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« Prenez celui que vous voudrez, dit le fermier, je vais être obligé de les noyer presque tous, car ils coûteraient trop à nourrir. »

Rob s'amusa à balancer un bout de corde devant leurs museaux et tous répondirent au jeu, sauf une petite chatte blanche qui faisait la dédaigneuse.

« Tu ne veux pas de moi, hein ? »

C’était la plus belle, mais quand il voulut la prendre, elle le griffa. Ce qui le décida à la choisir. Il lui parla doucement à l'oreille et fut heureux qu'elle se laisse enfin caresser.

Le lendemain matin, il la nourrit de pain trempé dans du lait et, au fond de ses yeux verts, il reconnut une féline impertinence qui le fit sourire.

« Je t'appellerai Mme Buffington, en souvenir... »

Arrivé à Tettenhall dans la matinée, il aperçut un homme debout près d'une femme allongée sur la route.

« Qu'est-ce qu'elle a ? » demanda-t-il en retenant Cheval.

La femme respirait, rougissant sous l'effort ; elle ni un ventre énorme.

« C'est son heure dit l'homme. On était à cueillir pommes quand les douleurs l'ont prise ; elle n'a pu rentrer à la maison. Il n'y a pas de sage-femme ici, elle est morte ce printemps. J'ai envoyé chercher le mire quand j'ai vu qu'elle allait mal.

– Bon », dit Rob, reprenant les rênes. C'était le genre de situation que le Barbier lui avait appris à éviter : s'il réussissait, il serait mal payé, sinon, on le tiendrait pour responsable.

« Ça fait déjà longtemps et il est toujours pas là, reprit l'homme avec amertume. C'est un docte juif. »

Les yeux de la femme roulaient dans leurs orbites : elle était saisie de convulsions. Peut-être le médecin ne viendrait-il jamais ? Vaincu par toute cette misère, et par des souvenirs qu'il aura préféré oublier, Rob descendit de la charrette en soupirant. Il s'agenouilla et prit les mains de paysanne, qui était sale et semblait épuisée.

« Quand a-t-elle senti bouger l'enfant pour dernière fois ?

– Il y a des semaines... Depuis quinze jours, elle se plaignait, comme si on l'avait empoisonnée. C'est sa quatrième grossesse : on a deux garçons, mais les deux autres étaient morts-nés. »

Celui-ci aussi, sans doute. Posant doucement sur main sur le ventre gonflé, Rob regretta de n'être pas parti, mais il revit le pâle visage de Mam, couchée dans le fumier de l'écurie, et comprit, non sans malaise, que la femme mourrait s'il n'agissait pas. Dans le fouillis du Barbier, il retrouva le spéculum de métal poli et, les convulsions apaisées, il dilata l'utérus comme son maître lui avait appris à le faire. La masse qui se trouvait à l'intérieur glissa dehors : c'était une forme en putréfaction.

Ses mains commandant sa tête, Rob retira le placenta, nettoya et lava la femme, sans même avoir conscience que le mari s'était éclipsé. En relevant la tête, il fut surpris de voir le médecin.

« Je vous laisse la place, dit-il, soulagé, car la malade saignait encore.

– Rien ne presse », répondit le docteur ; mais il entreprit un examen si long et si minutieux qu'à l’évidence, il ne lui faisait pas confiance. Enfin, il satisfait.

« Posez votre paume sur l'abdomen et frottez ainsi, fermement. »

Rob surpris massa le ventre vide et s'aperçut que, peu à peu, le col de l'utérus large et spongieux redevenait une petite boule dure, tandis que saignement s'arrêtait.

« Magie digne de Merlin et dont je me souviendrai, dit-il.

– Il n’y a pas de magie dans ce que nous faisons. Vous connaissez mon nom ?

Nous nous sommes rencontrés, il y a des années, à Leicester.

– Ah ! fit le médecin en regardant avec un sourire la charrette bariolée. Vous étiez apprenti, et le Barbier était ce gros homme qui crachait des rubans. »

Rob ne lui dit pas que le Barbier était mort et l’autre n'en demanda pas davantage. Ils s'observaient. Le visage de faucon, entre la chevelure et la barbe blanches, avait perdu sa maigreur d'autrefois.

