Выбрать главу

— Cité exactement, réussit à dire le consul d’une voix étranglée par l’émotion.

En même temps, il approuvait d’un signe de tête et allumait une nouvelle cigarette de ses doigts tremblants.

Mr Ramsey reparut, sortant du bureau. Il portait une liasse de formulaires et de papiers. À Mr Tagomi qui restait là sans mot dire, à essayer de reprendre une respiration normale, il dit :

— Pendant qu’il est ici. Une affaire courante ayant un rapport avec ses fonctions.

D’un air pensif, Mr Tagomi prit les formulaires qu’on lui tendait. Il y jeta un coup d’œil. Formulaire 20-50. Requête transmise par l’intermédiaire du représentant du Reich aux États américains du Pacifique, le consul Freiherr Hugo Reiss réclamant un criminel actuellement détenu par le département de la police de San Francisco, un juif nommé Frank Frink, citoyen allemand – selon la loi allemande – à compter rétroactivement du mois de juin 1960. Pour être détenu préventivement selon la loi du Reich, etc. Il le parcourut une fois.

— Une plume, monsieur, dit Mr Ramsey. Ceci termine les affaires en cours avec le gouvernement allemand à la date de ce jour.

En tendant la plume à Mr Tagomi, il regardait le consul avec dégoût.

— Non, dit Mr Tagomi.

Il rendit à Mr Ramsey le formulaire 20-50. Puis il s’en ressaisit et griffonna en bas. À libérer. Direction de la Mission commerciale, agissant en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, voir notamment protocole militaire de 1947. Tagomi. Il tendit un carbone au consul allemand, les autres exemplaires à Mr Ramsey avec l’original :

— Au revoir, Herr Reiss.

Et il s’inclina.

Le consul allemand s’inclina à son tour. Il prit à peine le temps de jeter un coup d’œil sur le papier.

— Traitez s’il vous plaît les affaires à venir par des intermédiaires tels que la poste, le téléphone, le télégraphe, dit Mr Tagomi. Pas personnellement.

— Vous me rendez responsable de conditions générales qui sortent des limites de ma juridiction, dit le consul.

— De la merde, dit Mr Tagomi. C’est exactement ce que je veux dire.

— Ce n’est pas de cette façon que les gens civilisés traitent les affaires, dit le consul. Vous donnez à cette histoire un caractère désagréable et vindicatif. Alors que ce ne devrait être qu’une simple formalité ne mettant pas en cause la personnalité de ceux qui s’y trouvent mêlés.

Il jeta sa cigarette sur le sol du couloir, fit demi-tour et s’en fut.

— Retirez cette affreuse cigarette puante, dit Mr Tagomi d’une voix faible.

Mais le consul avait déjà tourné le coin.

— Conduite en elle-même enfantine, dit Mr Tagomi en s’adressant à Mr Ramsey. Vous venez d’être témoin d’une manifestation répugnante de puérilité.

Il retourna dans son bureau d’une démarche incertaine. Il ne pouvait plus du tout respirer, à présent. Une douleur parcourait son bras gauche de haut en bas, tandis qu’une large main ouverte aplatissait et écrasait ses côtes. Ouf ! dit-il. Devant lui, il n’y avait plus de tapis, mais simplement une pluie d’étincelles rouges qui surgissaient.

Venez-moi en aide, Mr Ramsey, disait-il en lui-même. Mais aucun son. S’il vous plaît. Il tendit les mains, vacilla. Il n’y avait rien à saisir.

En tombant, il accrocha sa veste au triangle d’argent. Ça ne m’a pas sauvé, se dit-il. Ça ne m’a pas aidé. Tout cet effort.

Son corps heurta le sol. À quatre pattes, haletant, le nez sur le tapis. Mr Ramsey se précipitait, à deux doigts de crier. Garder l’équilibre, se disait Mr Tagomi. Il trouva le moyen de dire :

— J’ai une petite attaque cardiaque.

Plusieurs personnes s’affairaient à présent, on le transportait sur un divan.

— Restez bien calme, lui dit quelqu’un.

— Prévenez ma femme, s’il vous plaît, dit Mr Tagomi.

Il entendait maintenant l’ambulance. Un gémissement de sirène dans la rue. Une grande agitation. Des gens qui allaient et venaient. On mit sur lui une couverture, on lui ôta sa cravate, on desserra son col.

— Ça va mieux, maintenant, dit Mr Tagomi.

Il était confortablement étendu, il n’essayait pas de bouger. Sa carrière était terminée, de toute façon. Le consul ferait sans aucun doute du tapage en haut lieu. Il se plaindrait de son manque de courtoisie. Il avait peut-être le droit de le faire. En tout cas, le travail était fait. Ce qui m’incombait, autant que j’ai pu, se dit-il. S’en remettre à Tokyo et aux factions en Allemagne. La lutte me dépasse de toute façon.

J’ai cru qu’il ne s’agissait que de plastiques, se dit-il. Un important négociant en moules. L’oracle avait deviné et donné un indice, mais…

— Retirez-lui sa chemise, dit une voix.

Sans doute le médecin de l’immeuble. Un ton très autoritaire. Mr Tagomi sourit. C’est le ton qui fait tout.

Est-ce que ce pourrait être là la réponse ? Mr Tagomi se le demandait. Mystère de l’organisme humain, la connaissance de lui-même. C’était le moment de partir. Ou d’abandonner partiellement. Un but auquel il fallait adhérer.

Qu’avait dit l’Oracle en dernier lieu ? À sa demande dans le bureau, quand les deux cadavres étaient étendus. Soixante et un. Vérité intérieure. Les porcs et les poissons sont les moins intelligents de tous ; difficiles à convaincre. C’est moi. Le livre veut parler de moi. Je ne comprendrai jamais complètement ; c’est la nature de ce genre de créatures. Ou bien c’est cette Vérité intérieure, à présent, ce qui est en train de m’arriver ?

Je vais attendre. Je vais voir. Lequel des deux.

Peut-être les deux.

Ce soir-là, juste avant le repas du soir, un officier de police vint à la cellule de Frank Frink, déverrouilla la porte et lui dit d’aller prendre ses affaires au bureau.

Il ne tarda pas à se trouver sur le trottoir devant le poste de Kearny Street au milieu des nombreux passants qui se hâtaient, parmi les autobus et les voitures qui cornaient, et les conducteurs de vélos-taxis qui hurlaient. L’air était frais. Des ombres s’étendaient en longueur devant chaque maison. Frank Frink s’arrêta un instant, puis il se mit à suivre automatiquement un groupe de piétons qui traversaient la rue à un passage clouté.

Arrêté sans raison réelle, se disait-il. Sans but. Et ensuite, ils me laissent partir de la même façon.

Ils ne lui avaient rien dit ; ils lui avaient simplement rendu son sac de vêtements, son portefeuille, ses lunettes, ses affaires personnelles et s’étaient occupés de l’affaire suivante, un vieil ivrogne qu’on venait d’amener.

Miracle, se dit-il. Qu’ils m’aient laissé partir. Une sorte de coup de veine. En réalité je devrais me trouver à bord d’un avion à destination de l’Allemagne et d’un camp d’extermination.

Il ne pouvait toujours pas y croire. D’un côté comme de l’autre. L’arrestation, et maintenant cela. Irréel. Il errait devant les magasins, il enjambait les débris amenés là par le vent.

Une nouvelle vie, se disait-il. C’était comme naître une seconde fois. Diable, c’était cela. Vraiment.