses aspects les plus mystérieux…
Il parle en me secouant énergiquement la main.
— Bravo, bravo ! Et encore bravo ! Pendant que j’y pense, vous remercierez votre cousin pour le don qu’il a fait aux œuvres de la police.
— Il a versé combien ? m’enquiers-je.
— Douze cents francs…
— Nouveaux ?
— Non, anciens, mais c’est le geste qui compte, conclut le Vieux, chacun fait selon ses moyens !