« Le clerc à qui vous avez parlé ce jour-là, l’avez-vous opéré ? »

Merlin sembla perplexe puis son regard s’éclaira.

« Bien sûr ! Edgar Thorpe, du village de Lucteburne, dans le comté de Leicester. »

Rob avait oublié ce nom ; il se rendit compte que, à la différence de Merlin, il ne se souciait guère de ceux de ses patients.

– Oui, je l'ai guéri de sa cataracte.

– Et comment va-t-il ?

– Il vieillit, avec les petits ennuis et les maux de l’âge ; mais il voit clair de ses deux yeux. »

Le médecin examina le fœtus, enveloppé d'un chiffon, puis l'aspergea de l'eau d'une fiole.

« Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », dit-il vivement ; puis il referma le petit paquet qu'il donna au paysan. « L'enfant a été baptisé et peut être admis dans le royaume des cieux. Vous pouvez le dire au père Stigand ou à l'autre prêtre de la paroisse. »

L'homme sortit une bourse crasseuse.

« Combien je vous dois, maître médecin ? dit-il avec inquiétude.

– Ce que vous pouvez. » L'autre tendit un penny.

« C'était un garçon ?

– Impossible de le savoir », répondit le médecin avec douceur. » Il laissa tomber la pièce dans sa large poche et y chercha un demi-penny qu'il remit à Rob. Puis ils aidèrent le paysan à porter sa femme chez lui, ce qui valait bien le demi-penny ! Enfin libres, ils allèrent se laver du sang dans le ruisseau proche.

« Vous aviez déjà vu de ces accouchements ?

– Non.

– Comment saviez-vous ce qu'il fallait faire ?

– On me l'avait expliqué, dit Rob, haussant les épaules.

– Il y a des médecins nés. Des élus, fit Merlin en souriant. D'autres ont simplement de la chance.

– Si la mère était morte et le bébé vivant..., commença le jeune homme, que les questions du médecin mettaient mal à l'aise.

– La césarienne... Vous ne savez pas de quoi je parle ?

– Non.

– Il faut couper dans le ventre et l'utérus pour y prendre l'enfant.

– Ouvrir la mère ?

– Oui.

– Vous l'avez déjà fait ?

– Plusieurs fois. Quand j'étais étudiant en médecine, j'ai vu un de mes professeurs ouvrir une femme vivante pour délivrer l'enfant. »

« Menteur ! » se dit Rob, honteux de l'avoir écouté avec tant d'intérêt. Il se rappelait ce que le barbier lui avait raconté sur cet homme et sa race.

– Et la femme

– Elle est morte, c'était inévitable. Mais on m'a parlé de cas où l'on avait réussi à sauver la mère et l’enfant. »

Rob voulait partir avant que le médecin à l'accent français ne le prenne pour un imbécile, mais il ne put s'empêcher de demander :

« Où faut-il inciser ? »

Dans la poussière du chemin, Merlin dessina un torse, et y marqua deux incisions, l'une, longue et rectiligne sur la gauche, l'autre plus haut, au milieu du ventre.

« L'une ou l'autre », dit-il en jetant son bâton.

Rob acquiesça en silence, incapable de le remercier.

20. CHEZ MERLIN

 

ROB quitta immédiatement Tettenhall, mais quelque chose lui était arrivé et, tout en préparant une nouvelle cuvée de Spécifique, qu'il vendit à Ludlow avec autant de succès que d'habitude, il restait préoccupé, presque angoissé.

Tenir une âme humaine dans la paume de votre main, comme un galet. Sentir un être s'échapper et, par votre seule action, le ramener à la vie ! Un roi même n'a pas ce pouvoir.

Des élus, avait dit Merlin.

Pourrait-il apprendre davantage ? Jusqu'où ? Que serait-ce, se demandait-il, d'apprendre tout ce qui peut s'enseigner ? Pour la première fois de sa vie, il était sûr de son désir : devenir médecin. Pouvoir vaincre la mort ! Des idées nouvelles et bouleversantes qui tantôt l'enthousiasmaient, tantôt le mettaient au désespoir.