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— Magnifique vieillard ! Tu aurais le premier prix de résumé dans un concours.

Il se rengorge :

— Nous allons vérifier chacun de ces trois points, comme disait un franc-maçon de mes amis.

Je fouille l’unique poche de la morte. Elle ne contient qu’un mouchoir qui s’y tient bien tranquille car il est de batiste. Ensuite, je fouille le rez-de-chaussée à la recherche d’un tube de rouge à lèvres mais je n’en trouve pas. Or, Mme Renard n’a pas eu le temps de monter se farder entre le moment où nous avons sonné et celui où elle nous est apparue dans toute sa splendeur et dans l’encadrement de la porte. Nous devons donc nous rabattre sur les deux autres hypothèses. Je biche le toubib par une aile au moment où il vient, de faire une piqûre à Fouassa.

— Dites-moi, docteur, M. Fouassa fume-t-il ?

— Vous plaisantez ! Dans cet état !

Cette exclamation me suffit.

— Merci, docteur, c’est tout ce que je voulais savoir.

Je me rends au chevet de Fouassa qu’on a recouché et qui pleure doucement sur son oreiller, abruti par la piqûre et les événements. Je m’assieds sans façon sur son lit.

— Monsieur Fouassa, il y avait quelqu’un chez vous au moment où nous sommes arrivés, Pinaud et moi. Ce quelqu’un ne cherchait pas à se cacher de vous puisqu’il fumait et regardait la télévision dans la pièce du dessous. Je vous prie de me révéler immédiatement son identité !

Je me suis exprimé avec courtoisie, mais d’un ton net. Je serais dans la peau du bonhomme, je n’aurais pas envie de biaiser bien que je sois spécialiste. Il me regarde avec une candeur éplorée.

— Je vous assure, monsieur le commissaire, qu’il n’y avait personne. Je somnolais. J’entendais la télévision… Non, personne, je puis le jurer !

— J’espère que vous dites la vérité. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un meurtre.

Je le quitte pour rejoindre les gars de l’Identité judiciaire qui viennent d’investir la cabane. Je leur recommande de soigner particulièrement les empreintes avoisinant le poste de télé et je me carapate, flanqué du Révérend. Je n’aime pas enquêter en présence de mes collègues. Ces trucs-là, c’est comme l’amour ça se fait seul ou entre amis.

CHAPITRE III

Le lendemain, après une nuit de sommeil signée Super-Simmons-Elastix, je rallie mon burlingue, fringué up-to-date. Il fait un temps à mettre Bérurier dehors. Les oiseaux pépient, les souris m’épient et le moteur de ma MG. tourne rond. Je me dis néanmoins qu’un de ces quatre après-midi je casserai ma tirelire pour m’acheter une Jaguar. Toujours plus vite ! C’était la devise d’une gente amie et je l’ai faite mienne (la devise et le gente amie).

Magnin m’attend dans mon bureau en lisant le baveux et en mangeant un croissant. L’un et l’autre sont frais.

— Dites, monsieur le commissaire, murmure le Rouquinos, votre affaire se développe, on dirait.

Il me désigne la une de son canard. Sur deux cols, on voit la propriété vaucressonnaise de Fouassa avec, en médaillon, la terrine de la mère Renard. Le cliché a été tiré voici une dizaine d’années car là-dessus, la dame de compagnie (qui nous a faussé compagnie de si cruelle manière), a moins de bajoues, moins de moustache, et l’air béat d’un boa sous un baobab.

— C’est inouï, non ? je fais, manière de dire quelque chose qui me permette de me manifester sans pour autant engager ma responsabilité. Alors, enchaîné-je, vous avez trouvé quelque chose, vieux ?

— Ce sera à vous de décider, monsieur le commissaire, rétorque mystérieusement le cher Magnin.

Il sort d’une enveloppe les sept billets de dix mille balles que je lui ai soumis.

— De votre réponse dépend l’importance de mon observation, monsieur le commissaire. Lorsqu’on vous a remis ces billets, étaient-ils épinglés ?

— Non, dis-je. Ils se trouvaient dans une enveloppe.

— Et on les a prélevés, dites-vous, dans des envois différents ?

