Ferait-il beau demain ?
Telle fut, pendant vingt-quatre heures, sa préoccupation dominante.
Le lendemain il pleuvait.
Mais le troisième jour, ses vœux furent exaucés, le temps se remit au beau, le soleil brilla d’un éclat resplendissant dans le ciel, et deux jours de suite, Fantômas, au moyen des signaux lumineux, reçut encore ces indications : Cavale par corde lisse, serons là.
7 – CHERCHEZ LA FEMME
En chemise, pieds nus, claquant des dents au contact du parquet glacé, Fandor entrouvrit la porte du petit appartement qu’il habitait depuis de longues années déjà, rue Richer.
Fandor avait les cheveux ébouriffés, les yeux gros de sommeil, on devinait qu’il venait de se lever, qu’il était encore mal éveillé, et peu disposé à éterniser sa station dans le vestibule de son logis.
— C’est vous, madame Angélique ? demanda le journaliste. Oui. Cela va bien. Donnez-moi les lettres et les journaux. Merci. Décidément, vous êtes la femme la plus exquise que je connaisse, et, si ça peut vous faire plaisir, je vous déclare que vous embellissez chaque jour, si bien que d’ici une trentaine d’années, vous pourrez remplacer la Joconde, au Louvre. Là-dessus, adieu. À tout à l’heure. Je me recouche.
Un claquement sec, et la porte de Fandor se refermait sur les lamentations de la brave Angélique Oudry, concierge du journaliste, qui gémissait scandalisée :
— Si c’est pas malheureux de tourner en dérision une femme de mon âge et de ma situation. Le Diable vous punira, monsieur Fandor.
Sans l’écouter, Fandor se hâta de traverser l’étroit corridor qui conduisait à sa chambre, puis de se rejeter sur son lit. Avec une volupté satisfaite, il retrouvait la tiédeur des draps et des couvertures, et, psalmodiant un air connu, il s’écriait :
— La chaleur, n’y a que ça.
Tout de même, si paresseux qu’il fût, Fandor était curieux plus encore.
Ce matin-là comme d’ordinaire, Jérôme Fandor, après avoir éprouvé la satisfaction de se replonger dans le lit tiède, abandonné quelques minutes avant, au coup de sonnette de la concierge, se décida à se tirer définitivement de la somnolence où il était encore.
— Tu dors, Brutus, se déclarait à lui-même Fandor, et tu ne sais pas si Paris est dans les fers. Lève-toi donc, animal. Il y a peut-être une révolution. Peut-être te recherche-t-on pour succession aux annonces notariales. Enfin, tu ne peux pas savoir ce que les journaux de ce matin vont t’apprendre d’extraordinaire ou d’inouï. Lève-toi, Fandor.
Fandor ne s’obéissait pas tout à fait. À coup sûr il était indulgent pour lui-même. À coup sûr il cherchait une transaction entre ce qu’il considérait comme son devoir et ce qui était incontestablement son désir.
Il ne se leva pas. Il s’assit dans son lit.
— Diable, cela va mieux, constata-t-il, achevant de s’éveiller. Et maintenant, au travail.
Fandor, bien entendu, recevait une dizaine de journaux, qu’il lisait à la façon spéciale employée par tous les rédacteurs de quotidiens. Il parcourait les titres, inspectait les manchettes. En une seconde, il eut donc dépouillé tout ce qui pouvait l’intéresser dans les feuilles. Un journal demeurait intact sous sa bande.
— Hé, hé, soliloquait Fandor, je n’ai plus que La Capitale à « borgnoter ». Parbleu, j’imagine bien que je n’y trouverai rien de sensationnel, car, hier soir, la rédaction était fort calme, mais enfin je vais pouvoir me délecter à la lecture de ma propre prose, tout comme un orgueilleux m’as-tu lu. C’est qu’après tout, j’imagine qu’il va faire un certain potin, mon article complètement idiot.
