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Quand le bruit se fut apaisé, le Barbier présenta une fiole de son remède miraculeux.

« Seul, mon Spécifique Universel à la vertu d'allonger votre vie, de régénérer votre corps fatigué. Il assouplit les muscles raides et raffermit ceux qui sont mous, rend leur éclat aux yeux éteints, change les malades en gaillards bien portants, arrête la chute des cheveux et regarnit les crânes luisants. Il fait la vue plus nette et l'esprit plus aiguisé. C'est le cordial le plus stimulant et le plus doux des purgatifs. Il vient à bout des ballonnements et des pertes de sang, des misères des femmes, du scorbut des marins, de la surdité, de la toux et de la consomption, des maux d'estomac, de la jaunisse et des fièvres. Bon pour les bêtes comme pour les humains, il guérit tout et chasse tous les soucis ! »

Le Barbier vendit beaucoup de fioles, puis avec Rob il installa un paravent derrière lequel il examina les patients. Malades et égrotants attendirent à la queue leu leu d'être soulagés pour un sou ou deux.

Le soir, ils dînèrent à la taverne ; le Barbier trouva l'oie mal rôtie et les navets filandreux. Puis il étala sur la table une carte des îles Britanniques ; Rob, qui n'en avait jamais vu, suivit, les yeux ronds, le chemin capricieux de son doigt qui traçait leur itinéraire pour les mois suivants.

Tombant de sommeil, il retourna dormir à leur campement, mais il avait trop de choses en tête pour trouver le repos. Il entendit des rires et des propos plaisants pleins d'allusions grivoises ; son maître avait ramené une fille.

« Ah ! Douce Amelia ! » soufflait-il entre deux baisers mouillés et tout un remue-ménage. Elle gémissait. Enfin, ils s'endormirent.

Au petit matin, elle était partie. Ils reprirent la route, s'arrêtèrent pour cueillir un panier de mûres er firent un excellent déjeuner. L'après-midi, ils avaient dépassé un grand domaine fortifié et le Barbier pressait lé pas quand trois cavaliers les arrêtèrent ; il fallut les suivre, franchir les enceintes et les grilles jusqu'à une salle souterraine aux murs couverts d'armes et de tapisseries.

« Une chienne est blessée. Elle s'est pris la patte dans un piège il y a une quinzaine et cela s'est infecté. »

Le Barbier vida deux de ses fioles dans le bol d'argent de la chienne qui grogna, mais finit par boire. Quand il la vit assoupie, il lui lia les mâchoires, puis les pattes, et l'opéra. La bête tremblait, sa blessure grouillait de vers et sentait mauvais.

Quand il demanda, discrètement, son salaire, on le pria d'attendre le retour du comte, qui était à la chasse. Ils délièrent la chienne, reprirent leurs instruments et s'en furent. Hors de vue du château, le Barbier s'éclaircit la voix et cracha.

« Qui sait quand il reviendra ? Si la chienne guérissait, il nous paierait peut-être, ce sacré comte, mais si elle crève, ou qu'il soit de méchante humeur, il peut nous faire écorcher. J'évite les seigneurs, je préfère chercher mon bien chez les villageois. »

Le lendemain, ils arrivèrent à Chelmsford, où un marchand d'onguent les avait précédés– un homme affable avec une crinière blanche et une tunique orange.

« Content de te voir, Barbier !

– Salut, Wat, tu as toujours ta bête ?

– Non, elle est tombée malade, je l'ai sacrifiée dans un combat de chiens.

– Dommage que tu n'aies pas eu du Spécifique, ça l'aurait guérie. »

Ils rirent tous deux.

« J'ai un nouvel animal, tu veux le voir ? »

– Pourquoi pas ? » dit le Barbier. Il rangea la charrette sous un arbre et fit paître le cheval tandis que la foule arrivait. Chelmsford était un gros village, avec un public important.

« Sais-tu lutter ? » demanda le Barbier à son apprenti.

Rob hocha la tête. Il aimait se battre, comme tous les gamins de Londres.

