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– Oui, c'est rassurant. »

Les moutons lui semblaient déferler comme un fleuve sans fin.

« Nous les élevons pour les peaux et les toisons. Nous mangeons la viande, qui ne se conserve pas. Tu seras vite las du mouton. Les brebis ont commencé à mettre bas, il faut les aider jour et nuit. Certains agneaux doivent être tués entre le troisième et le dixième jour, quand la peau est la plus belle. »

Elle le laissa près de Craig. Au milieu de la matinée, les bergers l'avaient déjà accepté, le voyant calme devant les naissances difficiles et habile à aiguiser et manier les couteaux. Il fut consterné de les voir châtrer les agneaux mâles en arrachant d'un coup de dents les testicules qu'ils jetaient dans un seau. Craig lui sourit, la bouche sanglante.

« On peut pas avoir que des béliers, tu vois.

– Mais pourquoi ne prends-tu pas un couteau ?

– On a toujours fait comme ça. C'est plus vite fini et moins douloureux pour la bête. »

Ils reconnurent ensuite que le scalpel d'acier spécial de Rob était très efficace aussi, mais il ne leur parla pas de son expérience avec les futurs eunuques. Ces bergers étaient des hommes indépendants et compétents. Dans une pièce qui puait le mouton et le sang, on avait écorché des peaux toute la journée. Après le maristan et l'expédition indienne, Rob n'était pas dépaysé. Mary semblait fatiguée.

« Il te faudra un berger de moins, maintenant que je suis là.

– Tu es fou ! »

Le prenant par la main, elle le mena à un autre bâtiment de pierre. A l'intérieur, trois pièces blanchies à la chaux : un bureau, une salle d'examen comme à Ispahan et une troisième avec des bancs de bois pour faire attendre les patients.

Il fit peu à peu connaissance avec les gens. Un musicien nommé Ostric s'était ouvert une artère en écorchant un agneau. Rob arrêta le sang, ferma la plaie et rassura l'homme qui craignait de ne plus pouvoir jouer de sa cornemuse. Plus tard, il rencontra le père de Craig, dont il examina les doigts déformés, gonflés et les ongles étrangement incurvés.

« Tu souffres depuis longtemps d'une mauvaise toux, et de fièvres fréquentes ? demanda-t-il au vieillard.

– Qui te l'a dit ? » dit Malcolm Cullen, surpris.

Ce symptôme qu'Ibn Sina avait appelé les « doigts d'Hippocrate » indiquait toujours une maladie des poumons.

« Je le vois dans tes mains. Tes orteils sont atteints aussi, n'est-ce pas ? »

En posant l'oreille contre sa poitrine, il entendit comme un crépitement de vinaigre qui bout.

« Tu es plein de liquide. Viens au dispensaire, je percerai un petit trou entre deux côtes et je retirerai l'eau peu à peu. En attendant, je vais analyser ton urine et te donner des fumigations et un régime pour assécher ton corps. »

« As-tu ensorcelé le vieux Malcolm ? lui dit Mary le soir. Il raconte à tout le monde que tu guéris par ta magie. »

Pendant les jours suivants, il ne vit personne et s'inquiéta. Mais c'était le temps de l'agnelage. Les clients revinrent dix jours plus tard. On savait maintenant par-delà les collines que l'époux de Mary Cullen était un vrai médecin. Il n'y en avait jamais eu à Kilmarnock et Rob devrait lutter des années contre les idées fausses et les remèdes de bonne femme. On lui demandait aussi de soigner les animaux. Il disséqua une vache et quelques moutons, pour y voir plus clair. Ils étaient différents du porc et de l'homme.

Dans la chambre où ils consacraient leurs nuits à engendrer un nouvel enfant, il voulut la remercier pour ce dispensaire qu'elle avait entrepris dès son retour à Kilmarnock.

« Mais, dit-elle en se penchant sur lui, combien de temps t'aurais-je gardé sans ton travail, hakim ? »

Il n'y avait aucun reproche dans ses paroles, et elle s'empressa de lui fermer la bouche d'un baiser.

