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Il s'éveilla au soleil, ses vêtements trempés de rosée et le corps mouillé des sueurs de la nuit. Après ce rêve de défaite, il n'était pas vaincu pour autant ; il n'abandonnait pas le combat. Les disparus ne reviennent pas, c'est la vie ; mais quelle meilleure raison de vivre que la lutte contre le Chevalier noir ? La médecine, à sa manière, pouvait remplacer une famille perdue.

Le problème semblait insoluble. Partout où il donnait son spectacle, il cherchait des médecins, s'entretenait avec eux et comprenait vite que tout leur savoir ne valait pas celui du Barbier. Après Northampton, Bedford, Hertford, il s'arrêta à Maldon : le médecin de la ville avait une telle réputation de boucher que les gens se signaient quand il demandait son adresse.

Alors il lui vint à l'esprit qu'un autre praticien juif accepterait peut-être ce que Merlin avait refusé. Il s'approcha d'un groupe d'ouvriers qui construisaient un mur sur la place.

« Connaissez-vous des Juifs ici ? » demanda-t-il au maître maçon.

Celui-ci le dévisagea, cracha et tourna les talons. Rob interrogea en vain plusieurs passants. Enfin, l'un d'eux l'examina avec curiosité.

« Pourquoi des Juifs ?

– Je cherche un médecin juif.

– Que le Christ soit avec vous, dit l'homme avec une bienveillante compréhension. Il y a des Juifs à Malmesbury et leur médecin s'appelle Adolescentoli. »

Il lui fallut cinq jours pour arriver, en faisant halte à Oxford et Alveston, où il donna des spectacles et vendit du Spécifique. Il croyait se rappeler que le Barbier lui avait parlé d'Adolescentoli comme d'un médecin célèbre, et c'est plein d'espoir qu'il entra dans le petit village sur lequel tombait la nuit. On lui servit à l'auberge un souper simple et réconfortant ; le Barbier aurait trouvé le mouton mal assaisonné mais il était largement servi. Après quoi, Rob put dormir sur un lit de paille fraîche dans un coin de la salle commune.

Le lendemain, il s'informa des Juifs de Malmesbury. L'aubergiste haussa les épaules comme s'il 'y avait rien à en dire.

« Cela m'intéresse, insista Rob, car jusqu'à ces temps derniers, je n'en connaissais aucun.

– C'est qu'ils sont rares dans notre pays ; le mari de ma sœur, qui est capitaine de navire et a beaucoup voyagé, dit qu'ils sont nombreux en France et qu'on en trouve partout dans le monde, surtout en allant vers l'est.

– Isaac Adolescentoli vit-il parmi eux, ici ?

– Ce sont eux, plutôt, qui vivent autour de lui et profitent de sa renommée.

– Il est donc célèbre ?

– C'est un grand médecin. Les gens viennent de in pour le consulter, dit l'homme fièrement, et ils logent dans mon auberge. Les prêtres le dénigrent, naturellement mais » – il mit un doigt devant sa bouche – « je sais que, deux fois au moins, on est allé le chercher en pleine nuit pour l'archevêque de Canterbury, qui a failli mourir l'an dernier. »

Ayant demandé le chemin de la colonie juive, Rob longea les murs gris de l'abbaye à travers les bois, les champs et une vigne où les moines récoltaient du raisin. Un taillis séparait le domaine abbatial d'une douzaine de maisons groupées ; des hommes, juifs sans doute, vêtus comme des corbeaux de caftans noirs et de chapeaux de cuir en forme de cloches, s'affairaient à construire une étable. Rob mena sa charrette dans une vaste cour pleine de chevaux et de voitures.

« Isaac Adolescentoli ? demanda-t-il à un des garçons qui s'occupaient des bêtes.

– Il est au dispensaire », répondit le gars en attrapant prestement la pièce que lui jetait le barbier pour être sûr que Cheval serait bien traitée.

Sur les bancs de la grande salle d'attente, toutes les misères humaines semblaient représentées. De temps en temps, par une petite porte qui donnait sur d'autres pièces, un homme venait chercher le premier patient et tout le monde avançait d'une place. Il y avait cinq médecins : quatre jeunes et un petit homme vif, d'âge moyen, qui devait être Adolescentoli. Rob attendit longtemps, en observant les malades pour s'exercer au diagnostic.