— C’est ce qu’a prétendu Pinuche.

Magnin se penche sur mon bureau. Sa tignasse rousse ressemble à un projecteur.

Il étale les billets comme on étale les cartes d’un jeu.

— Sur ces sept billets, trois ne comportent qu’une seule trace d’agrafage par épingle, vous voyez ?

Avec la pointe de mon coupe-papier il me désigne les deux minuscules trous résultant du passage de l’épingle.

— Et alors ? fais-je sans comprendre.

— J’ai examiné les billets au microscope : les deux perforations de ces trois billets ont été faites par la même épingle, ce qui signifie qu’ils ont été épinglés ensemble et en même temps, comprenez-vous ? Par conséquent, ils faisaient partie d’une même liasse.

J’émets un sifflement appréciateur.

— Et ce n’est pas tout, poursuit Magnin. Parmi les quatre billets restants qui eux ont de nombreuses piqûres d’épingles, on retrouve sur deux d’entre eux la même perforation que sur les trois premiers.

Il me désigne les trous mis en cause.

— Ceux-ci. Je puis vous montrer au microscope les lèvres de ces orifices : elles concordent.

— Je vous crois, vieux, je vous crois.

Le cher San-A. se masse le menton en un geste dubitatif (mis au point par Jacques Duby et Jacques Tati, d’où le mot dubitatif).

— Ainsi le vieux Fouassa aurait menti en affirmant avoir prélevé chacun de ces billets dans les sept envois espacés ?

— On peut le supposer.

Sans un mot, je décroche mon bigophone à sonnette et j’appelle Pinaud. C’est le vieux paillasson en personne qui me répond. Il m’annonce qu’il vient de boire son premier muscadet de la journée et me demande quel temps il fait à Saint-Cloud. Comme le respectable habite Vincennes, on peut mesurer par là son goût de la précision.

— Dis voir, Trésor chéri, est-ce toi qui as prélevé les billets échantillons dans des liasses ?

— Non, je les ai demandés à M. Fouassa et c’est lui qui me les a apportés.

— Étaient-ils épinglés ensemble ?

— Non, ils se trouvaient dans l’enveloppe que tu as z’eue z’entre les mains.

J’ai alors la réflexion du siècle :

— En somme, mon Pinaud occulte, ces quatorze millions, tu ne les as jamais vus ?

Silence du rachitique qui mesure toute la profondeur de la remarque et qui en chope le vertigo.

— C’est vrai, fait-il au bout d’un moment d’intense abrutissement. C’est vrai ce que tu causes : après tout, je ne les ai jamais vus ! Il m’a montré les papiers, des billets, mais l’ensemble, pas !

— Et ça n’est pas maintenant que tu risques de les contempler, chère vieille guenille dédaignée, puisqu’on les a volés. Passe me voir dans la matinée, qu’on discute…

Je raccroche au moment où il me raconte les plaies variqueuses du cordonnier d’à côté.

Le bigophone, c’est traître. Lorsque vous commencez à vous en servir, le voilà qui se met à déconner. À peine ai-je posé l’écouteur que le mien se met à jouer Décroche-moi, chéri, je ne puis vivre loin de ton oreille. Je souscris à cet appel. Et une voix auvergnate m’informe qu’elle est celle du café-charbon d’en bas.

Je demande d’en bas de quoi, car il n’existe encore pas de café-charbon en bas de la Grande Taule. Et la voix, de plus en plus auvergnate, m’informe qu’elle est située au bas de l’appartement de Bérurier. Elle ajoute que l’inspecteur Principal Béru voudrait me voir d’urgence à propos du crime de cette nuit. Mon étonnement pourrait être turc car il va croissant. Il pourrait à la rigueur être corbeau car il va aussi croassant, et peut-être même grenouille car, sans en avoir l’« r » il va coassant. Que peut avoir à déclarer Sa Majesté Lagonfle à propos de l’affaire Renard ? Je décide que la meilleure manière d’étancher ma curiosité c’est d’aller trouver le Gravos. Je remercie Magnin pour ses bons offices et lui conseille de faire comme le nègre, c’est-à-dire de continuer. Il m’assure qu’il va se consacrer maintenant aux papiers d’emballage.