À la première page, un titre flamboyait sur deux colonnes, un titre qui fit sourire le journaliste :
— Dieu que je suis bête, murmura-t-il et il regardait amusé, se détachant sur le texte du quotidien, les gros caractères gras de ce titre : « Cherchez la Femme ». Fandor s’était amusé, la veille, par pur dilettantisme, et parce qu’il n’avait rien de mieux à faire, à proposer une explication au vol mystérieux de Saint-Calais, qui, de la paisible petite ville de la Sarthe, commençait à éveiller des échos jusque dans la haute société parisienne.
« Cherchez la Femme » avait écrit, en substance, Fandor, qui n’était pas éloigné d’être un adorateur dévot de l’éternel féminin. Cherchez la Femme… la femme qui, certainement, que ce soit du côté du marquis de Tergall, ou surtout du côté de Chambérieux, a dû être mêlée à ces intrigues. »
Et Fandor, avait développé ce thème :
« Du moment qu’il s’agit d’un vol de bijoux, ce vol a dû être commis pour une femme ou par une femme.
« Du moment qu’il s’agit d’un vol incompréhensible, ce vol a dû être commis par ce qu’il y a de plus incompréhensible au monde, par l’être énigmatique par excellence, par une femme.
« Du moment que sont seuls soupçonnables, deux individus d’honorabilité parfaite, M. Chambérieux et le marquis de Tergall, il est certain que ces personnes n’ont pu être entraînées à un acte indélicat que par un affolement passionnel, que par un amour, que par une femme. »
Et après avoir envisagé toutes les conséquences de ces axiomes, Fandor avait terminé son article par des phrases lapidaires :
« Le marquis de Tergall est marié, avait précisé Jérôme Fandor ; le bijoutier Chambérieux est célibataire. Nous ne voulons pas supposer que le marquis de Tergall ait une maîtresse, nous serions fort étonnés que le bijoutier n’en eût pas. Or, ce n’est pas pour une femme légitime que l’on vole après trente ans d’honorabilité, c’est pour une maîtresse. Il semble donc bien que M. Chambérieux soit la personnalité la plus incriminable. Cherchez la femme. Cherchez la femme de Chambérieux. »
Fandor, toujours couché dans son lit, continuait à rire en lisant son papier :
— Ma foi, murmurait le journaliste, ce que j’ai écrit là dépasse, en crétinisme accumulé, tout ce que j’avais osé écrire jusqu’ici. Je n’ai oublié qu’une seule chose, j’aurais dû mettre le curé hors de cause, en établissant qu’un curé ne peut pas avoir de femme. Hum. Enfin, cela ne fait rien. Si j’étais M. Chambérieux, je prendrais le train aujourd’hui même et je viendrais flanquer une paire de gifles à l’excellent Jérôme Fandor.
Jérôme Fandor s’apprêtait à se rendormir tout tranquillement, lorsqu’il sursauta violemment. On carillonnait à sa porte.
— Allons, bon, grommela le reporter, voilà encore quelqu’un qui s’imagine que j’ai des habitudes matinales.
Le visiteur devait « se l’imaginer » en effet car il s’était remis à carillonner.
Pour toute réponse, Fandor se retourna dans son lit.
— On n’a pas idée de ça, maugréait le journaliste, venir me voir à huit heures du matin.
Un troisième coup de sonnette, prolongé, lui coupa la parole.
— Zut, cria le journaliste, rigoureusement décidé à ne pas se lever. On verra bien qui se lassera.
Mais une idée soudain agitait Fandor :
— Si c’était de la part du journal ?
Fandor chassa vite cette supposition :
— Non, du journal on ne viendrait pas me voir à cette heure-ci, on téléphonerait.
Fandor, malheureusement, n’avait pas formulé cette supposition, qu’un nouveau carillon retentissait dans sa chambre.
Il provenait précisément de l’appareil téléphonique placé à la tête de son lit, et cette fois, le journaliste bondit :
— Ah çà, ils ont juré de se donner rendez-vous. En voilà des raseurs.