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– J'en ai lu douze volumes et les autres suivront bientôt... Est-ce si mal que j'aie trouvé une femme à aimer ?

– Comment as-tu osé épouser une Autre ?

– Mirdin, elle est merveilleuse.

– " Les lèvres de l'étrangère sont un rayon de miel et sa bouche est plus douce que l'huile.  " C'est une goy, Jesse ! Nous sommes un peuple dispersé qui lutte pour sa survie. Chaque fois que l'un d'entre nous se marie hors de notre foi, c'est la fin d'une de nos lignées. Si tu ne comprends pas ça, tu n'es pas l'homme que je croyais et je ne peux pas rester ton ami. »

Rob s'était trompé : les gens du quartier juif comptaient pour lui car ils l'avaient librement accepté, et cet homme plus que tout, qui avait donné son amitié. Il se sentit obligé de parler, sûr d'avoir bien placé sa confiance.

« Je ne suis pas celui que tu croyais, et je ne me suis pas marié hors de ma foi.

– Mais elle est chrétienne !

– Oui.

– Est-ce une plaisanterie stupide ? » s'écria Mirdin en pâlissant, et devant le silence de Rob, il bondit, son livre à la main.

« Mécréant ! Si c'est vrai – si tu n'es pas fou –, tu risques ta tête mais aussi la mienne. Tu verras dans le Fiqh qu'en me le disant, tu me rends complice de ta fraude, à moins que je te dénonce. Fils du diable, tu mets les miens en danger et je maudis le jour où je t'ai rencontré ! »

Il cracha et tourna les talons.

Les jours passèrent sans que les hommes du kelonter se manifestent : Mirdin n'avait pas parlé. Au maristan, le mariage de Rob avec une chrétienne parut une excentricité de plus du Juif étranger, après le carcan et le calaat. Et puis, dans la société musulmane, où chacun pouvait avoir quatre femmes, un mariage n'avait rien d'exceptionnel.

Mais la perte de son ami l'affectait profondément. Quant à Karim, dont le nom était sur toutes les lèvres depuis le chatir, il le voyait à peine car le vainqueur passait ses jours et ses nuits aux fêtes de la cour. Ainsi Rob et sa femme vivaient une solitude à deux dont ils s'accommodaient fort bien. Mary avait rendu la maison intime et confortable ; très amoureux, il passait avec elle tous ses moments de liberté, et le reste du temps se surprenait à rêver de sa chair accueillante, de la tendre ligne de son nez, de ses yeux pleins d'intelligence et de vivacité.

Ils se promenèrent à cheval dans les collines et firent l'amour dans les eaux chaudes et sulfureuses de la grotte secrète du chah. Il avait laissé en évidence le vieux livre de dessins indiens et, en essayant des variantes qui y étaient décrites, il s'aperçut qu'elle l'avait étudié. Ils s'en amusaient souvent et prenaient plaisir ensemble à des jeux sensuels étranges. Ils échangeaient leurs curiosités : elle osait toutes les questions, auxquelles il répondait toujours en scientifique.

« J'aime ton sexe aussi quand il redevient souple et doux comme de la soie. Mais qu'est-ce qui le fait changer tout à coup ? Une nourrice m'a dit autrefois que c'était l'air qui le gonflait et le rendait si dur. C'est vrai ?

– L'air, non. Il se remplit de sang artériel ; et cela a sans doute un rapport avec l'odorat et la vue. Un soir, je ramenais mon cheval à bout de force après une journée épuisante. Il flaira l'odeur d'une jument et, la trique dure comme du bois, il se précipita avant même de la voir, avec une telle ardeur qu'il fallut le retenir. »

Rob se sentait bien près de Mary et son amour valait tout le reste. Pourtant, il fut très ému quand un visage familier parut à sa porte.

« Entre, Mirdin. »

Présentée au visiteur, Mary le dévisagea avec curiosité, puis elle apporta du vin et des gâteaux et s'en fut nourrir les bêtes, laissant seuls Rob et son ami, avec cette remarquable intuition qui la lui faisait chérir.

« Tu es vraiment chrétien ?

– Oui.