Wat commençait comme le Barbier, en jonglant. Il était habile, mais ses histoires amusaient moins les gens. Ce qu'ils aimaient, c'était l'ours. La cage était à l'ombre, couverte d'un drap. Il y eut un murmure quand Wat la découvrit. Rob avait vu un ours dressé quand il avait six ans ; celui-ci, muselé, au bout d'une longue chaîne, lui parut plus petit, à peine plus grand qu'un gros chien, mais il était très beau.

« Voici l'ours Bartram », annonça Wat.

L'animal se coucha, fit le mort, rattrapa une balle, monta sur une échelle et en redescendit, dansa au son de la flûte avec maladresse, et les spectateurs ravis applaudissaient chacun de ses mouvements.

« Maintenant, dit Wat, qui veut lutter avec Bartram ? Le vainqueur aura un pot gratuit du fameux Onguent de Wat, qui guérit tous les maux de l'humanité. »

Il se fit un mouvement dans la foule mais personne ne se proposa.

« Allons, les lutteurs ! » insista Wat, provocant.

Une lueur s'alluma dans le regard du Barbier.

« Voici un garçon qui n'a pas froid aux yeux », dit-il à voix haute, et Rob, stupéfait et affolé, se trouva poussé vers l'estrade où on l'aida à grimper.

« Mon garçon contre ta bête, l'ami ! » cria le Barbier, Wat approuva et ils se mirent à rire.

« Oh ! Mam ! » pensa Rob, figé de peur. C'était un vrai ours, aux épaules massives, aux membres épais. Que faire, sinon sauter de l'estrade et fuir ? Mais ce serait un défi à son maître et la fin de tous ses espoirs. Choisissant le moindre mal, Rob affronta Bartram. Le cœur battant, il tournait autour, les mains ouvertes comme il avait vu faire aux lutteurs. Il tenta même de le déséquilibrer, comme il aurait fait avec un autre enfant, mais c'était vouloir déraciner un gros arbre. L'ours leva une patte et frappa nonchalamment. Ses griffes étaient rognées mais le coup renversa le garçon qui se vit perdu sans ressource. Dès qu'il se releva, Bartram, avec une agilité surprenante, le saisit et Rob se sentit étouffé contre cette fourrure aussi puante que celle où il dormait la nuit ; tout en luttant, il regarda les petits yeux rouges et inquiets. L'ours n'était pas plus adulte que lui et il avait peur, lui aussi ; sans sa muselière de cuir, il aurait mordu.

Wat tendit la main vers le collier de sa bête, qui recula aussitôt, lâcha sa victime et tomba sur le dos.

« Plaque-le, bêta ! » souffla l'homme.

Rob se précipita et toucha le pelage sombre des épaules, ce qui n'impressionna personne, mais les gens s'étaient amusés et ils étaient de bonne humeur. Wat enferma Bartram et donna, comme promis, un petit pot d'onguent au jeune lutteur, avant d'aller vanter aux spectateurs les mérites de son produit.

« Tu ne t'es pas mal débrouillé, dit le Barbier à son apprenti qui revenait à la charrette, les jambes en coton. T'as foncé !

– Il m'aurait fait du mal », dit Rob en reniflant, niais conscient de sa chance. Son maître secoua la tête en souriant.

– Tu n'as pas vu la petite poignée sur son collier ? Elle permet, en le serrant, de couper la respiration de l'animal s'il désobéit. C'est comme cela qu'on dresse les ours. »

Il lui tendit la main pour l'aider à monter, puis il prit un peu d'onguent et le frotta entre le pouce et l'index.

« Du suif, du lard et un soupçon de parfum... Et il en vend beaucoup, dit-il, songeur, en regardant la file des clients de Wat qui lui tendaient leurs sous. Un animal est une garantie de succès. On peut bâtir un spectacle avec des marmottes, des chèvres, des blaireaux, des chiens, même des lézards. Et on gagne comme cela plus d'argent que moi quand je suis seul. »

Le cheval s'engagea sur le chemin des bois, laissant derrière eux Chelmsford et l'ours lutteur. Rob était encore sous le choc. Immobile il songeait.

« Alors, pourquoi vous ne faites pas un spectacle avec un animal ? » dit-il lentement.

Le Barbier se tourna légèrement sur son siège. Le regard chaleureux de ses yeux bleus semblait en dire plus que sa bouche souriante.

« Parce que je t'ai, mon garçon. »

6. LES BALLES DE COULEUR