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— Bien sûr.

— Vous ne les avez donc pas déposés dans votre coffre à la banque ? m’étonné-je. Ce n’est pas très prudent de conserver à votre domicile une somme pareille en liquide.

— J’ai un coffre à la maison. Et puis, je m’attends à tout moment à ce qu’on vienne me réclamer cet argent.

Il prend une profonde inspiration et crie :

— Madame Renard !

Ça fait partie de la dignité de son personnage. Il s’embourbe la moustache et doit même lui demander des trucs pleins d’invention, seulement quand y a du monde at home il l’appelle Mme Renard gros comme le bras… de Mme Renard.

— Vous allez prendre quelque chose, propose aimablement Fouassa. Vous avez dîné ? Alors une petite fine champagne. Tenez, si vous voulez bien faire le service, cher monsieur Pinaud…

Il regarde en direction de la porte et appelle de nouveau, mais sur un ton chantant :

— Madame Renard !

Miss Système Pileux s’abstient de répondre. Fait-elle la gueule ou a-t-elle brusquement les ruches constipées ? Je ne sais.

— Mais qu’est-ce qu’elle fabrique ? gémit Fouassa. Elle ne voulait pas que je descende et…

Il baisse la voix :

— C’est une bonne personne, mais elle a un caractère difficile.

Comme la moustache ne radine pas, je m’avance jusqu’au vestibule et je clame fortement :

— Madame Renard !

Seul, un courant d’air me répond car la porte donnant sur le jardin est grande ouverte. Je m’avance sur le perron. Je réitère l’appel. Pourquoi, soudain, suis-je étreint par une confuse angoisse ? Pourquoi ai-je le battant qui ralentit, les oreilles qui chauffent et la pomme d’Adam qui change de sexe ? Prémonition ? Sixième sens ?

Je m’avance. Je mate les azimuts, avec l’œil d’un Belzébuth bourré de bismuth et jouant du luth[3]. Et qu’aperçois-je, gisant au milieu de l’allée ? L’ogresse. Je cours à elle. Oh ! la pauvre madame ! C’est pas demain qu’elle va faire la soupe du père Fouassa, ni après-demain, ni l’après-demain d’après-demain, ni jamais !

Elle est morte. Son corps baigne dans une mare de sang[4].

Deux regards me renseignent. Elle a été assommée, puis égorgée. Les instruments du crime sont là qui en témoignent. Une bêche et un couteau. L’agresseur devait être tapi dans l’ombre, la bêche à la main. Quand elle s’est amenée, il lui en a collé un coup sur la noix. La dame Renard est allée aux pâquerettes, estourbie. Lui trancher la gargante avec le couteau n’a plus été alors qu’un jeu d’enfant turbulent !

Je pose la main sur sa poitrine : aucun doute ne subsiste, elle a touché son auréole et ses petites ailes adaptables. C’est du tout récent, car le raisin continue de glouglouter par la plaie béante. Je fonce vers la sortie. La porte donnant sur la rue est ouverte. Dans sa précipitation, l’assassin a négligé de la fermer. Je reviens vers la morte. Le vent léger de la nuit souffle des morceaux de papier dans les environs. À la clarté lunaire, je constate que lesdits papiers sont en fait des billets de dix mille balles. Il y en a une dizaine au moins qui volettent sur la pelouse comme des papiers gras dans les bois de Meudon un dimanche après-midi.

Je retourne au living. À la télé, le match de catch s’achève par la victoire du gros méchant chauve qui se fait conspuer par la salle. Fouassa et Pinuchet considèrent l’écran avec intérêt. Le Fossile explique qu’il fut champion de lutte gréco-romaine jadis, dans la catégorie mauviette.

— Elle ne répond pas ? demande Fouassa en me voyant entrer seul.

— Non, monsieur Fouassa. Elle a une bonne raison pour ça : elle est morte !

À peine ai-je lâché cette déclaration que je la regrette. Je suis vachard quand je m’y mets. Le pauvre rentier commence à baver son damier à ventouse de trente-deux pièces sur son plastron, puis il bleuit, violit et tombe à genoux sur le plancher en se cramponnant les cerceaux à deux mains. Il suffoque. Il rue, en proie à une brutale crise d’étouffement.

— Qu’est-ce t’as fait là, malheureux ! glapit Pinaud. Dire des choses pareilles à un homme dans son état !