– Je peux t'emmener à Fars, où le rabbenu est mon cousin. Si tu veux te convertir avec les sages là-bas, peut-être accepteront-ils. Alors, tu n'auras plus à mentir. »

Rob le regarda et secoua la tête. Mirdin soupira.

« Si tu avais été une canaille, tu aurais accepté tout de suite ; mais tu es un homme honnête et loyal, et un médecin exceptionnel. C'est pourquoi je ne peux pas te tourner le dos.

– Merci.

– Jesse ben Benjamin n'est pas ton nom ?

– Non, je m'appelle...

– Tais-toi, qu'il n'en soit plus question entre nous. Tu dois rester Jesse ben Benjamin. Tu as réussi à te mêler au Yehuddiyyeh. Il y avait quelque chose qui sonnait faux ; je me disais que c'était à cause de ton père, Juif européen apostat, qui s'était égaré et avait négligé de transmettre notre héritage à son fils. Mais prends garde, si les mullahs découvraient la tromperie, ce serait la mort, sans doute. Et les Juifs d'ici risqueraient d'en pâtir. Ils n'y sont pour rien, mais, en Perse, on fait volontiers payer les innocents.

– Es-tu sûr que tu ne cours aucun danger ?

– J'ai bien réfléchi. Je reste ton ami.

– J'en suis très heureux.

– Oui, mais je pose mes conditions. »

Rob attendit.

« Tu dois comprendre ce que tu prétends être : il ne suffit pas pour être juif de porter la barbe et le caftan. Il faut apprendre les commandements du Seigneur.

– Je connais les Dix Commandements.

– Ce n'est qu'une partie des lois de la Torah. Elle en contient six cent seize. C'est ce que tu dois étudier, avec le Talmud, qui donne les commentaires de chaque loi.

– Mais c'est pire que le Fiqh ! Je vais étouffer...

– Ce sont mes conditions, dit Mirdin sérieusement.

– D'accord. Que le diable t'emporte ! »

Alors, Mirdin sourit pour la première fois. Il se versa du vin et, laissant de côté table et chaises européennes, il s'assit par terre.

– Allons-y. Le premier commandement dit : " Croissez et multipliez.  " »

Rob se sentit très heureux de voir là, chez lui, ce bon visage chaleureux.

« J'essaie, Mirdin, dit-il en riant, je fais tout ce que je peux ! »

52. LA FORMATION DE JESSE

 

« ELLE s'appelle Mary, comme la mère de Yeshua, dit Mirdin à sa femme, dans la Langue.

– Elle s'appelle Fara », dit Rob en anglais.

Les deux femmes se regardèrent sans pouvoir rien se dire, faute d'une langue commune, puis échangèrent des idées à force de mimiques et de regards expressifs. Fara se lia peut-être avec Mary à la demande de son époux mais toutes deux, pourtant si différentes, s'estimèrent dès le début.

Fara montra à Mary comment passer inaperçue en relevant ses longs cheveux roux et en les couvrant d'un fichu ainsi que le faisaient la plupart des Juives. Elle lui indiqua au marché les commerçants qui vendaient les meilleurs produits et ceux qu'il fallait éviter, lui apprit à préparer la viande kascher en la salant et la faisant tremper pour éliminer le sang en excès, et lui donna la recette d'un plat délicieux, le shalent : de la viande, avec de la poudre de piment doux, de l'ail, des feuilles de laurier et du sel, qui cuit doucement pendant tout le sabbat, dans un pot de terre fermé, couvert de braises, jusqu'à devenir tendre et savoureuse.

« J'aimerais tant parler avec elle, lui poser des questions et lui raconter plein de choses ! soupirait Mary.

– Je peux t'apprendre la Langue.

– Je ne suis pas douée comme toi ; j'ai mis des années à apprendre l'anglais, j'ai peiné autant qu'une esclave sur le latin. Quand serons-nous dans mon pays, où j'entendrai parler mon gaélique ?

– Quand il sera temps », répondit Rob sans rien promettre.

Mirdin entreprit de réintégrer Jesse dans le Yehuddiyyeh.

« Des Juifs, depuis le roi Salomon, et même avant, ont choisi une épouse parmi les Gentils sans pour autant quitter la communauté juive. Et ils ont toujours prouvé dans leur vie quotidienne qu'ils restaient fidèles à leur peuple. »