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— Vous avez eu tort de faire cela, Alexandre Ivanovitch, dit une agréable voix d’homme.

— De quoi faire ? demandai-je en me retournant vers le miroir.

— Je veux parler de l’oumklaïdet.

Ce n’était pas le miroir qui parlait.

— Je ne comprends pas, dis-je. Il n’y avait personne dans la pièce, l’irritation me gagnait.

— Je veux parler de l’oumklaïdet, prononça la voix. Vous avez eu grand tort de le couvrir d’un ustensile de fer. Un oumklaïdet, ou baguette magique, comme vous dites, exige les plus grandes précautions.

— C’est bien pour ça que je l’ai recouvert … Mais entrez donc, camarade, c’est très gênant de bavarder dans ces conditions.

— Je vous remercie, émit la voix.

Je vis peu à peu se matérialiser devant moi un homme pâle et fort distingué, vêtu d’un costume gris impeccablement coupé. Penchant légèrement la tête, il me dit avec une exquise courtoisie.

— Oserai-je espérer que je ne vous ai pas trop dérangé ?

— Absolument pas, protestai-je en me levant. Je vous en prie, asseyez-vous et faites comme chez vous. Voulez-vous une tasse de thé ?

— Je vous remercie, dit l’inconnu. Il prit place en face de moi, tirant d’un geste élégant sur le pli de son pantalon. En ce qui concerne le thé, je vous prie de m’excuser, Alexandre Ivanovitch, mais je sors de table.

Il souriait aimablement en me regardant dans les yeux. Je souris aussi.

— C’est au sujet du divan ? demandai-je. Hélas ! il n’est plus là. Je regrette énormément, je ne sais vraiment pas …

L’inconnu tapa dans ses mains.

— Sottises ! s’écria-t-il. Que de bruit pour, passez-moi l’expression, une idiotie, à laquelle d’ailleurs personne ne croit vraiment … Jugez-en vous-même, Alexandre Ivanovitch, semer la zizanie, provoquer de rocambolesques poursuites, déranger les gens pour un mythe, oui, je ne crains pas le mot, pour le mythe de la Théorie Blanche. Tout homme de bon sens sait que le divan est un translator universel, un peu encombrant certes, mais solide et résistant. Les vieux ignorants qui dissertent sur la Théorie Blanche n’en sont que plus grotesques … Non, je ne veux même pas parler de ce divan.

— Comme il vous plaira, dis-je en mettant dans cette phrase tout mon savoir-vivre mondain. Parlons d’autre chose.

— Superstitions … Préjugés …, murmura l’inconnu, l’esprit ailleurs. Paresse d’esprit et envie, basse envie couverte de poils … Pardonnez-moi, Alexandre Ivanovitch, mais j’aurai tout de même l’audace de vous demander la permission d’ôter ce broc. Malheureusement, le fer est un très mauvais conducteur d’hyperchamp, or une intensité croissante dans un petit volume …

Je levai les bras.

— Pour l’amour du ciel, tout ce qu’il vous plaira ! Enlevez le broc … Enlevez même ce … heu … heu … cette baguette magique. Je m’interrompis, constatant avec étonnement que le broc n’était plus là. Le tube émergeait d’une flaque de liquide, semblable à du mercure, qui s’évaporait très vite.

— Je vous assure qu’il en sera mieux ainsi, dit l’inconnu. En ce qui concerne votre aimable proposition de prendre l’oumklaïdet, je ne peux malheureusement pas la mettre à profit. C’est une question de morale, une question d’honneur, si l’on veut … Les conventions sont si fortes ! Je me permettrai de vous conseiller de ne plus toucher à l’objet. Je vois que vous vous êtes fait mal, et ce condor … Je pense que vous sentez … heu … un certain parfum …

— Oui, opinai-je avec vigueur. C’est une puanteur. On se croirait dans une ménagerie.

Nous regardâmes le condor qui sommeillait, les plumes hérissées.

