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Je m’exécutai. Après les avoir soigneusement examinés il me les rendit en disant :

— Tout est en règle. Je me demandais si ce n’était pas votre double. Bien. Donc, à quinze heures juste, conformément à la législation du travail, tout le monde doit s’en aller et remettre les clefs des locaux. Après quoi, vous inspecterez personnellement les lieux. Par la suite, toutes les trois heures, vous devrez effectuer une ronde du côté de l’objet susceptible de combustion spontanée. Faites au moins deux rondes dans le vivarium. Si le gardien est en train de boire du thé, mettez-y bonne fin. Il est parvenu à mes oreilles que ce n’est pas du thé qu’il boit. Vous prendrez votre poste dans le bureau du directeur. Vous pouvez vous reposer sur le divan. Demain, à seize heures zéro minutes vous serez remplacé par Potchkine Vladimir du laboratoire du camarade Oïra-Oira. C’est clair ?

— Tout à fait clair.

— Moi-même, je vous téléphonerai cette nuit et demain matin. Un contrôle est possible du côté du chef du personnel.

— J’ai compris, affirmai-je en prenant la liste pour l’examiner.

Le premier de la liste était le directeur de l’institut, Janus Polyeuctovich Nevstrouev. Une note au crayon spécifiait : « deux exemp. » Le deuxième était Modeste Matvéievitch, le troisième, le chef du personnel, le citoyen Diomine Cerbère Psoievitch. Puis venaient des noms que je ne connaissais absolument pas.

— Des difficultés ? s’informa Modeste Matvéievitch qui m’observait.

— Ici, dis-je en pointant mon index sur un endroit de la liste, je vois des noms … au nombre de vingt et un … que j’ignore. J’aimerais bien les ventiler avec vous. Je le regardai droit dans les yeux et ajoutai : Pour éviter des erreurs.

Modeste Matvéievitch prit la feuille et l’examina à bout de bras.

— Tout est exact. C’est simplement vous, Privalov, qui n’êtes pas au courant. Les personnes qui figurent entre le numéro quatre et le numéro vingt-cinq inclus sont admises au travail de nuit à titre posthume. En raison de leurs mérites passés. C’est clair maintenant ?

J’étais légèrement ahuri, j’avais tout de même du mal à me faire à tout cela.

— Prenez votre poste, dit majestueusement Modeste Matvéievitch. En mon nom et au nom de l’administration, je vous adresse mes vœux de bonne et heureuse année, camarade Privalov, et vous souhaite beaucoup de succès dans votre travail et dans votre vie privée respectivement.

Je lui souhaitai, moi aussi, des succès respectifs et sortis.

La veille, en apprenant que je serais de garde, je m’étais réjoui car j’avais l’intention de terminer des calculs pour Roman Oïra-Oïra. Maintenant, je sentais que les choses n’étaient pas aussi simples. La perspective de passer la nuit à l’institut m’apparaissait sous un autre angle. Il m’était déjà arrivé de m’attarder au bureau alors que, pour raison d’économie, quatre lampes sur cinq étaient déjà éteintes dans les corridors. Les premiers temps, quand je devais gagner la sortie au milieu d’ombres velues qui s’écartaient sur mon passage, j’étais très impressionné. Puis je m’y étais fait. Mais un jour, j’entendis dans le grand corridor un tapotement régulier de griffes sur le dallage et vis, en me retournant, une espèce de bête phosphorescente, lancée visiblement à mes trousses. Quand on vint me déloger de la corniche où je m’étais réfugié, je constatai que c’était un chien du type courant, le chien d’un des chercheurs de l’institut. Ce dernier vint me faire ses excuses. Oïra-Oïra me fit un exposé ironique sur la nocivité des superstitions, mais tout de même, il m’était resté quelque chose.

Devant la porte du bureau directorial, je rencontrai le sombre Vitia Kornéev. Il me fit un signe de tête sans manifester l’intention de me parler, mais je l’attrapai par la manche.

— Quoi ? dit-il brutalement.

— Je suis de garde aujourd’hui.

— Pauvre type.

— Tu es vraiment désagréable, Je ne t’adresserai plus la parole.

Vitia tira sur le col de son pull et me regarda avec intérêt.

— Et que feras-tu ?

— Tu verras, dis-je un peu décontenancé.

Vitia s’anima soudainement.

— Attends, me fit-il, c’est la première fois que tu es de garde ?

— Oui.

— Ah … Et quel est ton plan d’action ?

— J’agirai selon les instructions. Quand j’aurai conjuré les démons, j’irai dormir. Et toi, qu’est-ce que tu fais ?

— Il y a une petite soirée, dit Vitia, très vague. — Chez Vérotchka … Qu’est-ce que c’est que ça ? — Il prit la liste. — Ah ! les âmes mortes …

— Je ne laisserai entrer personne, ni les vivantes ni les mortes.

— Tu as raison. Archi-raison. Mais tout de même, jette un coup d’œil de temps en temps à mon laboratoire. J’ai un double qui y travaille.

— Quel double ?

— Le mien naturellement. Qui me prêterait le sien ? Je l’ai enfermé, tiens, prends les clefs puisque tu es de garde.

— Écoute, Vitia, je veux bien qu’il travaille jusqu’à dix heures, mais après je coupe le courant. Conformément à la législation.

— D’accord, on verra bien. Tu n’as pas vu Edik ?

— Non, Et pas d’entourloupettes. A dix heures, je coupe le courant partout.

— Je n’ai rien contre. Coupe, coupe. Dans toute la ville si tu veux.

La porte du bureau s’ouvrit et Janus Polyeuctovitch parut.

— Bien, dit-il en nous apercevant.

Je m’inclinai respectueusement. A l’expression de mon directeur, je compris qu’il avait oublié mon nom.

— Tenez, dit-il en me tendant les clefs. Vous êtes de garde, si je ne me trompe ? A propos … — il hésita — Ce n’est pas à vous que j’ai parlé, hier ?

— Oui, vous êtes venu dans la salle d’électronique.

Il hocha la tête.

— Oui, oui, c’est vrai … Nous avons parlé des stagiaires …

— Non, répliquai-je poliment, pas exactement. Nous avons parlé de la lettre au bureau des fournitures.

— Ah ! oui, dit-il. Bien, je vous souhaite un tour de garde tranquille … Victor Pavlovitch, pourriez-vous m’accorder une minute ?

Il prit Vitia par le bras et l’entraîna dans le corridor. J’entrai dans le bureau. Le deuxième Janus Polyeuctovitch était en train de fermer des placards. Me voyant, il dit : « Bien », et continua à tourner ses clefs. C’était A-Janus, j’avais appris à les distinguer. A-Janus avait l’air plus jeune, il était peu aimable, correct et taciturne. On disait qu’il travaillait beaucoup et les gens qui le connaissaient depuis longtemps affirmaient que cet administrateur médiocre se transformait peu à peu en un savant de grande classe. U-Janus au contraire, était toujours affable et avait la bizarre habitude de demander : « Je ne vous ai pas parlé hier ? » On disait qu’il avait beaucoup baissé depuis quelque temps, bien qu’il fût resté un spécialiste de réputation mondiale. Et pourtant A-Janus et U-Janus étaient une seule et même personne. Ça, je n’arrivais pas à me le mettre dans la tête. Il y avait là quelque chose d’artificiel.