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La première semaine du mois de shaban, la caravane de Reb Moise ben Zavil, à qui Rob avait confié son message pour Mascate, revint avec des cadeaux du père de Mirdin et de sa veuve : Fara avait cousu six petites chemises pour l'enfant, et le marchand de perles renvoyait à Rob le jeu du chah en souvenir de son fils mort.

Bien que ce passe-temps guerrier ne convînt guère à une femme, ils y jouèrent souvent par la suite. Mary avait appris très vite et lui prenait des pièces avec un cri sauvage digne d'un pillard seldjoukide, ou déplaçait une armée royale avec une efficacité foudroyante. Mais il le savait depuis longtemps : Mary Cullen était une femme étonnante.

Le ramadan surprit Karim en pleine fièvre amoureuse. Ni les prières ni le jeûne ne pouvaient lui faire oublier Despina et le désir qu'il avait d'elle. Ibn Sina passant plusieurs soirées par semaine dans les mosquées et aux dîners tardifs des mullahs ou des maîtres coraniques, les amants n'en étaient que plus libres et se quittaient le moins possible. Ala Chah de son côté étant très pris par les assemblées religieuses, Karim trouva l'occasion, pour la première fois depuis des mois, de retourner au maristan. Par chance, Ibn Sina était absent, appelé au chevet d'un malade de la cour ; il avait toujours été si bienveillant à son égard que Karim se sentait coupable et préférait éviter le mari de Despina.

Cette visite à l'hôpital fut une cruelle déception. Les étudiants se pressaient toujours autour de lui, à cause de sa légende, mais il ne connaissait plus aucun malade, les siens étant depuis longtemps morts ou guéris. Il hésitait à interroger les patients des autres médecins, craignant de commettre quelque impair. Il comprit avec amertume que, sans la pratique quotidienne de la médecine, il perdait le savoir qu'il avait mis tant d'années à acquérir. Mais il n'avait pas le choix : Ala lui avait promis près de lui un avenir beaucoup plus brillant.

Il ne courut pas le chatir cette année-là et y assista avec le roi, qui avait en vain renouvelé son offre de calaat à quiconque battrait le record précédent ; personne ne releva le défi. Au cinquième tour, il ne restait en lice qu'al-Harat et un jeune soldat rescapé de l'expédition indienne, que Karim encourageait mais qui abandonna après la huitième flèche. Le chah et son favori précédèrent à cheval al-Harat pendant le dernier tour pour l'accueillir dès la fin de la course. La foule acclamait Karim, coureur incomparable, héros de Mansoura et de Kausambi, et lui, regardant avec condescendance al-Harat le paysan, se sentait le futur vizir de la Perse.

En passant devant la madrassa, il reconnut sur le toit l'eunuque Wasif et, près de lui, Despina voilée. Son cœur bondit. Mieux valait qu'elle le vît ainsi, vêtu de soie et de lin, sur un cheval superbe, plutôt que couvert de sueur et titubant de fatigue.

Non loin de Despina, une femme au visage découvert, excédée de chaleur, repoussa son fichu noir en secouant la tête comme le cheval de Karim. Ses cheveux dénoués s'épanouirent en ondoyant autour d'elle, et le soleil y fit briller des reflets fauves et des éclairs d'or.

« C'est la femme du dhimmi ? L'Européenne ? demanda le chah.

– Oui, Majesté, l'épouse de notre ami Jesse ben Benjamin.

– Je pensais bien que c'était elle. »

Le roi ne la quitta pas des yeux tant qu'ils ne l'eurent pas dépassée. Il ne posa plus de questions, et Karim mit bientôt la conversation sur Dhan Vangalil, l'artisan indien qui travaillait à sa nouvelle forge derrière les écuries du palais.