Son tour vint enfin.

« Je veux voir Isaac Adolescentoli, dit-il au jeune médecin qui s'adressait à lui avec l'accent français.

– Je suis un de ses élèves et je peux vous soigner.

– C'est pour une autre affaire que je dois rencontrer votre maître. »

Un peu plus tard, Adolescentoli vint le chercher. Dans un couloir, une porte était entrouverte sur une salle d'opération avec un lit, des seaux, des instruments. Ils entrèrent dans une petite pièce meublée d'une table et de deux chaises.

« Quel est votre problème ? »demanda le maître.

Il parut surpris d'entendre Rob parler non de symptômes, mais de son désir d'étudier ; son beau visage sombre n'eut pas un sourire. Peut-être l'entretien aurait-il tourné autrement si le jeune barbier l'avait mené avec plus de prudence. Mais il ne put s'empêcher de demander :

« Vivez-vous depuis longtemps en Angleterre ? Vous parlez si bien notre langue.

– Je suis né dans cette maison. En 70 avant

J.-C., Titus ramena de Jérusalem, après la destruction du Temple, cinq jeunes prisonniers juifs, qu'on appela les adolescentoli, ce qui veut dire " jeunes " en latin. Je suis le descendant de l'un d'eux ; engagé dans la deuxième légion, il débarqua dans cette île où vivaient de petits hommes noirs qui étaient les premiers Bretons. »

Rob parla de sa rencontre avec Merlin, ne mentionnant que ce qui touchait l'enseignement médical.

« Avez-vous aussi étudié avec le grand médecin d’Ispahan ?

– J'ai fréquenté l'université de Bagdad, qui est plus importante. Sauf que nous n'avions pas Avicenne, qu'ils appellent Ibn Sina. Mes élèves – trois de France et un de Salerne – m'ont préféré à Avicenne ou quelque autre Arabe. A défaut de la grande bibliothèque de Bagdad, je possède un ouvrage, Le Livre du médecin, où ils peuvent étudier tous les remèdes selon la méthode d’Alexandre de Tralles, et des écrits latins de Paul d'Egine et de Pline. Avant la fin de leur formation, tous sauront inciser une veine, une artère, poser cautère et opérer une cataracte. »

Rob fut saisi d'un désir irrésistible, comme celui qu'on peut avoir d'une femme.

« Je suis venu vous demander, dit-il, de me prendre comme apprenti.

– Je m'en doute bien, mais c'est impossible.

– Et je ne peux pas vous convaincre ?

– Non. Il faut trouver vous-même un médecin chrétien, ou rester barbier », répondit Adolescentoli sans rudesse mais avec fermeté.

Peut-être ses raisons étaient-elles les mêmes que celles de Merlin mais Rob n'en sut rien car ils en restèrent là. Le médecin se leva, le reconduisit à la porte et le regarda partir sans un mot.

Deux étapes plus loin, à Devizes, un jeune pêcheur de Bristol vint le consulter : il urinait du sang et avait beaucoup maigri.

– Je pense que vous avez une tumeur dans le corps, mais je n'en suis pas sûr, et je ne sais pas comment vous soigner ni soulager vos souffrances. »

Le Barbier lui aurait vendu bon nombre de flacons.

« Ce n'est que de l'alcool bon marché », ajouta-t-il sans savoir pourquoi. Il n'avait dit cela à aucun patient.

Le jeune homme le remercia et s'en fut. Adolescentoli ou Merlin auraient su quoi faire, eux ! songea Rob avec amertume. Les lâches ! Ils refusaient de l'instruire. Et le Chevalier noir ricanait.

Ce soir-là, le 2 septembre, surpris par un violent orage, il entra se réfugier à l'auberge et attacha Cheval dans la cour, à l'abri d'un grand chêne. La salle était si pleine qu'il ne restait même plus de place sur le sol. Assis dans un coin sombre, un homme épuisé serrait contre lui un gros ballot comme ceux des marchands. Si Rob n'était pas allé à Malmesbury, il ne l'aurait pas remarqué, mais au caftan noir et au chapeau de cuir, il reconnut un Juif.