Il tapote les menottes du petit pote, giflote ses joues pâlottes tout en disant :

— Voyons, monsieur Fouassa, c’est pas vrai. Poisson d’avril ! Poisson d’avril !

— Va le voir, il est dans le jardin, ton poisson d’avril, rouscaillé-je. Et en fait de poisson, ce serait plutôt un cachalot !

Pinaud douta, Pinaud sortit et Pinaud crut.

Il revient en arborant un teint vert amande, que dis-je : vert amende !

— Mais qu’est-ce qui lui est arrivé, à cette pauvre personne !

— Je doute que ce soit une arête de poisson on un tramway qui lui ait fait ça. Faut aviser… Occupe-toi de ton client.

Je pars à la recherche du téléphone et je le trouve. Épinglée au mur, au-dessus de l’appareil, il y a la liste des amis et fournisseurs attitrés de Fouassa avec leur numéro de bigophone. Je lis « Docteur Linfecté » et je compose. C’est le toubib soi-même en personne nommément en chair et en os qui me répond. Je lui dis de radiner vite fait chez Fouassa, ensuite de quoi je préviens le commissariat de Vaucresson qu’il y a eu du grabuge chez l’un de ses administrés.

La conscience apaisée, je retourne au living. C’est pour y découvrir un Fouassa qui reprend ses esprits. Sa locomotive a redémarré vaille que vaille et n’arrive pas à s’échapper de ses pauvres poumons.

— Qu’avez-vous dit ? Qu’avez-vous dit ? balbutie-t-il en pleurant. Madeleine, ma petite Madeleine, n’est pas morte. Mon biscuit adoré…

Sa Madeleine ! Son biscuit ! Un biscuit brun, oui ! Il a été pâtissier dans une vie antérieure, l’asthmatique !

— Calmez-vous ! Respirez posément, le docteur va venir.

— Où est-elle ? Je veux la voir… Que lui est-il arrivé ? Est-ce bien vrai ?

Devant cet afflux de questions, je me sens débordé. Pour cacher ma gêne je chope son vaporisateur et je lui dis d’ouvrir la bouche, ce qui est paradoxalement le meilleur moyen de la lui boucler ! Il a droit à un sulfatage en règle de son tout-à-l’égout. Le voilà qui se remet à respirer correctement. Pendant ce temps, à la téloche, une dame explique la vie de Montaigne et je ne regrette qu’une chose, c’est que Montaigne ne soit pas là pour l’écouter et se fendre le pébroque.

Pinuche, qui a rencontré sur sa route la bouteille de fine champagne précédemment signalée par Fouassa, a un entretien confidentiel avec elle. Il lui fait part de son émotion et la boutanche lui déverse des paroles de réconfort.

— Ça va mieux ? demandé-je au rentier.

— Un peu, merci. Dites, je vous en supplie, racontez-moi ce qui s’est passé.

— Je serais bien en peine de le faire pour l’instant. Lorsque nous sommes arrivés, vous étiez dans votre chambre au premier étage, n’est-ce pas ?

— Oui, je somnolais. Madeleine, enfin, Mme Renard est venue m’annoncer votre visite. Pendant que je passais ma robe de chambre, elle est redescendue. Je croyais la retrouver dans cette pièce. Ne la voyant pas, j’en ai inconsciemment déduit qu’elle était allée se donner un coup de peigne. Elle a eu une attaque ?

— Une attaque, oui. Mais pas cardiaque. Un mystérieux agresseur l’a assassinée.

Il pousse un gémissement tel qu’une scie musicale n’en émit jamais de semblable.

— Assassinée ! Quelle horreur ! Une digne femme qui n’aurait pas fait de mal à une mouche !

In petto, je me dis qu’elle avait peut-être en effet le respect des mouches, la pauvre ogresse, mais à mon avis elle ne devait pas avoir celui des bonshommes qu’elle dorlotait. M’est avis en outre que j’ai eu le naze creux en venant faire un tour à Vaucresson ce soir. Et m’est avis toujours que l’affaire Fouassa est beaucoup plus compliquée encore que je ne l’imaginais.

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3

Pas d'inquiétude, c'est ma soupape poétique qui fonctionne.

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4

Formule classique, mais qu'il est bon de conserver, car elle possède beaucoup de vigueur et frappe l'imagination.