62. L'OFFRE DE RÉCOMPENSE

 

ROB continuait à aller chaque matin à la synagogue de la maison de la Paix. L'étrange mélange de psalmodie juive et de prière chrétienne silencieuse lui était devenu un plaisir et un soutien ; mais c'était surtout une façon d'acquitter sa dette envers Mirdin. Incapable d'entrer dans la synagogue de Zion, où il allait avec son ami, il n'avait pas envie d'y voir les érudits qui pourraient l'aider à étudier les quatre-vingt-neuf derniers commandements. Il finit par se dire que cinq cent vingt-quatre commandements valaient autant pour un faux Juif que six cent treize, et il passa à d'autres préoccupations.

Ibn Sina avait écrit sur tous les sujets. Pendant ses études, Rob lisait déjà beaucoup de ses ouvrages de médecine, mais il découvrait maintenant la diversité de son œuvre et l'en admirait davantage : musique et poésie, astronomie, métaphysique et « sagesse orientale », philologie, « intellect actif », et un commentaire général de l'œuvre d'Aristote... Prisonnier à la forteresse de Fardajan, il y avait composé plusieurs traités et terminé son Canon de médecine. On lui devait un guide philosophique, le Livre des directives, des réflexions sur l'âme humaine, sur l'« essence de la mélancolie », et même un manuel militaire que Rob regrettait de n'avoir pu lire avant l'expédition indienne.

Mais, encore et toujours, il parlait de l'islam, la foi héritée de son père, que toute sa science n'avait pu lui faire oublier. C'est pourquoi le peuple l'aimait. Sa propriété luxueuse et les bénéfices du calaat, son prestige dans le monde entier et la familiarité des rois, tout cela ne l'empêchait pas, comme le plus humble des hommes, de lever les yeux vers le ciel en s'écriant : « Il n'est pas d'autre Dieu que Dieu. Mahomet est le prophète de Dieu. » Chaque matin, avant la première prière, une foule se rassemblait devant sa maison : mendiants, mullahs, bergers, marchands, pauvres et riches, gens de toutes conditions. Le prince des médecins, avec son tapis de prière, venait faire ses dévotions parmi ses admirateurs, puis ils le suivaient jusqu'au maristan, marchant près de son cheval en psalmodiant des versets du Coran.

Plusieurs fois par semaine, ses élèves se réunissaient chez lui, généralement pour des lectures médicales. Al-Juzjani avait lu à haute voix pendant un quart de siècle le fameux Canon d'Ibn Sina, et Rob parfois lisait ainsi sa Shifa : La Guérison de l'erreur. Suivait une discussion animée ; non sans boire et plaisanter, on débattait de problèmes cliniques en des échanges passionnés et toujours éclairants.

« Comment le sang va jusqu'aux doigts ? criait, excédé, al-Juzjani, répétant la question d'un élève. Tu oublies ce que dit Galien : le cœur est une pompe qui pousse le sang !

– Ah ! disait alors Ibn Sina. Le vent aussi pousse la voile, mais comment le bateau trouve-t-il le chemin de Bahrein ? »

Rob, en partant, apercevait souvent l'eunuque Wasif caché dans l'ombre près de la porte de la tour sud. Un soir, derrière le mur de la propriété, il trouva sans surprise l'étalon gris de Karim, attaché et secouant impatiemment la tête. Comme il revenait prendre son cheval, qui lui, n'était pas caché, il vit au sommet de la tour une lumière jaune, vacillante, et se rappela sans envie ni regret que Despina aimait faire l'amour à la lueur de six chandelles.

« Il y a en nous, lui dit un jour Ibn Sina, une chose étrange – que certains appellent l'esprit et d'autres l'âme – qui a beaucoup d'effet sur notre corps et notre santé. J'en ai eu la preuve, étant jeune, à Boukhara, avant d'écrire mon étude sur le pouls. J'avais un patient de mon âge, Achmed, qui ayant perdu l'appétit maigrissait au point de désespérer son père, un riche marchand du pays. En l'examinant, je ne trouvai rien d'anormal ; mais, comme je m'attardais à bavarder en gardant mes doigts sur son poignet, je sentis s'accélérer son pouls quand je mentionnai mon village natal, Efsene : un tel frémissement que j'en fus effrayé.