80. UNE PROMESSE TENUE

 

ROB emmenait ses enfants dans la forêt et les collines à la recherche des plantes dont il avait besoin, qu'il faisait sécher ou réduisait en poudre. Il leur expliquait tout, en montrant chaque feuille et chaque fleur ; il leur parlait des herbes, celles qu'on utilise pour les maux de tête, la crampe, la fièvre ou le catarrhe, pour le saignement de nez, les engelures, l'amygdalite purulente ou les douleurs osseuses.

Craig Cullen, qui fabriquait des cuillers en bois, mit tout son art à façonner des boîtes couvertes pour y conserver les plantes. Elles étaient, comme ses cuillers, ornées de nymphes, d'elfes et d'autres créatures sauvages, ce qui donna à Rob l'idée de dessiner quelques-unes des pièces du jeu du chah.

« Pourrais-tu faire quelque chose comme ça ?

– Pourquoi pas ? » répondit Craig intrigué.

Il sculpta chaque pièce et fit l'échiquier d'après les dessins, si bien que Rob et Mary purent à nouveau passer des heures au jeu enseigné par le roi mort. Comme il voulait apprendre le gaélique, elle lui enseigna d'abord les dix-huit lettres de l'alphabet. Grâce à son expérience des langues, il sut, dès le début de l'hiver, écrire de courtes phrases en erse, essayant aussi de parler, ce qui amusa beaucoup les bergers et les enfants.

L'hiver fut rude, surtout vers la Chandeleur. Puis on chassa, en repérant les traces dans la neige, le gibier à plume, les chats sauvages et les loups qui décimaient les troupeaux. Le soir, on veillait devant le feu dans la grande salle, chacun occupé à de petits travaux, et Ostric parfois jouait de la cornemuse. On fabriquait à Kilmarnock un célèbre tissu de laine, teint aux couleurs de la bruyère avec des lichens de rochers. Pour éviter qu'elle ne rétrécisse par la suite, l'étoffe, mouillée d'eau savonneuse, était foulée et frottée par les femmes, qui se la passaient tout autour de la table.

La chapelle la plus proche étant à trois heures de cheval, Rob espérait éviter les prêtres, mais, un matin de son second printemps en Ecosse, il vit arriver un petit homme tout rond au sourire las.

« C'est le père Domhnall ! » s'écria Mary, courant à sa rencontre.

Entouré, chaleureusement accueilli, il passa un moment près de chacun, posant des questions avec un sourire, une tape amicale, un mot d'encouragement. Le bon seigneur et ses manants, se dit Rob agacé.

« Ainsi, tu es l'époux de Mary Cullen ? Es-tu pêcheur ?

– Je pêche la truite, dit Rob déconcerté.

– Je l'aurais parié. Je t'emmène pêcher le saumon demain matin. »

Dès l'aube, ils gagnèrent une petite rivière au cours rapide. Domhnall avait apporté deux pieux massifs, une ligne solide et de longs appâts empennés qui dissimulaient de traîtres crochets.

« Comme des hommes que je connais », dit Rob, et le prêtre hocha la tête avec un regard surpris.

Il lui montra comment lancer l'appât et le ramener en arrière, par à-coups, comme pour ferrer un petit poisson. Ils le firent plusieurs fois sans résultat et Rob était perdu dans le flot rapide quand un saumon l'éclaboussa en attrapant l'appât qu'il emporta pour remonter aussitôt le courant.

– Suis-le, cria Domhnall, sinon il va briser la ligne ou arracher l'hameçon ! »

Rob pataugeait comme il pouvait dans l'eau glaciale, suivant le lit pierreux ou enfonçant quand il se creusait. Le lourd poisson l'entraînait à toute vitesse, il changea plusieurs fois de direction et dériva enfin en se débattant. Avec une dernière convulsion, il libéra l'hameçon, resta un moment immobile, puis, perdant un flot de sang, il disparut dans l'eau profonde. Le saumon était mourant, mais tout était gâché.

Instinctivement, Rob descendit la rivière et, après quelques pas, se précipita vers une tache argentée qui lui échappa deux fois avant de s'arrêter contre un rocher. Affrontant le froid paralysant de l'eau, il ramena à deux mains le poisson sur la rive et l'acheva d'un coup de pierre. Il pesait plus de vingt livres.

Domhnall revenait avec sa prise, qui semblait loin d'être aussi lourde.

« Ton poisson suffira à nous nourrir tous, eh ? » dit-il en reportant son saumon dans la rivière.