— L’art de manier un oumklaïdet, déclara l’inconnu, est un art délicat et subtil. Vous ne devez en aucun cas vous désoler ou vous faire des reproches. Les cours de conduite durent huit semestres et exigent une connaissance approfondie de l’alchimie quantique. Comme programmeur, vous n’auriez pas de peine à assimiler l’oumklaïdet électronique, le UEU-17 … Mais l’oumklaïdet quantique … les hyperchamps … les incarnations translatrices … les généralisations de la loi de Lomonossov-Lavoisier … — Il écarta les bras d’un air gêné.

— Mais bien entendu ! protestai-je. Je ne prétends pas … Évidemment je ne suis absolument pas préparé.

Je me rendis compte que je ne lui avais pas proposé de fumer et lui tendis mon paquet …

— Je vous remercie, dit-il. Je n’en use pas à mon grand regret.

Alors, remuant les doigts de politesse, je m’informai :

— Me sera-t-il permis d’apprendre à quoi je dois l’agrément de votre visite ?

L’inconnu baissa les yeux.

— Je crains de paraître indiscret, mais hélas ; je dois vous avouer que je me trouve ici depuis assez longtemps. Je ne voudrais pas donner de noms, mais je crois que même vous, Alexandre Ivanovitch, aussi éloigné que vous soyez de tout cela, comprenez qu’autour de ce divan une agitation malsaine s’est créée, qu’un scandale se prépare, que l’atmosphère se tend, que la tension croît. Dans ces circonstances, des erreurs sont inévitables, des incidents fort regrettables peuvent se produire. Nous n’avons pas à chercher bien loin des exemples … Quelqu’un, je répète que je ne voudrais pas donner de noms, d’autant plus que c’est un collaborateur tout à fait digne d’estime, quand je parle d’estime, je ne pense pas aux manières, mais au talent, au dévouement, donc, quelqu’un, dans sa hâte, dans sa précipitation, perd l’oumklaïdet qui devient le centre d’événements dans lesquels se trouve entraînée une personne absolument étrangère à ceux-ci. Il s’inclina de mon côté. Dans ce cas, une action capable de neutraliser les influences nocives est indispensable … Il regarda d’un air significatif les traces de semelles au plafond. Puis il me sourit. Mais je ne voudrais pas me faire passer pour un pur altruiste. Bien sûr, tous ces événements m’intéressent beaucoup comme spécialiste et comme administrateur. D’ailleurs, je n’ai pas l’intention de vous importuner davantage et puisque vous m’avez donné l’assurance que vous ne ferez plus d’expériences avec l’oumklaïdet, je vais vous demander la permission de me retirer.

Il se leva.

— Voyons ! m’écriai-je. Ne partez pas ! J’ai tellement de plaisir à bavarder avec vous, j’avais mille questions à vous poser !

— J’apprécie énormément votre courtoisie, Alexandre Ivanovitch, mais vous êtes fatigué, il faut vous reposer.

— Pas du tout ! Au contraire !

— Alexandre Ivanovitch, articula l’inconnu avec un sourire aimable tout en me fixant du regard. Vous êtes vraiment fatigué. Et vous voulez vraiment vous reposer.

Je sentis alors que je m’endormais, que mes yeux se fermaient. Je n’avais plus envie de bavarder, je tombais de sommeil.

— J’ai été infiniment heureux de faire votre connaissance, dit l’inconnu.

Je le vis qui pâlissait de plus en plus et se dissolvait lentement dans les airs, ne laissant derrière lui qu’un parfum d’eau de Cologne coûteuse. J’installai le matelas par terre, mis la tête sur l’oreiller et m’endormis instantanément.

Je fus réveillé par un battement d’ailes et des cris désagréables. La pièce baignait dans une étrange pénombre bleutée. Je m’assis. Au milieu de la chambre, un grand gaillard en pantalon de gymnastique et polo planait au-dessus du cylindre et effectuait des passes avec ses énormes mains.

— Qu’est-ce que c’est ? demandai-je.

Le grand type me jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, puis se détourna.

— Je n’ai pas entendu de réponse, dis-je d’un ton rogue. J’avais toujours aussi sommeil.